Conversation 23857 - La seduction de Berouria

EFS
Jeudi 19 mai 2005 - 23:00

Bonsoir,
On m'a rapporté cette histoire incroyable de Rabbi Meir et sa femme Berouria, dans laquelle Rabbi Meir charge un de ses disciples de séduire Berouria pour prouver à celle-ci que, contrairement à ce qu'elle pense, toute femme peut défaillir devant la tentation.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire délirante ? Ou puis-je la trouver ?
Merci

Rav Elie Kahn z''l
Jeudi 16 juin 2005 - 23:00

Chalom,

La source de cette histoire est dans le commentaire de Rachi sur Avoda Zara 18 b.
Il n'y a pas de source dans le Talmud coroborant cette épisode.

DanouCohen
Dimanche 15 novembre 2015 - 23:00

Bonjour,

Chers Rabbanims,

puisque je ne vois pas ma dernière question dans la rubrique "Mes Questions", je me dis qu'elle ne vous est pas parvenue.

Je la repose ici:

Ma'assei Débrouria ('Avda Zara' 18b)

Chers Rabbanims,

Je vous pose ici une série d'interrogations sur un épisode troublant du Talmud.

Nos sages, dans le traité 'Avoda Zara' 18b discutent de la raison qui a poussé Rabbi Méir Ba'al Haness à s'exiler.

La dernière explication avancée est "Ma'assei Déberouria", l'histoire de Bérouria, sans plus d'explications.
Rachi explique cette histoire de manière assez surprenante: Bérouria (la femme de Rabbi Méir) ne comprenait pas qu'on puisse dire (dans Qidouchin 80b), "Nachim Da'atan Kalot"(littéralement, "les femmes, leur esprit est léger").
Rabbi Méir lui promit qu'un jour elle comprendrait. Il a alors incité l'un de ses élèves à la séduire. A tel point qu'ils ont, semble-t-il, fauté, que Bérouria s'est suicidée, et que Rabbi Méir, rongé par la honte et le remord a dû s'exiler.

Voici maintenant toutes mes questions.

1. Est-ce vraiment Rachi qui a écrit ce commentaire?
2. D'où l'auteur de ce commentaire connait il cette histoire qui n'est relatée dans aucun maamar 'hazal (d'après le moteur de recherche du Responsa Project et d'après Rav Elie Kahn Zal sur ce site)
3. Comment expliquer que Rabbi Méir se soit employé à une méthode si basse ?
4. Qu’est-ce que cette histoire prouverait ? Qu’une femme peut succomber à la tentation ? Et un homme aussi, non ? D’ailleurs, la guémara de Qidouchin, 80b, peu après le passage sur « Nashim da’tan kalot » ne nous raconte-t-elle pas l’histoire du même Rabbi Méir et de son maître Rabbi Akiva qui ont failli succomber à leur mauvais penchant, incarné par une femme, et que ça n’est que leur Torah qui les en a sauvé ?
5. Y-a-t-il d’autres opinions sur ce qu’était ce ma’assei Bérouria ?
6. Doit-on considérer que cette histoire (de ma’assei Bérouria, telle que racontée par Rachi) est avérée historiquement, ou bien qu’il s’agit d’une parabole ? Auquel cas, que vient elle nous enseigner ?
7. A-t-on d’autres sources comme quoi Bérouria se serait suicidée ?
8. Y a-t-il d’autres Richonims qui corroborent la version de Rachi ?
9. Cette histoire est-elle nécessairement factuelle, ou bien certains commentateurs, la voient-ils comme une allégorie?
10. Qu’est-ce que cette histoire nous enseigne ?
Merci beaucoup

Rav Samuel Elikan
Lundi 16 novembre 2015 - 08:06

Shalom,

1. Cela est sujet à discussion. Selon le Rav Eitam Henkin hy"d (revue Akdamot n°21 (2008), p. 140-159) il s'agit d'un ajout tardif d'un étudiant et cela n'aurait pas été écrit par Rashi. Il suit en cela d'une certaine manière - bien qu'il s'en défende - l'avis de son père (resp. Bnei Banim, IV, Ma'amar 4, note 5) qui soutient que la source de ce récit est dans les histoires médiévales populaires.

