Bonnes intentions

Arielrudy
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mer 02/11/2016 - 23:00

Chalom Rav,

Je viens vers vous car j'aimerais comprendre et clarifier la kavana que j'ai lorsque je prie pour que le temple soit reconstruit.
J'ai appris de par mes différentes études de la Torah que la reconstruction du temple interviendrait après Gog Oumagog, que cette guerre serait terrible et que cette époque serait également terrible,combien de khakhamim ont mis en garde de la difficulté de cette époque qui serait à l'image de l'accouchement et de toutes ces douleurs qu'elle implique. Il y a même des khakhamim qui faisait la séouda chélichit scrupuleusement pour ne pas vivre à l'époque de Gog Oumagog.
Sachant que le temple sera reconstruit après cette guerre lorsque je prie Hakadoch Baroukh Hou dans mon cœur pour que ce soit sa volonté de le reconstruire de nos jours rapidement, je ne peux m'empêcher d'avoir dans mon cœur une douleur de me dire que cette prière que je fais implique également que je prie pour la destruction, la guerre...et cette kavana je pense n'est pas parfaite et je viens vers vous pour que vous m'éclairiez Rav.
Est-ce que la Kavana de la reconstruction du temple et de la venue du machiakh doit comporter en elle une prière pour que cette guerre arrive aussi rapidement?
Rav pardonnez mon imprudence dans mes propos s'ils vous choquent,elle est simplement dû à une méconnaissance que je cherche à combler en me tournant vers votre savoir.

Chabbat Chalom Rav

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Nathan Schwob
ven 30/12/2016 - 02:08

La question que vous posez à propos de la prière pour de bonnes choses qui sont liées à d'autres moins bonnes voir tragiques est une excellente question qui n'est pas particulière à la reconstruction du Temple. Il y a souvent une ambivalence dans nos prières.
Un homme qui prie pour avoir un enfant sait bien que sa femme va en souffrir. Un homme d'affaire qui prie pour la réussite d'une démarche commerciale peut en même temps par sa prière entrainer l'échec économique d'une autre personne, sans même s'en rendre compte.
La Michna de Yoma (Chap.5, Michna 1) puis le Talmud (page 53b) racontent qu'à Yom Kippour, lorsque le grand prêtre sortait du Saint des Saints après y avoir déposé l'encens (Ketoret), il priait une courte prière se terminant par ces mots :
" …que la prière des voyageurs pour qu'il n'y ait pas de pluie sur leur route ne soit pas exaucée".
Voilà donc l'exemple classique d'une prière ambivalente, qui pour les voyageurs est bonne tandis qu'elle est nuisible pour les agriculteurs et le reste de la population qui attendent que les réserves d'eau potable se remplissent.
Il est intéressant de constater que le grand prêtre devait "contrer" cette prière par la sienne, ce qui nous amène à tirer quelques conclusions :
1) Il n'y a pas de prière illégitime. La prière des voyageurs exprime un besoin authentique et aurait pu être exaucée.
2) Les besoins du Tsibour, de la collectivité, priment sur ceux de l'individu, c'est pourquoi, la prière individuelle des voyageurs doit être annulée.
Peut-être pour cette raison la prière du grand prêtre suivait immédiatement l'acte de bruler l'encens dans le Saint des Saints. En effet, l'encens symbolise parfois la Kavana, la pensée, or cet encens contient aussi un ingrédient qui sent mauvais et qu'on associe aux autres. Il représente ainsi une pensée de prière qui pourrait nuire à autrui. Le Saint des Saints, c'est la place de l'Absolu. Lorsque l'on prie devant D-ieu et qu'on essaye d'unifier dans sa pensée une vision de l'absolu, il faut pouvoir intégrer toutes les prières. Il se peut que l'homme n'en soit pas capable et lorsqu'on retourne hors du Saint des Saints, dans un monde limité et contingents, il faut mettre des priorités et des limites.

Vous avez donc une première réponse, vous priez pour que tout se passe pour le mieux, même si vous ne savez pas comment cela se réalisera, laissez à D-ieu le soin de résoudre la question.

