Se lever pour les 10 commandements (urgent)

mick636
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sam 20/08/2016 - 23:00

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L'argument de ne pas distinguer les 10 commandements des autres est surprenant. Pourquoi ne pas le faire? Après tout, Dieu lui même l'a fait en les donnant au Sinaï à haute voix (enfin les 2 premiers, mais il était initialement prévu que les 10 soient donnés ainsi).
Ils ont été inscrits sur les tables de la loi à deux reprises, les 10 et pas les 613.
De plus, on dit que ces 10 commandements "incluent" les 613.

Rav Samuel Elikan
lun 22/08/2016 - 02:06

Shalom,

1. La guemara (TB Berah'ot 12) dit que l'on ne dit pas tous les jours dans notre prière les Dix Paroles, alors même que nos Sages voulaient instituer cela, parce que les "minim" (renégats) ont "abîmé". Rashi (ad loc) explique : "pour qu'ils ne disent pas à ceux qui ne sont pas érudits que le reste de la Torah ne vaut rien".
Rambam en a déduit (dans ses resp. §263 dans l'éd. Blau et §46 dans l'éd. Freiman) qu'il ne fallait pas se tenir debout particulièrement pour ce passage pour ne pas le distinguer des autres passages de la Torah, qu'on ne dise pas qu'un passage a plus de valeur qu'un autre.

Pour plus de références, voyez resp. Yeh'ave Da'at VI, §8.

2. Le fait que D'ieu ait énoncé, selon la Torah, les Dix Paroles au Sinaï de manière particulière ne veut pas dire que le reste de la Torah ne provienne pas de D'ieu ou ne soit pas révélée par D'ieu !

Quant à savoir si le Peuple a entendu toutes les Dix Paroles de D’ieu ou non, cela est sujet à discussion déjà dans le midrash (Shir HaShirim Rabba, 1) :
« Rabbi Yehoshua dit : ils ont entendu deux Paroles… et nos Sages disent : toutes ont été entendues par le Peuple ».
Ce midrash est ramené par les Tossafot (s.v. taria) sur T.B. Makot 23b-24a affirmant, selon Rav Himnouna, que « Torah » a pour valeur numérique 611 et que les deux autres commandements ont été entendu au Mont Sinaï.

L’opinion du Ibn Ezra (comm. sur Shemot 20:1) est que toutes les Paroles ont été dites par D’ieu, uniquement.
Cet avis semble être partagé par Rabbi Yehuda HaLévi (Kouzari I, 87).

Cependant, le Rambam (Guide II, 33) affirme que le Peuple entier n’avait pas le degré de prophétie nécessaire à la compréhension des huit Paroles, seul Moshé a pu les entendre et seules les deux premières qui sont intelligibles - puisque ayant trait à des vérités métaphysiques - ont été entendues par prophétie par tous, dans un grand bruit imprononçable et ininterrompu dont on n’entend pas les coupures entre les mots (cf. encore dans le comm. du Rav Shem Tov sur le Guide, id., alors que Rav Asher Crescas, ibid., n’est pas de cet avis et prouve que toutes les Paroles ont été dites par D’ieu en s’appuyant sur le Kouzari et le Ibn Ezra).

Abrabanel (Vaeth’anan, s.v. Ukvar) discute longuement la question et ramène les différentes opinions, pour conclure que selon lui toutes ont été entendues directement de D’ieu.

Le Rav Itzh’ak Areima (Akeidat Itzh’ak, Vaeth’anan, portique 89) explique que les deux premières Paroles ont été perçues d’une voix provenant directement de D’ieu, alors que le reste des Paroles sont entendues par une voix créée, c’est-à-dire un moyen de communication Divin et finit par ramener les propos du midrash précédemment cité – c’est un sujet à discussion.

