Sexualité avant le mariage

Deborah Navah
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jeu 14/03/2019 - 21:05

La sexualité est-elle totalement interdite avant le mariage ?

Y a t-il des exceptions ou des autorisations ?

Comment devrions-nous envisager l’abstinence avant de passer sous la houpa ?

Nous avons d’un côté la mitsva de nous marier -qui en soi est devenue très compliquée, plus encore pour les personnes divorcé•e•s- mais aussi, le devoir de respecter son corps, qui est aussi une halakha.

Or on sait que ne pas vivre dans l’épanouissement sexuel crée des blocages importants, tant physiques, émotionnels que psychologiques, et sans parler des maladies que cela provoque (?).

Je parle de tous ces célibataires hommes et femmes religieux•ses qui ont dépassé la trentaine bien tassée, et qui finissent par ne plus comprendre le sens de ces interdits.

Y-a-t-il des rabbanims ou des rabbaniotes qui se sont penché•e•s sur le sujet et qui sont plus permissifs•ve•s?

Pouvez-vous mettre des sources à votre réponse.

Et merci pour tout ce que vous faites. 

Rav Samuel Elikan
dim 17/03/2019 - 14:11

Shalom,

Les questions que vous posez sont très sensibles et j'essaierai d'y répondre avec un maximum de clarté.

Je m'excuse dorénavant s'il y aurait là un manque de sensibilité de ma part. Je sais que l'on pose ce genre de questions avec le cœur lourd, généralement, et je prie que les mots que j'utilise seront les bons et ne heurteront pas vos sentiments.

 

La sexualité est-elle totalement interdite avant le mariage?

Oui (cf. Sh. Ar. EH §21 avec comm., etc.).

 

Y a t-il des exceptions ou des autorisations?

Non.

(Par honnêteté intellectuelle, il me faut signaler qu'il y a un avis, proposé par le Rav Yaakov Emden (resp. Sheilat Yaavetz, II, §15) selon lequel un couple qui s'engage à être ensemble, sérieusement, aurait le statut de pileguesh, mais cela ne peut être valable, que si c'est quelqu'un avec lequel on s'engage. Quoi qu'il en soit cet avis n'a pas été retenu. Pis encore, certains ont demandé à ce qu'il soit effacé des livres ! Un de mes maîtres, disait que ces propos étaient une erreur et qu'ils n'auraient jamais dus être publiés... etc.)

 

Comment devrions-nous envisager l’abstinence avant de passer sous la houpa?

Selon la loi juive, la sexualité est un aboutissement, celui d'une relation, d'un lien, particulier, intime.

Le rav Yossef Dov Soloveitchik enseigne dans plusieurs de ses écrits (cf. notamment Adam ouBeito, p. 79-80 ; Oubikashtem Misham, p. 207-215), que la sainteté ne peut résider que lorsqu'il y a un travail qui est fait, une préparation ; ce qu'il appelle un sacrifice. Lorsque les commandements sont le paradigme des plaisirs physiques, dit-il, l'action physique, sexuelle, devient plénitude et proximité du Divin. 

Le Rabbi de Komerna dans son livre "Notzer H'essed" écrit que quiconque n'est pas marié, ne s'engage pas, ne peut pas connaître la avoda temima, c'est-à-dire le rapport au Divin de manière authentique, pleine et entière : "c'est là la vraie crainte du Ciel, parce que s'il n'y a pas de base, il ne peut pas y avoir de construction, de bâtiment, et nous, nous construisons et nous nous élevons de bas en haut".

Le Rav Kook enseigne (Eiyn Aya, Shabat, 12, §44) que la sainteté de l'Alliance, la fidélité, l'engagement, ce que l'on appelle en hébreu brit, est la marque la plus profonde de l'âme juive. La sexualité, ainsi, à sa source, est la chose la plus sainte qui soit, puisqu'elle nous permet de sceller une Alliance. C'est donc bien un aboutissement.

Le Shl"a HaKadosh va même plus loin (Sha'ar Ha'Otiot, E'mek Berah'a, §75 - la sainteté de l'Union) en disant que la sainteté de l'Union entre un homme et une femme est la plus grande des saintetés qui existe, à condition de se sanctifier pour cela.

Or la sanctification passe par une préparation et un engagement. Ce n'est pas pour rien que se marier se dit en hébreu lekadesh - qui signifie "sanctifier". 

Une chose n'est sanctifiée que lorsqu'elle est particulière, qu'elle est mise à part, détachée du reste du monde et vouée à une seule chose, séparée. L'homme et la femme doivent se séparer, d'une certaine manière du reste du monde, et se vouer l'un à l'autre pour se sanctifier, mutuellement. C'est cela l'essence même du mariage. 

Toutes ces choses n'auraient plus aucun sens, sans abstinence avant le mariage.

