Conversation 2168 - Tu aimeras ton prochain comme toi même

Anonyme
Mardi 29 octobre 2002 - 23:00

tu aimeras ton prochain comme toi même
Lv 19:18Utilisation d'un contraceptif local (suite

Shalom,

J''ai souhaité vous soumettre mon point de vue sur ce commandement et par là même, sollicité vos commentaires. D'avance donc, je vous remercie de vous intéresser à ce qui suit.

En avant propos qui est aussi un avertissement au lecteur, je dirais que j'ai bien conscience d'avoir sorti voire extirpé ce commandement de son contexte originel.

Donc, ce commandement dans lequel le "comme toi même" m'interpelle au plus haut point. De prime lecture, je l'avais compris de la manière suivante : je dois aimer mon prochain autant que je m'aime moi même. Il s'agissait donc (ou il s'agirait donc à priori) d'un commandement* impératif* (pléonasme**) mais cette explication / interprétation ne me convenait guère (trop simple). (chiveîm panim la Torah : la Torah a 70 visages que chaque visage d'étudiant découvre par sa singularité. Otiote de Ribbi Âqiva / modia.org).
J'y ai donc réfléchi et à un niveau plus approfondi de lecture, j'ai finalement compris ceci via ce cheminement :
tu aimeras ton prochain comme toi même, mais si je ne m’aime pas, que se passe t’il ?
Si je ne m'aime pas moi même, je n'aime pas mon prochain (syllogisme).
En mon entendement, il ne s’agit donc pas vraiment d’un commandement, une personne peut faire le (mauvais) choix de ne pas s’aimer [cf : Elie WIESEL qui, dans le Tome 1 de ses mémoires (POINTS / Tout les fleuves vont à la mer… / pages 508 et 509 / rasha Juif ) a très bien explicité la chose] en revanche, elle en assumera les conséquences.
Certes, vous me direz que cette personne est libre dans son choix de respecter ou non ce " commandement", oui mais(…)
Je ne cherche aucunement à imposer mon interprétation ce qui serait du totalitarisme mais de mon point de vue, donc très subjectif je le répète, je dirais qu’il s'agit, même si le mot est fort, non pas d’un commandement mais plutôt d'une sentence divine (donc intemporelle et immuable) :

tel que tu t'aimes, tu aimes ton prochain.

J’ai bien écrit immuable ce qui ne remet aucunement en cause la possibilité pour cette personne d’évoluer (de progresser ou de régresser). Ce qui est immuable, c’est que l’évolution de l’amour que cette personne se portera à elle même rejaillira proportionnellement sur l’amour qu’elle portera à son prochain d’où, donc : tel que tu t'aimes, tu aimes ton prochain. Il y a donc bien immuabilité dans la sentence.

Ce raisonnement venant d'une certaine façon corroborer ce précepte psychanalytique : ce que je reproche aux autres, je me le reproche à moi même.
Il est intéressant ici de constater qu’avant toute chose, tout vient de l’homme lui même.

Par ce biais, assez étonnamment d’ailleurs, je pourrais facilement glisser vers les thèses des existentialistes (avec lesquelles je ne suis pas vraiment d’accord car faisant l’impasse sur le principal : le Début de Tout, et qui prétendent que l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait de même que l'homme sera d'abord ce qu'il aura plus ou moins consciemment projeté d'être) mais je serais hors de mon propre propos et ce n’est pas le but de votre site que de discuter de ce type de considérations, site qui au passage est une excellente initiative et pour laquelle je vous remercie et vous adresse un Bravo sincère ainsi que tout mes encouragements à poursuivre.

Cordialement,
V.S.B

Rav Elyakim Simsovic
Dimanche 19 janvier 2003 - 23:00

Votre explication, qui n'est pas sans intérêt, prouve en tout cas qu'il est impossible de fonder une analyse sérieuse sur une traduction. On ne peut raisonner qu'à partir de l'original hébreu.
En effet, la traduction habituelle "tu aimeras ton prochain comme toi-même" est tout simplement fausse. De plus, cette expression fait partie d'un verset et on ne peut pas non plus discuter cette formule sans la relier à ce qui précède et à ce qui suit.

Donc le verset intégral dit 'je cite d'abord en hébreu en translittération):
"Lo tiqom vélo titor ett bené amekha veahavta léréakha kamokha ani Hachem"

La traduction (Bible du rabbinat français) rend le verset par le poncif classique :
Ne te venge ni ne gardes rancune aux enfants de ton peuple mais aime ton prochain comme toi-même : je suis l'Eternel.

Il faut relever, pour commencer, dans tous le contexte de ce verset, l'alternance des termes utilisés par la Thora pour désigner autrui. "Les enfants de ton peuple", "ton peuple", "ton prochain", "ton collègue". Tous ces termes ne sont pas synonymes mais désignent des niveaux de relation précis. Le "prochain" est celui qui répond aux mêmes critères de conduite que l'interlocuteur du verset, celui à qui on s'adresse pour lui dire "tu". L'une des clauses de cette relation est la réciprocité.
D'autre part, étant évident que l'on ne saurait faire de soi-même le critère de ce qui convient à l'autre, il serait étonnant que la Thora veuille réduire "l'amour du prochain" à la délectation narcissique de soi par soi, autrui ne servant que de miroir. Même Kant avec ses impératifs catégoriques serait ici plus juste que la Thora: "agis toujours de telle sorte à considérer l'autre toujours comme fin et jamais seulement comme moyen."
Une remarque de rabbi Ephraïm Lonschitz, l'auteur du remarquable commentaire sur la Thora "Kéli Yaqar" (16ème siècle, Pologne, Bohême...) nous livre ici la clé : reprenant la formule de Hillel qui avait paraphrasé en araméen le verset de la Thora, il explique :
La formule de Hillel est : Man de alakh sané lehavrakh al taavid. Le Kéli Yaqar la ponctue de la manière suivante : Man de alakh, sané léhavrakh, al taavid, ce qui signifie : ce qui dépend de toi, et que ton prochain a en horreur, ne le fais pas.
C'est donc autrui, et lui seul, qui est le critère de notre conduite à son égard.
Mais le verset a encore une clause : "Ani Hachem". Mon prochain et moi-même sommes sous le regard du même Dieu. C'est Lui qui est le garant de l'amour que les hommes peuvent se porter dans la mesure où ils reconnaissent en chacun une créature unique du Dieu unique, et pour reprendre ici un phrase de notre maître rabbi Yéhouda Léon Askénazi, Manitou, Ani Hachem, "L'Unique Bien-aimé de toutes les tendresses, aimé de tous et qui aime chacun".

