Judaisme et dons d'organes

Anonyme (non vérifié)
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mar 24/12/2002 - 23:00

Est il permis d'etre donneur d'organe? En israel ,est ce different? j'ai lu qu' Israel etait en passe d'etre rayer de la banque internationnale d'organe ,tant peu de gens donnaient ,et tant beaucoup recevaient!
Toda Mirosh

Mikael ,Israel

Rav Benjamin David
lun 10/03/2003 - 23:00

Selon la Halakha il existe trois interdits de prélever des organes sur un défunt. Le premier est rapporté dans la Guémara, traité de Avoda Zara (1) qui interdit de tirer un profit quelconque du corps du mort. Le deuxième est de ne pas respecter le corps d'un mort et de salir l'honneur du défunt et de ses proches. Le troisième interdit tient du fait que nous sommes obligés d'enterrer nos morts. Lorsque les organes seront transplantés, nous ne les mettrons pas en terre.
Ces trois interdits existent dans des cas normaux. La torah nous oblige à nous occuper de nos morts et à préserver leur honneur. Cependant lorsque nous avons devant nous un cas de Pikouah' Nefesh, (danger de mort), tous ces interdits sont caduques. Au contraire, prélever les organes pour sauver la vie d'un autre homme, devient une mitsva. Nous apprenons ce principe du verset de la torah qui dit "Véh'ay Bahem"(2): "et vit grâce à elles" : elles, c'est-à-dire les mitsvot. Les mitsvot sont donc source de vie et non de mort. Dans le cas où accomplir une mitsva entrainerait un danger de mort ou enpêcherait de préserver la vie, alors cette obligation s'annule(3). C'est donc le cas de ces trois interdits face à la possibilité de sauver des vies. Selon ce principe, la famille qui accepte de donner les organes, accomplit une mitsva en sauvant la vie d'un autre homme, à propos de laquelle il est dit : "Sauver une vie juive équivaut à sauver un monde entier"(4). C'est l'opinion du H'azon Ich, du Rav Shlomo Zalman Auerbach, du Rav Ovadia Yossef, du Rav Goren…
Cependant certains rabbanim, qui sont en minorité, pensent que puisqu'un mort n'est pas astreint à respecter les mitsvot, il est hors de propos de penser qu'il a l’obligation quelconque de faire don de ses organes pour sauver la vie d’un autre.(5)

la résurection des morts et don d’organes
Une des questions qui intrigue les donneurs potentiels d’organe concerne le grand sujet de la résurection des morts. En effet, un des principes fondamentaux du judaïsme, qui fait partie des 13 articles de foi du Rambam, est que D... fera revivre les morts. Que se passera-t-il alors pour ceux qui ont donné un organe de leur vivant, ou après leur mort?
La réponse des rabbanims à ce sujet est unanime. La résurrection des morts est un miracle. Dans ce cadre il est donc inutile de vouloir réfléchir selon la logique humaine. Si D... peut ramener la vie aux morts même après des centaines d'années, alors qu'aucun organe n'est plus présent dans leur sépulture, D... peut redonner vie à une personne qui aurait donné un rein et peut aussi reconstituer ce rein. De plus, puisque cet organe a permis à l'homme de faire une mitsva, cet organe lui reviendra en encore meilleure santé. Le Gaon de Vilna rapporte, au nom de Rabbi Haim Vital, que lors de la résurrection des morts, les organes seront reconstitués en fonction des mérites et des fautes de l'individu. Pour un homme qui se serait servi d'un organe pour faire du mal dans ce monde-ci, ce même organe sera reconstitué avec une tare lors de la résurrection des morts. De même pour les organes qui ont servi à faire des mitsvot, ils reviendront de meilleure qualité. Cette question ne doit donc pas être un frein pour ceux qui pensent vouloir donner un organe de leur vivant ou après leur mort. (6)

