Conversation 26327 - Veissarone issarone (bis)

sinai
Mercredi 19 octobre 2005 - 23:00

Pourquoi est il répété concernant l'accompagnement des offrandes aux 14 moutons durant la fête de Souccot "Véïssarone Issarone"?Un des deux aurait seulement suffit...

Nathan Schwob
Vendredi 7 avril 2006 - 12:00

Vous parlez du verset suivant: (Bamidbar 29,16): "Et un Issarone (de farine) un issarone pour un mouton, pour les 14 moutons". Ce qui se traduira en français: "Et un Issarone pour chacun des 14 moutons".
Entre parenthèse cette farine mélangée à de l'huile servait d'oblation (Minh'a) accompagnant le sacrifice de l'animal.
Cette répétition n'est en fait qu'une tournure de langage hébraïque, très courante qui veut simplement dire "pour chacun", lorsqu'il y a un plus de deux objets qui ont la même caractéristique.

Voici quelques exemples:

1) En relisant attentivement les ch.28 et ch.29 en question vous retrouverez cette répétition 5 fois (ch.28 versets13,21,30; ch.29 versets 10 et 15). En fait, cette répétition se retrouve à chacune des fêtes où l'on offrait 7 moutons (14 à Souccot) sauf à Roch Hachana et Chemini Atzéret qui font exception.

2) Berèchit (7,2): D. dit à Noah': "De tous les animaux purs tu prendras pour toi sept, sept".

3) Chemot (8,10): Après la plaie des grenouiles: "Et ils (les égyptiens) les entassèrent en monceaux en monceaux…"

4) Chemot (16,21): À propos de la Manne: "Ils le glanèrent (le pain du ciel) le matin, le matin…".

Le Ramban (Bamidbar 29,20) relève quelques différences de style dans le contexte du chapitre des offrandes des fêtes et conclut: "Nous savons que la quantité de farine se rapporte à chaque mouton parce qu'il est dit "Véissarone Issarone" puis ensuite "pour les sept moutons", mais parfois le texte raccourci quand c'est évident".
Donc pour le sens littéral du texte, ces tournures de langage ne dérangent pas.

Malgré tout nos sages ont été sensibles à cette forme littéraire qui n'est pas obligatoire. Le Talmud Manah'ot (87a) rapporte la discussion suivante:
"Il y avait, dans le Temple, deux ustensiles pour mesurer la quantité de farine: un Issarone et un demi Issarone. Rabbi Méir dit: un Issarone, un autre Issarone et un demi Issarone…". Rabbi Meir explique que la répétition du mot Issarone vient enseigner qu'il faut deux mesures comme si le texte disait: "un ustensile d'un Issarone et un autre ustensile d'un Issarone pour la farine des moutons". Les deux mesures n'avaient pas la même capacité. Le premier Issarone contenait un Issarone exact, lorsqu'il était rempli à ras. Cette farine était destinée à l'offrande journalière du Grand Prêtre (voir Vayikra 6,12-16). On divisait le Issarone en deux demi Issarone qui étaient offerts un le matin puis un l'après midi, d'où le besoin d'une mesure d'un demi Issarone. La seconde mesure d'un Issarone était destinée à la Minh'a (oblation) accompagnant le mouton. Sa capacité était inférieure à un Issarone et on la remplissait en surplus pour arriver au Issarone.
Mais l'avis de Rabbi Méir s'oppose à celui des autres sages qui apprennent du verset " un Issarone pour chaque mouton" (29,4) qu'il n'y avait qu'une mesure d'un Issarone (exact, à ras bord). Pour eux, la répétition du mot Issarone vient effectivement enseigner qu'il faut deux mesures, mais une contient un Issarone et l'autre un demi Issarone, comme si le texte disait: "un ustensile relatif au Issarone (un demi) et un autre ustensile d'un Issarone pour la farine des moutons".

Donc, l'irrégularité du texte port en elle un enseignement supplémentaire, le Drach, que nos sages mettent là en évidence.

Il reste à expliquer pourquoi seul les fêtes de Roch Hachana et Chemini Atzéret, n'ont pas eu besoin de la répétition du mot Issarone. Pour cela nous nous inspirerons de l'enseignement du Rabbi Yehouda Arié Loeb de Gour, basés sur le sens caché et profond de la Thora.
Il y a deux pôles dans l'homme, son âme et son corps, la pensée et l'acte, la théorie et la pratique. La Mitsva des sacrifices qui a été donnée au Sinaï (Vayikra 7,37-38; Bamidbar 28,6) avec la Thora "théorique" symbolise et concrétise l'élévation suprême de l'âme vers D. Cette consécration totale de la pensée et ce détachement total du matériel est évidemment impossible du vivant de l'homme, c'est la raison pour laquelle il est remplacé par la vie d'un animal. Par contre, les libations et oblations, qui accompagnent ce sacrifice animal on été ordonnés avant l'entrée en Terre d'Israël (Bamidbar 15,1-16), parce qu'ils représentent la Thora "pratique", celle qui se matérialise dans les actes de la vie pour les élever vers D., celle qui donne une signification spirituelle même aux fruits de la terre: le vin et le blé. Le sacrifice idéal, est donc celui qui unifie et harmonise les deux pôles de la nature de humaine.
Nos sages expriment aussi cette idée dans leur langage imagé de la manière suivante: "Réciter le Chema sans mettre ses Tephillin, c'est comme offrir une holocauste sans oblation et un sacrifice sans libation" (Talmud Berachot 14b).
Mais cette harmonie de l'Eden originel a été brisée par la faute d'Adam, et c'est le devoir du peuple d'Israël de la reconstituer en vivant sa vie séculaire dans la sainteté, sur la Terre d'Israël.
Roch Hachana évoque la création de l'homme: Adam a été créé à Roch Hachana, a fauté ce même jour, y a été jugé et y a fait sa Techouva. Ce jour du jugement par définition nous ramène à l'harmonie originelle, il n'a pas besoin de la répétition du mot "Issarone" pour rappeler l'idéal que D. attend de l'homme.
La fête de Chemini Atzéret clos les fêtes de Tichri et la période du jugement. Elle synthétise en elle la particularité du peuple juif (voir Rachi Bamidbar 29,35 et Rachi Vayikra 23,36) et la joie de la vie matérielle retrouvée dans la sainteté. À Kippour l'homme est un ange, à Souccot il harmonise les deux pôles de sa nature dans la Soucca, encore à l'ombre des nuées célestes du Sinaï et du désert, à Chemini Atzéret il rentre dans sa maison, à l'instar de l'entrée en Terre d'Israël, et introduit cette harmonie dans le cours habituel de sa vie. Chemini Atzéret n'a pas besoin non plus de rappel du mot "Issarone", puisqu'il est la réparation par le peuple d'Israël de la faute originelle.
(Voir le Sfat Emet sur la Thora, du Rabbi de Gour, Parachat Chelah' Leh'a, années 5646, 5649, 5651, 5652).

La répétition du mot "Issarone" vient donc tout simplement nous rappeler qu'assumer son identité juive en France c'est bien mais ce n'est qu'une demi portion.