Le culte de l'apparence

Hadash
Profile picture for user Hadash
sam 27/04/2013 - 23:00

Shalom

Dans la mesure où chacun naît comme il est, n'est-il pas étonnant que nous ayions le souci de perfectionner notre corps, d'autant alors que dans cette recherche de perfection se trouve le désir d'entrer en phase avec les normes de notre société.

Au niveau de l'apparence, beaucoup d'efforts sont fournis : épilation, musculation, régime amincissant, maquillage, code vestimentaire etc ...

Ma tendance pour être au plus près de mon Créateur ne devrait-elle pas chercher à repousser les appels normatifs de ma société pour un retour au plus originel ?

Si je trouve qu'une femme est plus jolie apprêtée plutôt que naturelle, n'est-ce pas alors que je suis influencé par des principes différents que ceux de Hachem ?

Certains diraient même que ne pas soigner son apparence reviendrait à se négliger mais qu'en dit notre Torah ?

--
Question envoyée via l'application iPhone

Rav Samuel Elikan
mer 08/05/2013 - 13:39

Shalom,

Vous avez raison de noter qu'il existe une dichotomie entre la volonté de dévoiler le Divin voilé dans la nature et par conséquent de s'y lier - d'être "naturel" et la volonté d'utiliser le progrès, le fruit de la civilisation. Cependant ce dernier permet de dévoiler l'aspect "transcendantal" du Divin.

Je m'explique.
Parfois, les vêtements ou les objets d'apparence plus généralement sont définis par l’homme, alors que d’autres fois, ils le définissent.
Les habits que l’homme crée sont, comme dit, le symbole de la civilisation humaine. Ils préservent le corps du froid et autres dégâts. Ils l’ornent et sont insignes de majesté. Ils rendent unique son statut, son travail et son rôle. Sans eux, l’homme ressemble à un animal sauvage, primitif.
Toutefois, au delà de ce degré, il en est un autre : des habits qui font l’homme.
Ils changent sa personnalité, l’améliore ou au contraire la détériore.
Par exemple, le fait de revêtir un costume militaire change automatiquement le comportement, tantôt pour le mieux, tantôt pour le pire et parfois un peu des deux mélangés. Lorsqu'un juif s’habille, le matin, revêt ses "tzitziot" - et s’identifie de toute son âme avec cet acte et sait le considérer à sa juste valeur – il ressent qu’il ne s’agit pas uniquement d’un acte physique, mais également d’un acte spirituel : son âme aussi se revêt de lumière Divine qui commence même à se propager sur la Terre et ses habitants. C'est ce que dit le Roi David (Tehilim 104:2): « Tu T’enveloppes de lumière comme d’un manteau, tu déploies les cieux comme une tenture ».
L’homme s’enveloppe, d’une certaine manière, de “l’ombre des ailes“ de la Présence Divine, tel un oisillon dans son nid, au-dessus duquel survole l’aigle protecteur de tout ennemi potentiel, non seulement physique, mais surtout psychologique. Comme le dit encore le Roi David : « Combien précieuse est ta grâce, ô D’ieu ! Les fils de l’homme s’abritent à l’ombre de tes ailes » (Tehilim 36:8).

J'aimerais illustrer mon propos avec un exemple, celui du "kohen", le prêtre - selon son rôle au Temple.