okay
Samedi 23 octobre 2004 - 23:00

Bonjour,

"aime ton prochain comme toi même " a été expliqué dans la question 2168 ,en partie,par une citation d'Hillel:"ce qui depend de toi et que ton prochain a en horreur,ne le fais pas"

Ce que je voudrais comprendre c'est le pourquoi de la tournure négative?
Pourquoi ne dit on pas "ce qui depend de toi et que ton prochain AIME PROFONDEMENT,FAIS LE" ?

merci

Rav Elyakim Simsovic
Lundi 25 octobre 2004 - 23:00

Parce que la Thora ne nous demande pas de devenir l'esclave du prochain mais de ne pas lui nuire. Il nous appartient aussi, bien sûr, de l'aider dans la mesure de nos moyens, mais cela relève déjà de la mitsva de tsédaqa plus que de celle de la ahava. L'intention du Kéli Yaqar dont j'ai cité l'enseignement à ce sujet a pour objet d'"indexer" l'amour du prochain non à notre subjectivité mais à la sienne.

fred1977
Mardi 26 octobre 2004 - 23:00

Suite a votre reponse concernant la question 19820 , je suis extremement surpris par la difference d'approche en effet la lecture du verset dans sa langue originelle est radicalement de la traduction , enduissant fatalement en erreur le lecteur .

En effet d'aprés ce que vous dites :

"Le "prochain" est celui qui répond aux mêmes critères de conduite que l'interlocuteur du verset, celui à qui on s'adresse pour lui dire "tu". L'une des clauses de cette relation est la réciprocité."

Cela sous entendrai que le prochain serait un autre juif ?

Car mon approche a moi etait jusqu'a ce jour que cela s'adressait a tout le monde et compris ceux qui n'ont pas la même confession que moi .

J'avoue que cette difference me surprend mais m'inquiete car elle ne doit pas être la seule.

Rav Elyakim Simsovic
Jeudi 4 novembre 2004 - 23:00

En effet.
Pour l'étranger, il y a un autre verset spécifique un peu plus loin dans le même chapitre (versets 33-34).
Pourquoi vous inquiéter ? La Thora serait-elle moins vraie si elle dit autre chose que ce que vous croyez ?
Cela dit, le judaïsme n'est pas une confession mais une identité. Nous sommes d'abord un peuple, et ce peuple a aussi une loi et une foi... et une terre

okay
Jeudi 28 octobre 2004 - 23:00

chalom ,
je crois que j'ai 2 problemes de comprehension
le premier: un probleme de limite !
aux questions 19820 et 19825 cad "tu aimeras ton prochain comme toi même " et "justice positive",se dégage un niveau minimum de considérations que l'on doit porter à son prochain.
-cad,on ne doit pas vivre au côté de l'autre mais le juger positivement pour pouvoir le considerer ,condition préalable au don et donc à l'amour .
---- qui ne doit on pas considerer ,ou en quelques sortes,qui ne peut etre admis comme notre prochain? :j'ai lu dans les tehilim qu'il faut s'eloigner des rata'im ,rach'im et des "tsim?" mais la aussi ,en supposant que j'arrive à definir clairement ces termes,quels en sont les limites ?

2) par ailleurs ,en ce qui concerne cet amour ,doit on rajouter "aime un peu ton "proche" prochain et un peu moins ton prochain "éloigné"?

ps:je veux bien un conseil de méthode..merci beaucoup pour vos réponses

Rav Elyakim Simsovic
Dimanche 29 mai 2005 - 23:00

Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris.
Concernant l'amour du lointain, il n'est pas inférieur - il est théorique. En effet, l'amour du prochain n'est pas un sentiment mais un ensemble de lois concrètes concernant nos devoirs envers autrui.
Or dans la même parasha, il y a les lois envers le "prochain", c'est à dire l'autre Juif, qui a envers nous des devoirs réciproques et un peu plus loin l'amour du Guer, c'est à dire du non Juif vivant parmi nous.
Concernant les 'hataïm, rechaïm et létsim, il n'est écrit ni dit nulle part qu'il faille s'éloigner d'eux mais seulement de ne pas faire comme eux (voir le premier verset du livre des psaumes et son commentaire...)

Et dans touut cela il n'est question ni de jugement, ni de don, ni d'amour au sens où peut-être vous l'entendez, mais d'obligation envers autrui afin, pour reprendre la formule de Descartes, "de procurer autant qu'il est en nous le bien de tous les hommes".

Ce qui ne signifie pas non plus qu'il ne faille pas, bien au contraire, lutter contre le mal, mais une obligation ne nous libère pas de l'autre.