2. Si ce fut réellement Rashi qui l'eût écrit - sa source aurait été soit une tradition "entendue", soit qu'il détenait d'anciens livres de midrashim que nous n'avons plus aujourd'hui, ces livres n'ayant pas survécu, comme le soutient le Maharatz H'ayot ; il note encore plusieurs exemples similaires où Rashi rapporte des histoires qui n'existent nulle part ailleurs (Iggéret Bikoret 35b).

3. - Le Tifféret Israël sur Rashi (rapporté dans Hagahot et H'idoushim de l'éd. Tellman), ainsi que le Rav David Sperber (resp. Afarsekta DeAniya IV, §334) expliquent qu'il y a eu séduction mais aucun acte réel.
Le Ben Ish H'ai dans son commentaire sur le Talmud, Ben Yehoyada va plus loin encore en affirmant que le dit disciple était castré, eunuque.

- Le Rav S. Aviner ("Berouria et l'étude de la Torah", revue Itourei Kohanim n° 223 (2003), p. 25-29) soutient, avec le H'ida (resp. Touv Ayin §4), que cette histoire nous enseigne de ne pas "remettre en cause" nos Sages et qu'il avait le droit pour cela d'user de cette méthode...

- Selon Rabbi Israël Sarouk dont les propos sont rapportés par le Rav Menah'em Azaria de Pano et cités par le H'ida (Mar'it Ayin, p. 94) Berouria était le guilgoul de Bat-Shéva et le disciple était un guilgoul d'Ouriah HaH'iti, et à cause de lui elle est morte - mesure pour mesure (mida kenegued mida) pour effectuer un "tikoun" de l'histoire. Cette idée figure également dans Seder HaDorot du Rav Yeh'iel Halpérin, t. II, p. 87 (éd. Varsovie 1882), elle est très profonde, ne peut pas être prise au sens propre et demande un long développement que je ne saurais élaborer dans ce cadre. Toutefois je crois qu'il est bon, malgré tout, d'être au courant de l'existence de ces propos selon lesquels, il y a là un enjeu métaphysique dépassant les responsabilités individuelles.

4. C'est ce que certains veulent en retirer, d'autres veulent en retirer qu'il est interdit d'enseigner la Torah aux femmes et que cela serait une conséquence à cela. Mais j'avoue que ce n'est pas convaincant, comme vous le notez, cela n'aurait aucun sens...

5. Oui. Rabbenou Nissim Gaon par exemple (H'ibour Yaffeh MeHaYeshouha, p. 30) soutient que les parents de Berouria, menacés par les autorités romaines ont été poursuivis, meurtris puis assassinés, Rabbi Méïr et Berouria à cause de cela ont alors dû fuir, ensemble, vers la Babylonie.
Le prof. Avraham Grossman va également dans ce sens (Al Parashat Berouria, revue Koleh' n°40, Kislev 5762).

Selon le Rav H'ayim Pallachi (Zeh'ira LeH'ayim, II, Droush LeHesped, 26b) c'est l'histoire racontée préalablement sur sa sœur que l'on appelle "ma'assei debrouria", puisque Berouria est le personnage reliant tous les éléments de l'histoire, tous les personnages étant liés à elle.

6. Certains y voient effectivement une parabole avec des messages éducatifs à en retirer sur quoi "ne pas faire" notamment.

7. Je n'en connais pas. Par contre il y a d'autres histoires très "bizarres" sur Rabbi Méir qui n'ont aucune sources sérieuses dans le Talmud et à propos desquelles le Gaon de Vilna se serait écrié qu'il est interdit de les publier.

8. Non, mais il y en a qui recopient ces propos : le Menorat HaMaor de Rabbi Itzh'ak Abouav - Ner I, Klal 2, III, chap. 6) et le Maharil notamment (resp. § 199).

9. Cela peut être vu comme une allégorie et c'est ainsi que le voient certains commentateurs.

10. Plein de choses. Notamment sur le rapport entre les liens du couple et l'entourage, la confiance à avoir en son conjoint, le rapport à la Torah, aux Sages, etc. Mais je crois que plus que d'essayer d'apprendre des enseignements d'une histoire qui semble plutôt infondée, comme le prouve bien le Rav Eitam Henkin hy"d, il vaut mieux se concentrer directement sur les enseignements de nos Sages. Il y en a suffisamment :)

Cordialement,