Les habits des "kohanim" au Temple sont particuliers, comme le dit la Torah (Shemot, chap. 28). Ils n'ont pas uniquement pour but de souligner la particularité, de marquer l'identité et le rôle des prêtres. Ils ne sont pas uniquement des insignes extérieurs d’honneur et de majesté aux yeux du prochain. Non, ils ont principalement un but supérieur à tout cela : la consécration au sacerdoce.
Les vêtements les sanctifient, ils les rendent prêtres, définissent leur identité - ils sont "kohanim". Sans ceux-ci, ils sont considérés comme inaptes au service et comme étrangers. « Leurs habits ne sont pas sur eux, leur prêtrise n’est pas sur eux » (TB Sanhédrin 83b). Plus encore, les vêtements mêmes ont un but cathartique tout autant que les sacrifices, tel que l’exprime le Talmud (TB Erkhin 16a):
« Rabbi Anani fils de Sasson dit : … de la même manière que les sacrifices expient, ainsi les habits des prêtres expient. La tunique à maille expie le versement de sang… les pantalons, l’adultère… la tiare expie les grossiers… l’écharpe, les pensées [interdites] du cœur… le pectoral, les jugements [erronés]… l’éphod expie l’idolâtrie… la robe, la médisance… la plaque d’or expie les actes de toupet ».

L’idée principale évoquée par le Talmud consiste en cela que l’offrande rapproche l’homme de D’ieu. Le sacrifice (korban) vient de la racine hébraïque rapprocher (lekarev). L’homme doit se sacrifier, se sanctifier, tel Itzh’ak sur l’autel, alors que son père allait l’immoler, prêt à être sacrifié. Tout comme le bélier vint le remplacer, ainsi fonctionne tout sacrifice d’Israël. Sans cette préparation psychologique, cette acceptation spirituelle, le sacrifice n’a aucune valeur. Il n’est qu’un acte banal et "extérieur" qui non seulement n’a aucune utilité, mais plus encore, nuit. En effet, l’homme se pense - par erreur - exempt de toute responsabilité personnelle à se rapprocher lui-même de D’ieu dans sa vie.
D’ieu ne veut pas d’offrandes insignifiantes, de liturgies utilitaristes, ainsi que le dit le prophète Isaïe (1:11) : "Que m'importe la multitude de vos sacrifices? dit D'ieu. Je suis saturé de vos holocaustes de béliers, de la graisse de vos victimes; le sang des taureaux, des agneaux, des boucs, je n'en veux point" (1).
Plus important encore que le sacrifice lui-même est celui qui l’offre.

Le rôle du "kohen" en tant que prêtre est d’approcher l’offrant à son Créateur par le biais du sacrifice. Son exemple personnel et son degré à la fois spirituel et moral représentent finalement la possibilité d’élever "l’offrant" et faire régner en lui un esprit de pureté et de sainteté ; lorsque ces qualités ne sont pas présentes, elles amènent inévitablement à une détérioration de l’offrant.
En résumé, le "kohen" ne doit pas seulement porter des vêtements de sainteté et de pureté, ceux-ci doivent plutôt révéler ces qualités présentes en lui.
Si ça n’est pas le cas, l’habit (beged) devient trahison (begida) et la robe (me’il) devient une aliénation (mé’ila) de la confiance et de l’espérance des qualités requises.
Cette intégrité requise entre l’homme et son apparence, son vêtement, comme exemple permettant d’élever autrui, de lui permettre de rencontrer un Autre - entouré de sainteté et de pureté - lui montrer une voie nouvelle constitue un rôle des plus importants (2).

La parasha (tetzavé) des habits du prêtre s’ouvre sur le rôle du "kohen" : allumer le « luminaire, afin d’alimenter les lampes en permanence » (Shemot 27:20). L’intention du verset n’est pas uniquement d’allumer la bougie située dans la ménorah, mais également d’allumer la bougie qui est dans l’âme du kohen et par sa force, celle-ci peut alimenter de la lumière dans les âmes du peuple Juif. Seul un prêtre qui est une lueur et se luit à lui-même peut « allumer » d’autres âmes.