Greffe du coeur ou du foie
La question est encore plus compliquée lorsque l'on parle d’une greffe du coeur ou du foie. En effet lorsqu’une personne meurt, les médecins ont un nombre d’heures limité, après l'arrêt complet du coeur, pour prélever des organes, comme les reins par exemple. Or, dans le cas de la greffe du coeur, à partir du moment où le coeur s’est arrêté, il n'y a pas de possibilité de le faire "revivre" et de le transplanter. Il en est de même pour le foie. La seule possibilité est donc d'opérer alors que le coeur bat encore! Les médecins proposent cette intervention dans le cas d'un homme qui a été grièvement blessé à la tête, et qui est en état de mort cérébrale. Le cerveau est détruit, ou mort, bien que le coeur batte encore. Et cet état peut durer, sans intervention humaine, jusqu’à quelque minutes. Après ce laps de temps, le coeur s'arrêtera lui aussi de battre. Cependant, les medecins ont la possibilité de prolonger cet état durant quelques heures. Ce qui suffira pour amener l'accidenté à l'hopital du receveur et faire la transplantation du coeur.
Pour les médecins, il est clair que la mort est définie par l’arrêt de fonctionnement du cerveau. Et là, apparait le grand dilemne qui se pose aux yeux du judaïsme : la mort est-elle définie par l'arrêt cardiaque ou la mort cérébrale ?
Cette question fait l'objet d'une grande polémique hilkhatique, car pour ceux qui définiraient la mort par l'arrêt cardiaque et non par la mort cérébrale, prélever sur un homme son coeur qui bat encore serait l'achever! Il est clair que cela est interdit, car ce serait tuer un homme pour sauver la vie d'un autre homme. A ce propos, le talmud nous interroge: « Qui te dit que ton sang est plus rouge que celui de l"autre ? »(7). En d’autres termes, qui peut définir quel homme a la priorité sur un autre homme pour vivre ?
Pour ceux qui pensent qu'une mort cérébrale est considérée comme une mort totale, alors il serait autorisé de prélever ce coeur, et ce serait même une mitsva!
Les rabbanim qui autorisent la transplantation du coeur considèrent que la respiration est le signe de la vie. Lorsque le cerveau s'arrête de fonctionner, la respiration s'arrête aussitôt. Cependant le sang est encore plein d'oxygène, de sorte que les autres cellules du corps vivent encore un certaint moment et continuent de fonctionner. Cependant l'homme est tout de même considéré comme mort car pour la Torah, c'est la respiration qui définit la vie: "L'Eternel D… façonna l'homme, poussière détachée du sol, fit pénétrer dans ses narines UN SOUFLE DE VIE et l'homme devint un être vivant" (8). Cette même définition se retrouve dans l'histoire du déluge: "Alors périt toute créature se mouvant sur la terre: oiseaux, bétail, bêtes sauvages, tous les êtres pullulant sur la terre, et toute l'espèce humaine. Tout ce qui était animé DU SOUFFLE DE VIE…expira"(9). La Michena décrit (10) le cas d'un homme enseveli sous des décombres le jour de chabbat. A-t-on le droit de dégager cet homme de dessous les pierres? La michena répond: « S'il y a la moindre chance que cet homme soit encore vivant, nous avons le devoir de transgresser chabbat pour, peut-être, lui sauver la vie, en déblayant les gravats. Si, pendant le sauvetage, nous nous rendons compte qu'il n'est plus de ce monde, nous devons nous arrêter et continuer après chabbat. La Guémara tente de définir les critères de vie ou de mort par les instructions indiquées aux sauveteurs dans les textes: « Même si la personne ensevelie semble inerte, vous devez continuer à déblayer jusqu'au moment où vous avez dégagé le nez. S'il ne respire pas c'est le signe qu'il est mort! »

