Conversation 15306 - Sionisme religieux et orthodoxie moderne

franciz
Mercredi 14 avril 2004 - 23:00

Kvod Harav Chalom,

J'avais lu une fois sous la plume d'un universitaire isréalien que le courant moderne orthodoxe se confondait avec le sionisme religieux. N'ayant pas d'idées arrêtées sur la question j'aimerais savoir en quoi cette affirmation vous paraît fallacieuse. Merci de votre éclairage

Rav Elyakim Simsovic
Jeudi 15 avril 2004 - 23:00

Il est toujours extrêmement périlleux de répondre de manière tranchée à ce type de question lorsqu'on ne sait pas avec exactitude ce qui a été dit et comment cela a été dit.
De plus le terme "moderne" est très ambigu. Il risque d'impliquer une "rupture" ou du moins une "évolution" par rapport à ce qui serait considéré comme "ancien" et en matière d'orthodoxie une telle notion est quelque peu paradoxale.
Cette affirmation ne paraît donc ni exacte ni fallacieuse mais surtout imprécise.

Eliezer
Jeudi 15 avril 2004 - 23:00

Shalom lekulam,

Pour éclaircir la question de "l'orthodoxie moderne" (question 15306 entre autres) c'est un terme que j'ai toujours entendu associé au nom de r. Shimshon Raphael Hirsch et à son "Torah im derekh eretz". Il se place résolument dans l'optique juive "orthodoxe" : validité absolue de la halakha et des mitswot, etc. ; le judaïsme "normal", quoi, par opposition aux libéraux et consorts. Mais il considère que ce respect inconditionnel de la halakha ne doit pas mener à une coupure radicale avec la modernité naissante: au contraire, les juifs doivent participer à la vie de la société globale en exerçant un métier, en étudiant dans une certaine mesure les sciences... L'orthodoxie "moderne" se ditingue donc de ce que d'aucuns appellent l'"ultra-orthodoxie" en ce qu'elle considère que la yeshiva n'est pas l'unique horizon de la vie juive. Autant dire que c'est une vision très répandue dans toutes les communautés orthodoxes, et qu'il n'y a plus aujourd'hui de raison de la distinguer de l'othodoxie simple. C'est aussi une vision "galoutique" puisqu'en Erets le problème de la participation à la société environnante se pose en d'autres termes. En Israël, on peut effectivement considérer les Mizra'him comme "orthodoxes modernes" dans le sens où ils intègrent dans leur optique religieuse ce phénomène moderne qu'est le sionisme politique - ce qui les distingue de Mea Shearim.
En espérant avoir fait avancer la discussion, je vous souhaite Shabbat Shalom.

Rav Elyakim Simsovic
Samedi 17 avril 2004 - 23:00

Sauf que le mouvement de R. S.R. Hirsch est communément appelé la néo-orthodoxie (et souvent la néo-orthodoxie allemande) et non l'orthodoxie moderne.
Ce n'est pas seulement de Méa Chéarim que se distinguent les "sionistes religieux", Méa Chéarim étant lui-même un îlot minuscule bien que passablement bruyant, au sein de la société religieuse, toutes tendances confondues.

J'ajouterai que ce n'est pas tant par rapport à l'exercice d'un métier - ce que les Juifs avaient toujours fait à travers les âges - que la participation à la vie de la société est recommandée, mais surtout par rapport à la culture (pardon Kultur) allemande. N'oublions pas que c'est en allemand que R SR Hirsch a rédigé tous ses ouvrages. Il a été l'artisan d'un approfondissement de la réduction du judaïsme à n'être qu'une religion et de l'enfermement des néo-orthodoxes dans un ghetto spirituel coupé non pas tant de la société allemande mais de la société juive qu'ils considéraient moins religieuse qu'eux-mêmes (création des "communautés séparées" = Austritts Gemeinde). Thora im Derekh Erets a fini par signifier quelque chose comme soit Juif chez toi et Allemand dehors et il est indéniable qu'il y a eu une époque d'osmose entre la société juive et la culture allemande qui a donné entre autres la Wissenschaft des Judentums et une explosion d'études juives (y compris par de "purs" Allemands) qui ont fait dire par boutade que l'allemand était la dernière en date des langues sémitiques.

Eliezer
Samedi 17 avril 2004 - 23:00

Shalom Rav,

suite à la 15320,
Merci pour votre prompte réponse. J'ignorais effectivement que les néo-orthos en étaient venus par le passé à former des communautés séparées. Décidément la mentalité judéo-allemande d'alors m'est bien étrangère... Il me semble qu'aujourd'hui ces différends se sont beaucoup apaisés, par suite de la décrue du positivisme scientifique à tout crin et du nationalisme européen. Mais c'est peut-être une vision naïve que la mienne... Ce qui m'amène à une autre interrogation : pourquoi les communautés ashkénazes ont-elles eu une tendance plus prononcée que les séfarades à former des communautés idéologiquement opposées (c'est en Europe que sont nées les "scissions" libéraux / mitnagdim / hassidim / néo-ortho, sans parler des inventions américaines humaniste, reconstructionnistes et autres)? Il me semble que le monde séfarade est resté relativement à l'écart de ces divisions, au XIXe siècle du moins, mais peut-être que là encore je m'illusionne? Je serais ravi d'avoir votre point de vue sur ce sujet; vous pouvez me répondre par mail si vous craignez que cela encombre ce site formidable qu'est Cheela.
Merci pour tout.