Le but des vêtements du "kohen " est donc de leur sanctification et l’élévation de la flamme de leur âme.
S’habiller, c’est se compléter, s’ajouter la protection qui nous manque.
De la même manière que tout habit a pour but de masquer la laideur et embellir l’homme, de lui attribuer un statut (social), tels les habits du roi qui lui sont spécifiques, ainsi les vêtements du "kohen" remplissent et complètent son âme. Lorsque ces habits et lui deviennent uns, dit le prophète Zacharie (3:4-7):
« Puis il me fit voir le grand-prêtre Josué debout devant l’ange de l’Eternel… Celui-ci s’écria […] : “Enlevez-lui ces vêtements souillés !“. Puis il lui dit : “Vois, je te débarasse de tes pêchés, en te faisant vêtir d’habits de prix » … Ainsi parle l’Eternel Tzeva’ot : “si tu marches dans mes voies, si tu suis mon observance et que tu gouvernes bien Ma maison et gardes avec soin Mes parvis, je te donnerai accès parmi ceux qui sont là debout“ » (ndltr. il s'agit des anges).

Puisque tout le peuple d’Israël est considéré comme prêtre pour les nations, nous nous devons, je pense, de tenter connaître, voire atteindre, ce degré de pureté et de sainteté.
Ce que je veux dire avec tout ça, c'est que l'apparence ne nuit pas forcément à l'essence. Au contraire, les "appels normatifs de la société" peuvent et peut-être doivent constituer un moyen de se rapprocher de D'ieu. C'est là où, comme le dit si magnifiquement le Rav J.D. Soloveitchik, l'éthique délivre l'esthétique. La beauté n'est plus une recherche voluptueuse, mais devient une recherche d'harmonie d'intégrité. Comme le dit Rabbi Méir (3) - il ne faut pas lire des habits de peau (concernant Adam et H'ava), mais des habits de lumière.
On peut se faire beau, si cette beauté n'a pas pour but moral le culte du corps, mais être en bonne santé pour servir D'ieu par exemple (4). La question est le pourquoi.
Pourquoi ai-je besoin de faire de la musculation? Est-ce pour l'apparence ou la santé? Pourquoi ai-je besoin de m'épiler? Est-ce que c'est pour être bien en société ou y a-t-il une raison plus ontologique - peut-être la propreté ou ne pas dénigrer son corps? Pourquoi le maquillage? Est-ce pour masquer quelque chose, avoir l'air plus attirant ? Ou est-ce pour pouvoir me marier ou pour être attirante aux yeux de mon mari ? (5) etc.

Le judaïsme ne prône pas l'ascétisme, au contraire.
On peut dévoiler D'ieu dans la nature, dans "l'originel", ça saute aux yeux d'ailleurs. C'est la voie "simple".
Cependant, notre grand défi c'est d'être capable de Le dévoiler justement là où tout semble dénué de sens et immoral - on doit tendre à la sainteté et à l'éthique au sein de la société. "Veh'ai Bahem" - La Torah est une torah de vie; l'habit ne fait pas le moine, ni le prêtre, certes, il n'empêche qu'on tend à dépasser son apparence qui n'est qu'un moyen et pas une fin. L'éthique précède l'esthétique.

Désolé d'avoir été si long, j'espère que mon propos reste clair, malgré tout.
Kol touv

Sources:
(1) cf. encore Shmouel I 15:22; Hoshéa 2:6; Amos 5:21; Mih'a 5:6-7; Tehilim 51:18, etc.
(2) cf. Guide des Egarés III, 37 et 47
(3) Bereshit Rabba 20, 12; cf. Maor VaShemesh (Epstein) sur par. Mishpatim; Pri Tzadik (de Rabbi Tzadok HaCohen de Lublin), par. Vayikra, "leh'ag haPessah'"; Yalkut Shimoni, Bereshit, allusion 34.
(4) cf. Tour OH 235
(5) Je n'invente rien ce sont des exemples que l'on trouve dans les lois de deuil - une femme non-mariée peut se maquiller et se faire belle même pendant la shiva pour cela, tout comme une femme qui vient de se marier. Quiconque est mariée déjà mais n'a pas encore d'enfants le pourra pendant les "shloshim" - cf. Sh. Ar. YD 381 et comm.; Aroh' HaShoulh'an id., s.k. 9.