Selon ces mêmes sources talmudiques, lorsque le cerveau est entièrement endommagé et que le blessé ne peut plus respirer d'une façon autonome, il est considéré comme mort, bien que son coeur continue de battre à l’aide d’une réanimation artificielle.
Les rabbanim ont cité une autre source talmudique afin d'étayer leur décision. La Michena, dans le traité de Oalot (11), dit qu'un homme qui a été décapité est considéré comme mort au moment où la tête a été tranchée, bien qu'il ait encore des convulsions. Un homme qui le toucherait alors qu'il bouge encore serait donc impur et ne pourrait pas entrer dans le Bet Amikdache. Il en est de même pour un mort clinique. Puisque son cerveau ne fonctionne plus il est considéré comme décapité, et bien que son coeur batte encore d'une facon artificielle, il est considéré comme mort. Lui ôter son coeur afin de le transplanter n'est donc pas considéré comme l'achever.

Par contre il y a des rabbanim qui interdisent les greffes du coeur et du foie, car ils considèrent qu'on ne peut statuer de la vie ou de la mort que par le constat du fonctionement des poumons. L'homme est composé de systèmes différents qui dépendent l'un de l'autre. Tant qu'une partie des systèmes continue de fonctionner, peut-on définir que la néchama (âme) de cette personne s'est détachée de lui? Ces rabbanims se basent sur une réponse du H'aham Tsvi (12) qui ne fait pas de distinction entre le système respiratoire et le système cardiaque. Ils expriment là une différence de leur conception de la vie et de la mort face à l’opinion des rabbanim qui autorisent cette greffe.
la science médicale classifie le corps humain en systèmes distincts (système nerveux, système digestif, système cardiaque, respiratoire, occulaire…). Or, cette répartition est artificielle. Elle aide à établir des spécialités médicales et à faciliter la recherche. Mais ils ne veulent pas se laisser prendre au piège de cette classification pédagogique. Ils considèrent que l'homme n'est pas qu'un ensemble d'organes juxtaposés, et que le secret de la vie, ou le passage de la vie à la mort, ne peuvent pas être définis uniquement de cette façon compartimentée. D’autre part, leur deuxième argument est que la présence d'activité cardiaque chez le mort clinique n'est pas insignifiante puisque le coeur est l'organe vital par excellence. Pour le Rav Valdenberg (13) et le Rav Wozener (14), enlever le coeur à un blessé en état de mort clinique revient à le tuer.

Cette position semble aller à l'encontre des textes talmudiques cités plus haut et se base principalement sur la Sévara, l'"entendement" de ces rabbanim.
Le Rav S.Z. Auerbach (15) avait accepté l'opinion des rabbanim qui définissent la respiration comme critère prinicipal de preuve de vie. Cependant, il remet en doute la possibilité des médecins de pouvoir vérifier l'arrêt total de l'activité cérébrale. Le cerveau est un organe complexe, dont nous n'avons pas encore découvert tous les secrets. A-t-on vraiment la connaissance et les moyens techniques d'affirmer d'une manière certaine que le cerveau a cessé toute activité? Peut-être même que les vérifications effectuées par les médecins risquent d'entraîner elles-mêmes un changement dans l'état de santé du malade qui influerait, ou même activerait sa mort, ce qui serait bien entendu interdit ? C’est pour cette raison qu’il s'est aussi opposé aux greffes du coeur.

Le Rav Moshé Feinstein s’opposait aussi à ce type de greffe. Dans les années 70, il a interdit les greffes du coeur car la grande majorité de ces greffes se terminait par des échecs, et les techniques de vérification de l'activité cérébrale n'étaient pas encore au point. Quinze ans plus tard, au vu de l'évolution de ces données, il est revenu sur sa position et a autorisé les greffes du coeur (16).

