Sexualité avant le mariage

mick636
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mer 27/03/2019 - 12:08

Il y a eu, il y a un ou 2 ans, une conférence d'un dayan (Uriel Aviges) venu de New York, à Paris sur le thème des agounot (ces femmes dont le maris refusent de donner le guet). Dans l'assistance, il y avait entre autre Emmanuel Bloch. Vous devriez pouvoir trouver son cours sur internet

A la fin de sa conférence, ce dayan  proposait la solution de supprimer les kédouchin (la bague que l'on donne) et de modifier les nissouyin (le mariage sous la houpa), car selon tous les décisionnaires (en dehors de Maimonide) le concubinage serait permis à condition de respecter deux conditions:

- les lois de pureté comme un couple marié

- d'éviter l'interdit de kédécha (prostitution) et c'est le cas quand les relations sont avec le même partenaire et gratuites.

Il faisait remarquer que l'on perdait certes la dimension de sainteté par rapport aux mariages, mais on évitait ainsi, outre la souffrance de ces femmes, le risque de mamzerim.

En effet, dans un tel cas, inutile de demander un guet à son mari, quand on veut mettre un terme à la relation.

Mais rien n'empêche non plus après un certain temps, de contracter un mariage traditionnel.

Il parlait aussi de ces jeunes gens religieux qui ne se mariaient que pour pouvoir avoir des relations sexuelles. Et évidemment quand un mariage n'est fondé que sur cela, il ne dure guère.

Même sans tenir compte de l'avis de ce dayan, on pourrait très bien, tout en restant dans le cadre de la halaha que vous décrivez (mariage puis guet) enchaîner les histoires. Mais on passerait complètement à côté de ce qu'est le mariage et le couple. On serait dans la loi, mais surement pas dans son esprit.

Ceci dit, tout ce que vous dites sur la vie sexuelle est très juste. Il est dommage que la plupart du temps, les cours qui précèdent le mariage soient axés uniquement sur la halah'a (qui est certes primordiale) et pas assez sur ce qu'il y a derrière.

 

Rav Samuel Elikan
mar 03/09/2019 - 20:41

Shalom,

Vous écrivez :

"selon tous les décisionnaires (en dehors de Maimonide) le concubinage serait permis à condition de respecter deux conditions: les lois de pureté comme un couple marié ; d'éviter l'interdit de kédécha (prostitution) et c'est le cas quand les relations sont avec le même partenaire et gratuites".

Je crois, malheureusement, que cela soit tout à fait inexact.

En dehors de nombreux rappels existant dans la Bible, dans le Talmud, à part pour expliquer certains passages bibliques, il n'est quasiment nullement fait mention du concept de concubinage, du moins dans son sens casuistique : par exemple, comment une concubine arrête-t-elle d'être concubine, doit-on lui écrire un guett, etc. Il n'y a par ailleurs aucune histoire (ma'asseh rav) concernant des concubines qu'auraient pu avoir des tannaïm ou des amoraïm

Le concept de concubinage n'a été "remis à l'ordre du jour" que plus tard dans certains lieux orientaux, élément qui a relancé le débat halah'ique sur le sujet.

L'avis du Rambam, selon sa version des propos de Rabbi Yehouda dans le Talmud (TB Sanhédrin 21a) est qu'une concubine n'a ni Ketouba, ni Kidoushin et donc il est interdit de prendre une concubine (hil. Ishout 1,4), sauf pour un roi (hil. Melah'im 4,4) qui doit faire un "yih'oud" avec celle-ci.

Ce constat provient du fait que dans la Bible, seuls les rois, les dirigeants politiques ont des concubines (ce qui explique le passage de pileguesh baGiva comme une lutte pouvoir).

Rashi, quant à lui, a une autre version dudit passage talmudique, selon laquelle la concubine peut se marier, mais sans Ketouba (cf. Rashi Bereshit 25,6). On ne connaît pas son avis si c'est valable pour tout homme ou seulement pour un roi (comme cela semble être le cas) et s'il faut un guett ou pas... Mais il semblerait que ce serait nécessaire, selon son avis  (cf. resp. Rashba (attribué au Ramban), VII, §284 et Minh'at LeAharon (Wolff), p. 11 qui disent bien qu'il faudrait alors un guett).

L'avis du Rosh (resp. Klal 35, §10) aussi est qu'il faut un guett dans les cas de concubinage.

