Conversation 23025 - La souffrance, matrice d'Israel?

lagi
Mardi 12 avril 2005 - 23:00

Bonjour Rav,

J'ai une question d'ordre tres general a vous poser. Lors de diverses conversations avec des personnes generalement non pratiquantes ou/et non croyantes (ou s'affirmant commes telles), ces dernieres personnes, souvent enfants caches pendant la Shoah voire rescapes des camps, affirmaient que pour elles, la Shoah etait automatiquement liees a leur experience cultuelle judaique. Par exemple, une personne m'a dit: Je jeune a Yom Kippour parce que mes parents ont ete tues car ils etaient juifs. je suppose que le Sedder de Pessah devait etre associe lui aussi, pour cette personne, a la Shoah. Je ne viens en aucun cas porter de jugement de valeur sur cette personne. C'est aussi une facon d'etre juif, comme il en existe d'autres, et mon propos n'est pas de definir le Judaisme authentique. Mais moi, en tant que Juif observant, je me trouve interpele: d'abord j'aurais eu envie de repondre a cette personne que le Peuple Juif, dans sa conception des choses, etait ne de la Shoah, en 1945, et que cette lecture des choses me semblait trop restrictive; ainsi qu'en etait-il de la signification premiere de Yom Kippour, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif, telle qu'elle s'est transmise de siecle en siecle? Mais plus generalement, et c'est la ou se situe le fond de mon interrogation, quel est le role de la souffrance collective dans la formation du Peuple Juif et de l'identite juive? Si le Peuple Juif n'est pas ne de la Shoah (pour ne pas dire: si on avait pu obtenir l'Etat d'Israel sans cette infame souffrance, ''dayenou''), peut on en dire autant de l'esclavage en Egypte? la tradition juive lie-t-elle de facon automatique la liberation d'Egypte et la formation du Peuple en une sorte d'axiome postulant que sans esclavage, pas de Peuple Juif? N'aurions nous pas pu devenir ce Peuple Juif et recevoir la Thora et assumer notre vocation au sein des peuples sans tout cela? Quel role vient jouer la souffrance collective dans l'Histoire?

Rav Elie Kahn z''l
Lundi 9 janvier 2006 - 23:00

Chalom,

On observe les mitsvoth avant tout parce que D.ieu nous l’a ordonné. C’est la motivation principale, certains diront unique. A cette motivation première, objective dirons-nous, peuvent s’en ajouter d’autres, différentes selon les individus. Et celle que vous évoquez en est une comme une autre. Elle mène parfois à une observance plus traditionaliste qu’orthodoxe.

Pour certains la souffrance fait partie intégrale de l’identité juive. C’est afin de renforcer l’identité juive des jeunes que certains font des pèlerinages à Auschwitz. J’ai une vue très différente des choses et suis content qu’aucun de mes enfants n’ai demandé à faire ce pèlerinage.

L’importance de l’esclavage en Egypte et de la sortie d’Egypte ne réside pas dans la souffrance pour la souffrance, mais dans la leçon à en retirer : un peuple qui s’est formé sous l’oppression d’un autre ne saurait en faire souffrir un troisième.

De plus, la sortie d’Egypte et les miracles qui l’ont accompagnée est la base de la foi juive (commentaire de Nahmanide sur Chemot XII 13,7)

En effet, les miracles prouvent la toute puissance de D.ieu, et qu’il est le Créateur du monde. Le fait qu’Il ait fait des miracles pour un peuple au détriment d’un autre pour délivrer le premier prouve qu’Il intervient dans le monde. Et le fait que Moché ait pu prévenir à l’avance quelle plaie allait se produire prouve qu’il avait un don prophétique donc que D.ieu communique avec les hommes. C’est la base de l’idée de révélation.

Croire en l’histoire de la sortie d’Egypte c’est donc accepter les trois articles de foi de base : création, révélation, providence. Voila pour la place de l’esclavage en Egypte et de la sortie d’Egypte.

La souffrance n’est pas indispensable, mais elle est indissociable d’une conduite qui ne correspond pas aux exigences divines. Et doit permettre de revenir sur le bon chemin