Rav Elyakim Simsovic
Dimanche 18 avril 2004 - 23:00

Non, vous ne vous trompez pas, quant aux différences de - disons sensibilité - entre les communautés ashkénazes et séfarades, malgré les différences existant aussi entre ces dernières. Les sujets sur lesquels elles se divisent sont bien différents (essayez de chanter un air de Keter de Souccoth à Pessa'h ou un air de Constantine à Oran, vous aurez une idée de ce qu'est une mahloqet sérieuse à la séfarade).
Je crois que quiconque peut proposer une analyse ou une interprétation des raisons de la divisionnite qui atteint les communautés ashkénazes est en droit de le faire pour autant qu'il puisse avancer des arguments sensés.
Je partirai quant à moi du résultat : nous assistons à cette fragmentation. Or, nous avons pour tradition apprise de la mahloqet de Qorah et de sa bande qu'une faction qui se sépare de la collectivité au nom de quelque revendication qui n'est pas "leshem shamayim", c'est-à-dire qui ne vise pas en fin de compte la réalisation du projet divin : que Son Nom soit honoré sur toute la terre, une telle faction est vouée à se fractionner à l'infini en poussière de groupuscules (quelle que soit leur taille numérique).
C'est aussi une conséquence, me semble-t-il du bouleversement sociologique qui a atteint la société juive européenne, surtout à l'Ouest pour commencer, et a transformé cette société en communautés religieuses. En effet, l'appartenance à une famille, à une société, à un peuple, est indépendante de la conduite ou des idées. Les deuxièmes peuvent être contestées ou discutées, la première sanctionnée ou condamnée, le sujet n'en reste pas moins membre de son peuple. Mais on ne reste pas membre d'un club ou d'un parti dont on ne partage pas les idées et un groupe rassemblé autour d'une idée et non autour d'un projet d'identité a tendance à exclure ou éloigner ceux qui ne se conforment pas à l'"orthodoxie" c'est à dire à la manière de penser dite droite : ortho (droite) doxa (pensée, croyance) [aujourd'hui cela s'appelle le "politiquement correct"].
J'ajouterai que pour l'Europe de l'Est, les ruptures sont venues de l'influence des yéshivoth lituaniennes lorsque l'apprentissage des diverses positions à l'égard de ka halakha a produit une tendance à l'excellence par la houmra, en rupture avec les traditions familiales et des collectivités d'origine.
Or, les sociétés d'Afrique du Nord sont restées à l'abri de ce type de déviation idéiologique.
Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, en particulier pour découvrir que la rupture avec la tradition n'est pas toujours du côté qu'on croit.

franciz
Lundi 19 avril 2004 - 23:00

suite à la réponse 15355

Kvod Harav Shalom,

Je ne comprends pas votre affirmation :

" J'ajouterai que pour l'Europe de l'Est, les ruptures sont venues de l'influence des yéshivoth lituaniennes lorsque l'apprentissage des diverses positions à l'égard de ka halakha a produit une tendance à l'excellence par la houmra, en rupture avec les traditions familiales et des collectivités d'origine."

N'est-ce pas plutôt la 'hassidout originelle notamment en ce qu'elle éloignait originellement le judaïsme de l'étude des textes, privilégait l'approche émotionnelle, exponentialisait l'importance du maître, qui a constitué la rupture ? Je serais aussi intéressé d'avoir l'approche du Rav Kahn sur la question.
En passant je serais heureux que vous m'indiquiez des indications bibliographiques - notamment d'ouvrages disponibles en France, en français, anglais, hébreu - concernant le judaïsme lituanien et ses rapports avec la 'hassidout.

Merci pour votre réponse.

Bien à vous.

Rav Elie Kahn z''l
Mardi 20 avril 2004 - 23:00

Je n'ai pas trop suivi votre long change de correspondance avec le Rav Simsovic.
Je ne partage pas l'opinion du Rav Simsovic qui attribue à la philosophie du Rac Samsom Raphael Hirsch la position que l'on attribue généralement à Moses Mendelsohn (sois un Juif à l'intérieur et un Allemand à l'extérieur). Or la Rav Hirsch se livre à une attaque en règle contre Mendelsohn dans ses 19 lettres sur le Judaïsme.
De même que le Rav Hirsch a du se retourner dans sa tombe quand on a cité son nom dans la même phrase que les sciences du Judaïsme (Wissenschaft des Judentums), qu'il attaque avec encore plus de vigueur qu'il n'attaque Mendelsohn.
Et le phénomène de séparation des communautés n'est pas lié qu reste de la philosophie du Rav Hirsch, puisque certains rabbins (comme le Rav Azriel Hildesheimer) partageaient son approche générale de la société et de la religion, mais refusaient cette séparation.