Il semblerait que ce soit également l'avis de nombreux décisionnaires (Rav H'esdai bar Shlomo cité dans resp. Rivash §398 ; Likoutei HaRav Betzalel (auteur du Shita Mekoubetzet) sur Guittin au nom du Ritva, rapporté par le H'ida dans Birkei Yossef EH 26,1 et dans resp. H'ayim She'al I, §4 al. 2).

Qu'aurait-on donc gagné ?

 

Par ailleurs, l'avis du Rambam est qu'une telle relation avec une femme relève de l'interdit de prostitution (cf. ici : https://cheela.org/conversation/84448/84448/Masturbation-vs-rapports-interdits en note 2), qui est un interdit de la Torah (cf. Kessef Mishneh et Leh'em Mishneh sur hil. Melah'im 4,4 ; Arouh' HaShoulh'an EH 26,9 cf. aussi resp. Binyamin Ze'ev §112) !

C'est également l'avis du Rema (EH 26) au nom du Tour et du Rosh et de Rabbenou Yonah (Sha'arei Teshouva, §94).

Selon d'autres, l'interdit proviendrait du fait qu'il y a en cela une annulation du concept de mariage, tel que prévu dans la Torah - c'est l'avis du Markevet HaMishneh sur Melah'im 4,4, du Sefer HaMiknah dans son Kountrass Ah'aron 26,1 ; Yeshouot Yaakov EH 26 ; Maharit sur le Rif, au début du traité de Kidoushin.

Selon d'aucuns ce serait formellement interdit par nos Sages, soit du fait du décret du roi David de ne pas prendre une femme sans se marier avec elle (c'est l'avis du Rivash - resp. §395 et §398 et du Radbaz, resp. VII, §33), soit du fait qu'il engendre des interdits, puisqu'elle aura honte d'aller se tremper au Mikveh, sans être mariée (Yad Rama sur Sanhédrin 21a ; Lev Saméah' sur Sefer HaMitzvot, Shoresh 5 et là bas il dit avoir vu cela également dans les écrits du Radak).

L'avis du Ramban (dans le resp. cité plus haut, adressé à Rabbenou Yona) est certes que le concubinage n'est pas interdit par la Torah, mais que ce n'est pas une chose à faire a priori, il semble dire que c'est contraire à l'esprit de la Torah et à la Volonté Divine.

L'avis du Ra'avad (sur hil. Ishout 1,4) qui permet le concubinage est qu'il n'y a besoin d'aucun acte formel à cela. Selon lui, une concubine s'occupe également des besoins de la maison mais n'est pas considérée comme femme. Dans hil. Melah'im 3,2, le Ra'avad écrit que bien qu'un roi n'ait pas le droit d'avoir plus que 18 femmes (selon TB Sanhédrin 21a) les concubines ne font pas partie de ce nombre et il peut en avoir autant qu'il en veut, en plus de cela. Quelle femme juive voudrait fonder un foyer de la sorte, en n'étant pas considérée comme femme, comme membre d'une alliance, d'un engagement quelconque ?! 

Par ailleurs, le Rav Moshé Lima dans son commentaire H'elkat Meh'okek sur le Shoulh'an Arouh' (EH 26,1) écrit que tous les avis permettant à tout homme de prendre une concubine l'interdisent au moins rabbiniquement, et ce par kal vah'omer de l'interdit d'yih'oud. Il suit en cela le resp. Rivash (§398) et resp. Radbaz (§33) qui comprennent l'avis du Ra'avad comme permettant selon la Torah, mais interdisant rabbiniquement, d'avoir une concubine.

Comme on peut le voir dans le Shoulh'an Arouh' (Even HaEzer 26,1) et dans ses commentateurs, selon l'écrasante majorité des décisionnaires il est formellement interdit de prendre une concubine, sans se marier, nonobstant le fait que l'interdit soit d'ordre rabbinique ou de la Torah.

 

Vous écrivez encore :

"Il parlait aussi de ces jeunes gens religieux qui ne se mariaient que pour pouvoir avoir des relations sexuelles. Et évidemment quand un mariage n'est fondé que sur cela, il ne dure guère".