3. Il existe plusieurs avis quant à l'importance des Dix Paroles - incluent-elles toute la Torah ou pas, ce n'est pas évident. Certains y voient certes une sorte de "synthèse" de la Torah (cf. Bamidbar Rabba 13,16 et 18,21; dans Zohar HaRakia du Rashbetz ; Drashat Rabbi Bena dans Beit Akad Ha'agadot, II ; Bereshit Rabati de Rav Moshe HaDarshan, Bereshit, 90b ; Midrash Aggada, Vaeth'anan 184b ; T.Y. Shekalim ch. 6, hal. 1 et Ta'anit ch. 4, hal. 5 ; cf. Torah Shelema, tome 16, Milouim 1, p. 203-213).

Philon d'Alexandrie, aussi connu sous son nom hébraïque Yedidia, y a d'ailleurs consacré tout un ouvrage (il était un philosophe juif hellène vivant à Alexandrie, en Egypte Antique au temps du deuxième Temple, entre 20 avant l’ère chrétienne à 50 après. Il s’est beaucoup occupé de l’apologie du judaïsme. Il écrivait en grec et la majorité de ses écrits ont été perdus).

Il y pose la question de la valeur des commandements, y en a-t-il qui valent plus que d’autres ?

La mishna dans le traité de Avot (2, 1) ne nous dit-elle pas « sois prudent dans [l’accomplissement] des commandements tant simples que graves, car tu ne connais pas la récompense des mitzvot (commandements) » ?
Par conséquent, pourquoi ces dix paroles sont-elles mises en valeur ? Philon répond (Ecrits, édité par Suzanne Daniel-Nataf, Jérusalem, 5751 (1991), tome II, p. 19) :

« Celles-ci (les lois) sorties de Sa bouche et énoncées par Lui uniquement, sont tant des lois (h’oukim) qu’une table des matières de lois avec leurs particularités, alors que celles énoncés par le prophète sont toutes dépendantes des premières ».

Philon considère que le Décalogue constitue une sorte de table des matières du contenu des commandements et en cela leur importance est différente des autres commandements. Tous les commandements sont ainsi liés aux Décalogue. Il ne s’agit plus de voir l’importance prédominante de l’un envers l’autre ou d’un lien de simplicité - gravité, facilité et difficulté des commandements, mais plutôt une relation entre généralité et particularité, ainsi tous les commandements sont compris dans le Décalogue. Ainsi, Philon distingue-t-il dix catégories de commandements, selon les dix paroles (cf. Philon d’Alexandrie, Chapitres de Philon, trad. et mis en page par David Rokach, « A propos des Dix Paroles », éd. Bibliothèque Dorot Yerushalaim, Jérusalem, 1976 (cf. en particulier chap. 3, p. 87); . Yehoshoua Amir, « Les dix paroles selon Philon d’Alexandrie » in Les dix paroles à travers les générations (édit. Ben-Tzion Segal), Jérusalem, 5746 (1986), p. 99).

Une idée similaire est présentée par le Rav Saadia Gaon (Rassag) dans son sidour, dans ses azharot (poèmes liturgiques traitant des commandements) de Shavouot, ainsi que dans son commentaire sur le Sefer Yetzira (cf. à ce propos Torah Shelema, ibid. avec les références).
Rabbeinou Bah'yei ibn Asher dans son livre "Kad HaKemah'" aussi suit cette direction.

Toutefois de nombreux rabbins ne partagent pas cet avis.
Nonobstant le fait de ne pas négliger le fait que le Décalogue dont le support, les deux tables de pierre, constituent un symbole pour la synagogue et le Judaïsme révélé lors de la majestueuse théophanie du Sinaï, ils appuient sur le fait qu'il s'agit d'un passage de la Torah, comme un autre, tel que le note le Rambam, cité plus haut.

Cela a été résumé notamment par Moshé Weinfeld qui écrit dans son livre sur le Décalogue, p. 16 qu'il s'agit selon cela d'un "recueil contenant en son sein un paradigme de devoirs de base, court et concis, liés particulièrement à l'Alliance avec D'ieu... ce paradigme serait comme le catéchisme d'Israël ressemblant en cela au "Shema Israël" qui contient l'essence de l'idée monothéiste", mais finalement ne serait pas à distinguer du reste de la Torah (et ne contiendrait pas en son sein *tous* les commandements...).

Cordialement,