 

Nous avons d’un côté la mitsva de nous marier - qui en soi est devenue très compliquée, plus encore pour les personnes divorcé•e•s - mais aussi, le devoir de respecter son corps, qui est aussi une halakha.

Seuls les hommes, selon la loi juive, sont astreints à se marier. Les femmes n'ont pas ce devoir (Sh. Ar. EH 1 et comm.).

Par ailleurs, je ne sais pas ce que vous entendez par devoir de respecter son corps. Si quelqu'un fait de la gymnastique, à tel point qu'il en souffre et déformerait son corps en faisant du bodybuilding ou je ne sais quoi, à ce que je sache, il n'aura commis aucun interdit, tant que ce n'est pas dangereux pour la santé...

 

Or on sait que ne pas vivre dans l’épanouissement sexuel crée des blocages importants, tant physiques, émotionnels que psychologiques, et sans parler des maladies que cela provoque (?).

Je suis d'accord avec vous que nous vivons dans une époque complètement psychologisé où tout "manque sexuel" est souvent, parfois un peu "forcément", vécu comme une frustration. Mais de là à apporter légitimation à toute sortes de choses, il y a un pas.

A un niveau théorique, on pourra exprimer les choses de la manière suivante : de la même manière qu'il y a certaines pulsions qui sont jugées comme illégitimes dans le paradigme de notre société moderne, comme par exemple la zoophilie ou la pédophilie, etc., ainsi certaines choses (qui n'ont rien de comparable avec la zoophilie ou la pédophilie, bien heureusement), sont considérées comme illégitimes dans le paradigme normatif de la loi juive : tels, l'acte homosexuel et des relations extra-maritales, bien qu'elles soient (souvent) considérées comme légitimes dans le paradigme du monde moderne, occidental. La Torah considère ces actions comme illégitimes. On peut être d'accord avec cela ou pas, y adhérer ou pas, cela reste toutefois ce que dit la Torah. Je sais que ces choses sont très difficiles à entendre et à vivre lorsqu'on est directement concerné et que le fait que ce soit toléré et légitime dans le monde dans lequel on vit ajoute encore plus de frustration à cela. Ce n'est pas évident du tout et toute l'empathie du monde arrive à peine à frôler la douleur immense que l'on peut alors ressentir.

A un niveau pratique, le fait qu'il puisse y avoir des blocages, des frustrations et des douleurs psychologiques, parfois terribles à vivre, il faut le reconnaître, voire des dépressions, ne justifie pas de transgresser de graves interdits de la Torah. La solution préconisée par la halah'a : s'engager, se marier et gérer ces problèmes ensuite. Parce qu'ensuite, pleins de choses peuvent être mises en place.

 

Je parle de tous ces célibataires hommes et femmes religieux•ses qui ont dépassé la trentaine bien tassée, et qui finissent par ne plus comprendre le sens de ces interdits.

C'est une réalité très dure que vous décrivez et ceux qui ne sont pas passés par là ne peuvent pas comprendre ni le poids, le fardeau de la solitude, ni la difficulté de l'attente social - des remarques mal placées "quand est-ce que tu te maries, enfin" etc. de la part de toute la bande d'amis d'enfance qui sont bientôt grands-parents... ; combien cela peut être vexant, combien ce n'est pas évident. Et la difficulté d'aller encore à un rendez-vous et à un autre et de rencontrer encore et encore et encore des gens, mais rien ne va comme prévu, personne qui ne nous comprend, et le poids de devoir tout recommencer à chaque fois depuis le début, se présenter et le même refrain... comme si les gens appuyaient sur le bouton "play" dans un mouvement de fatigue intérieure et l'autre qui regarde en face en ressentant que finalement il y a là quelque chose de "vide". Frustration, puis frustration supplémentaire, au point qu'on en a marre... On veut sortir de là, mais c'est très difficile.

Mais il faut savoir qu'on peut recevoir de l'aide. Il y a des gens qui peuvent vraiment aider. En Israël, par exemple, je sais que la psychologue Naomi Wolfson (qui est francophone, entre autres), pour ne citer qu'elle, a aidé de nombreuses personnes à sortir de ce tourbillon de désolation et de solitude. Il y en a de nombreux autres. Ne pas hésiter à demander de l'aide professionnelle, par des gens formés pour ça.

 

Y-a-t-il des rabbanims ou des rabbaniotes qui se sont penché•e•s sur le sujet et qui sont plus permissifs•ve•s ?

Penchés sur le sujet, oui.

Permissifs, c'est-à-dire permettre des relations sexuelles entres des individus qui ne sont pas mariés, comme dit, non, parce que la halah'a est très claire à ce sujet.

 

J'espère avoir pu, à défaut de vous avoir donné toute ma compassion, répondre à vos questions.

 

Cordialement,