Nous avons cité dans notre réponse précédente l'avis du Rav Yaakov Emden (resp. She'ilat Yaavetz II, §15) et avons noté que c'était un avis unique, esseulé, et fortement remis en question et que lui même avait proposé cela à condition que d'autres rabbins se joignent à lui, ce qui ne fut pas le cas.

En 1931, une telle proposition avait déjà été faite et quasiment tous les rabbins de l'époque qui traitèrent de la question s'insurgèrent là contre. cf. notamment ce qu'écrit à ce propos le Rav Yossef Moshé Toledano, dans ses responsa Yam hagadol, E.H 75 ainsi que le Rav Henkin, considéré alors comme la plus grande autorité décisionnaire des USA (et maître de mon maître le Rav Rabinovitch), dans Kitvei HaGri"a Henkin, t. I, Peroushei Ibra, New-York, 1980, §4 et id. Lev Ibra, p. 18-19 ainsi que t. II, Jérusalem, 1989, p. 108, 111, 119 et 122. 

Un rabbin contemporain, le Rav Eliahou Abergel proposa lui aussi (resp. Dibrot Eliahou t. VIII, §93) de permettre le concubinage, dans un cas de mariage où le guett ne pouvait pas être donné à la femme (soit parce qu'elle a fui ou le refuse), si l'homme n'avait pas accompli le commandement de priah oureviah, c'est-à-dire d'avoir eu des enfants.

Le Rav Itzh'ak Zar, dayan à Tel-Aviv, dans un décret de tribunal rabbinique écrivit avec d'autres rabbins, en long et en large, que cette réponse du Rav Abergel n'avait aucune source sérieuse sur laquelle s'appuyer et qu'on ne peut donc absolument pas s'y fier ou agir selon cela.

Ses propos sont disponibles ici, en hébreu : http://www.daat.ac.il/he-il/mishpat_ivri/havot-daat/mishpaha/zar-pilegesh.htm

En 2006, le prof. Tzvi Zohar publia dans la revue Akdamot (n°17, Shevat 5766), de l'institut Beit Morasha, un article préconisant le concubinage comme solution aux couples religieux ne voulant pas se marier (https://www.bmj.org.il/userfiles/akdamot/17/zohar.pdf).

Cet article engendra une vive réaction - dans la même revue

- de la part du Rav Yehouda Herzl Henkin, auteur des responsa Bnei Banim (et petit-fils du rav Henkin, cité plus haut), qui soutient qu'une telle approche constitue la fin de la notion d'alliance, de famille, de sainteté, d'engagement et de prise de responsabilité, à bien des niveaux et que c'est contraire à la loi juive. Son article est disponible ici : https://www.bmj.org.il/userfiles/akdamot/17/henkin.pdf

- du Rav Shemouel Ariel, qui est aujourd'hui à la tête du Kollel de la Yeshiva de Yerouh'am, et qui montre bien que le concubinage n'est pas juste le fait d'être des "petits-amis" et de vivre ensemble, mais qu'il y a d'autres implications qui ne sont que très peu souhaitables à bien des niveaux. Son article est disponible ici : https://www.bmj.org.il/userfiles/akdamot/17/ariel.pdf

- et des rabbaniot Mih'al Tikotchinsky (qui fait partie de la direction du séminaire pour enseignants de Kodesh, Mih'lelet Hertzog) et Rah'eli Sprecher-Franckel (yoetzet halah'a et enseignante à Nishmat et à la tête du programme intensif d'étude d'halah'a, en 5 ans, appelé "Hilh'eta", pour femmes, à l'institut Matan), qui montrent qu'une telle approche nuit avant tout et plus que tout aux femmes.
Leur article est disponible ici : https://www.bmj.org.il/userfiles/akdamot/17/tiko.pdf

Ces trois articles, entre autres, montrent bien que d'une part le concubinage n'est pas une solution halah'ique possible, puisqu'il s'agit d'un avis minoritaire qui ne fait pas partie du consensus halah'ique, et d'autre part, l'application du concept de concubinage, même selon ces avis minoritaires, ne correspond en rien au concept de vie commune (qui peut être temporaire notamment).

Par ailleurs, ils ajoutent que cette "solution" est une porte ouverte à la déculpabilisation face à l'adultère et à la prostitution dans son sens halah'ique et nuirait grandement aux femmes.

Puissions-nous servir Dieu dans la sainteté et le respect de chacun, tout en préservant la sainteté du couple et de la famille.

Cordialement,