Dans le même ordre d'idée, Rabbi Yehouda Halévy, explique pourquoi nos prières sont rédigées au pluriel (1ère personne), pour quelle raison la prière doit être publique (Minyan) et pourquoi la prière individuelle en Minyan a plus d'effet qu'une prière individuelle prononcée avec toutes les Kavanot. C'est que le texte de la prière publique ne contient pas de requête qui puissent nuire à un individu alors qu'un individu pourrait demander ce qui porte dommage à d'autres. (Kouzari, Essai III, par.17-19)
Dans votre cas vous priez dans la Amida pour que D-ieu nous sauve et apporte la rédemption, de manière générale. Vous priez aussi pour que le service divin au sein du Temple soit reconstitué, qu'ainsi le peuple d'Israël puisse servir D-ieu suivant Sa volonté et que nos prières et nos actes soient agréés par D-ieu. En fait nous prions essentiellement pour avoir la possibilité d'agir suivant la volonté divine, pour le côté positif et bon des choses, en général, et non pas sur les détails de la réalisation qui reste entre les mains de D-ieu.
De manière plus technique, Rabbi Yehouda Halévy enseigne que la communauté des hommes en prière construit une requête globale et complète, dans laquelle ce que l'un aura manqué ou abimé sera comblé par l'autre, de telle manière que tous les besoins seront exprimés y compris ceux qui sont contradictoires et s'équilibreront ainsi devant D-ieu.

Ceci dit, en ce qui concerne les temps messianiques, rappelons quand même les paroles du Rambam (Michné Thora, Hilkhot melakhim, 12,2), vous y trouverez une réponse supplémentaire :
"Il semble ressortir du sens littéral des paroles des prophètes qu'au début des temps messianiques éclatera la guerre de Gog roi de Magog, et qu'avant cela un prophète se lèvera pour redonner à Israël sa droiture et préparer leurs cœurs… Tous ces évènements ne seront connus qu'après qu'ils se soient produits, parce qu'ils ne sont pas clairs chez les prophètes, que leur interprétation est sujette à discutions et que finalement la crainte et l'amour de D-ieu sont indépendants de la connaissance des détails et de l'ordre de ces évènements".
Voilà, donc le Rambam vous dit de consacrer votre Kavana à l'amour et la crainte de D-ieu et non pas à des évènements dont les détails et l'ordre de leur apparition ne sont pas clair.

Rajoutons encore une règle générale concernant la prophétie et résumée ainsi par le Rambam (Michné Thora, Hilkhot Yessodé Hathora, 10,4) :
"Si les calamités annoncés par un prophète (comme une guerre) ne se réalisent pas, ce n'est pas une remise en question de la vérité de la prophétie, car D-ieu miséricordieux et plein de bonté aura renoncé à envoyer ce malheur ou bien les gens visés se seront repentis et auront été pardonnés. Par contre, si le prophète a promis une bonne chose et qu'elle ne se réalise pas, on peut être sûr que c'est un faux prophète. En effet, D-ieu ne se rétracte pas d'une bonne chose décrétée par Lui. Cela a été expliqué par le prophète Jérémie".
Vous pouvez donc sans scrupules prier pour que la Techouva d'Israël ou la bonté divine soient telles que le côté pénible de la guerre de Gog et Magog ne se réalise pas.

En résumé :
1) La pensée durant la prière doit tenter d'englober les besoins de tout un chacun dans l'ensemble du peuple juif. Pour éviter les contradictions elle restera générale et laissera à D-ieu le soin de la réalisation pour le bien de tous.
2) La prière doit se centrer sur l'essentiel, c’est-à-dire sur tout ce qui permettra d'augmenter la crainte de D-ieu, l'amour de D-ieu et l'accomplissement de sa volonté.
3) Les malheurs de Gog et Magog ne sont pas une fatalité, qui vous empêcherait de prier pour la délivrance compléte.

Bonnes prières et bonnes Kavanot.