En pratique aujourd’hui
Concernant le don d'organe en dehors d'Israël, le Rav S.Z. Auerbach, bien qu’opposé au don d’organe en Israël, permet le don d’organe en dehors d’Israël, comme la plupart des autres rabbanim. En effet, la législation des autres pays ne prend pas en compte la halah'a. Les prélèvements d’organes se font sans consulter spécifiquement les rabbanim, et le receveur juif n’a aucune influence sur cet état de fait. Ces transplantations d’organes lui sont donc permises. Par contre , il lui est interdit de faire don de ses organes, toujours à l’étranger, car ils ne seront pas prélevés selon les lois de la halah'a.

En 1987 à la suite d'une requête du ministère de la santé, la Rabbanout Arachit (le grand Rabbinat d'Israël) a créé une commission d'éthique sur le sujet. Les grands rabbins d'Israël de l'époque, le Rav Avraham Chapira et le Rishon letsion le Rav Mordéh'ay Eliyaou, ainsi que les autres rabbins de cette assemblée, ont autorisé les greffes du coeur et du foie à l'hopital Hadassa Ein Kerem de Jérusalem, sous certaines conditions. Ils précisent que selon leur avis l'arrêt du système respiratoire est le critère qui définit la mort d'un homme. Mais ils ont demandé que cette vérification soit faite de la façon la plus rigoureuse possible, et qu'un représentant de la rabbanout, reconnu aussi par le corps médical, fasse partie de l'équipe qui se prononcera sur l'état du malade. Malheureusement cette dernière condition, sine qua none, n'a pas été acceptée par le ministère de la santé, de sorte que de l'accord de la Rabbanout Harachit n'est resté qu'un accord de principe tout à fait théorique.
Ces deux dernières années, la situation a évolué. C'est le Professeur Yonathan Alevy, Directeur de l'hopital Chaaré Tsédék de Jérusalem, qui a été nommé à la tête de la commission nationale pour les transplantations d'organes. En tant que juif pratiquant, il a essayé de renouer le dialogue entre le corps médical et le corps rabbinique. Lors du renouvellement du permis de conduire, il est proposé au citoyen israélien de signer une déclaration, la carte ADI, qui prouverait en cas d'accident que la personne est prête à donner ses organes pour des greffes. Ces dernières années, un alinéa a été rajouté: "Voulez-vous que les greffes soient effectuées en accord avec une autorité religieuse ? Si oui, laquelle?". Or, à ce jour, aucun représentant officiel de la Rabbanout Arachit, spécialisé dans ce domaine, n’a encore été nommé pour participer aux commissions médicales qui étudient ce type de dossiers.

Cette situation montre l'importance primordiale des bonnes relations et de la confiance que devraient entretenir les différentes parties. Aujourd'ui, Israel est l'un des pays occidentaux où il y a le moins de donneurs d'organes. Il est probable que si, dès le départ, une relation de confiance avait été instaurée entre les rabbins et les médecins, ils auraient pu, ensemble, encourager le public à signer cette carte ADI, et que nous serions, dans ce domaine aussi, en tête dans le groupe des pays occidentaux, comme nous savons l'être dans d'autres domaines médicaux.

Références :
(1) : Guémara, Traité Avoda Zara (29B)
(2) : Livre Vaykra, Chap. XVIII, verset 5.
(3) : Guémara, Traité de Yoma, 85b
(4) : Michna, Traité de Sanhédrin, chap. IV, michna 5
(5): Minh'at Yitsh'ak tome 5, 8.
(6): Introduction du Michena Broura, tome 3.
(7): Talmud Babli, Sanhédrin, 74a.
(8): Béréchit 2,7.
(9): Béréchit, 7,21-22.
(10): Guémara, Traité de Yoma, 85a
(11): Michena, traité de Oalot, chap 1, michena 6.
(12) : Responsa H'aham Tsvi, 77.
(13) : Livre Assia, année 1993, Tome 7, p. 149 à 162.
(14) : Livre Assia, année 1993, Tome 7, p. 163 à 165.
(15) : Livre Assia, année 1993, Tome 7, p. 148b.
(16) : Livre Assia, année 1993, Tome 7, p. 137 à 148.