Concernant les divisions dans le monde achkenaze, plus marquées que celles du monde sefarades (l'exemple donné par le Rav Simsovic sur les divisions dans le monse sefarades est plus folklorique qu'autre chose), certains historiens l'attribuent au fait que le monde sefarade n'a pas eu à affronter un mouvement analogue au mouvement réformé en Europe. En effet, une grande partie des tenants de la modernité en Afrique du Nord ne pronaient pas la modernité au dépens de la religion, et avaient une vue plus harmonieuse des choses. En absence d'action, nul besoin de réaction.

Eliezer
Mardi 20 avril 2004 - 23:00

Shalom Rabbotaï,

Je suis rassuré de voir que le rav Kahn distingue la position du rav Hirsch de celle de la Wissenschaft, qui à mes yeux fut vraiment destructrice par l'arrogance positiviste de son approche, à rebours total de l'humilité de nos rabbanim dont le rav Hirsch fait - à mes yeux du moins et bien que je ne sois pas ashkénaze - partie à part entière. Mais je n'insiste pas sur ce point, il y a des choses plus intéressantes. Je me permets à signaler à ceux qui s'intéresse à des sujets connexes, comme la "critique biblique" et la question de l'authenticité et de l'unité de la torah, ou encore le rapport entre connaissances scientifiques et fixation de la halakha (notamment dans la Gemara) le lien suivant: http://www.aishdas.org/toratemet/ . Ah oui, il faut comprendre l'anglais.
Pour ce qui concerne les divisions, je pense qu'il faut bien distinguer les mahloqtot qui peuvent éclater entre différents minhagim au sein d'une kehilla recomposée, des scissions qui peuvent se produire quand on adopte un nouveau minhag (minhag sfard ou arizal contre minhag ashkénaze) ou qu'on se détermine par une affiliation à une dynastie hassidique (qui pouvait être tout à fait indépendante des proximités géographiques). Or ces derniers cas de figure sont plus marqués chez les ashkés que chez les sefs, et ce dès avant la Réforme : chez les sefs, pas de division des communautés selon qu'on choisi d'adapter le nusa'h en fonction du sod ou non. Certes, ça suppose moins de modifications que pour le rituel ashké, mais dans une matière où le moindre nikud a une importance cosmique... Et ce qui est étrange, c'est que dans la société environnante la situation est plutôt inverse: en Islam les appellations soufies se multiplient, alors que dans la Chrétienté orientale l'Eglise maintient (on sait à quel prix) une certaine unité. Alors pourquoi? Je ne pense pas qu'il y ait des raisons relevant de la nature intrisèque des différents communautés, il "faut" donc bien trouver une explication socio-historique, non?
Question en passant : la grande division entre minhag sef et ashké est-elle strictement postérieure aux Gaonim, a fortiori aux Amoraim, ou peut-on en trouver des traces bien avant? En d'autres termes, peut-on dire -c'est une hypothèse- que les ashkés suivent le minhag d'Erets et les sefs celui de Bavel, ou bien que les ashkés suivent le minhag de Yeroushalayim tandis que les sefs suivraient le minhag de Galilée? Ma question paraîtra peut-être moins idiote si l'on considère la question des longues péot, propres aux ashkés (à certains du moins) et... aux yéménites.
J'avais une blague à ce propos, mais vu la longueur de ma question, ce sera pour une autre fois.
Toda rabba, c'est un bonheur sans nom de consulter quotidiennement votre site, même si cela ampute régulièrement mes nuits.

Rav Elyakim Simsovic
Mercredi 21 avril 2004 - 23:00

La position du rav Hirsch n‘a absolument rien à voir avec la Wissenschaft des Judentums. Si ce que j‘ai écrit a pu laisser planer un doute à ce sujet, qu‘il soit levé ! Mais la crispation des positions religieuses de la néo-orthodoxie a empêché les contacts qui auraient pu être fructueux entre les membres des deux tendances et à eu pour résultat l‘élaboration d'une prétendue “science du judaïsme” fort érudite mais coupée de la foi juive, lorsqu‘elle n‘était pas carrément anti-religieuse.

Quant à l‘origine des minhaguim, rav Askénazi avait l‘habitude de rattacher les communautés ashkénazes aux Juifs de Babel qui ne sont pas revenu au temps d‘Ezra (Exil du Bayit Rishon) et les séfarades aux Juifs qui ont créé le Bayit chéni et qui sont donc la galout du Bayit chéni. Les premiers sont appelés par Ovadia la galout des bené yisrael et les seconds la galout yéroushalayim.