Conversation 35920 - Les 4 enfants

anna2
Lundi 2 avril 2007 - 23:00

L'enfant qui ne pose pas de question est-il nécessairement indifférent ?
Peut-être attend-il patiemment les réponses, réponses qui viendront de D...Llui-même dans tout ce qu'iL lui fera vivre ! Peut-être ne peut-il tout simplement pas s'accorder le droit au questionnement ?

L'enfant rebelle est-il celui qui ne pose pas de question ou au contraire ses questions sont-elles submergées par le non sens des souffrances dont il est témoin ?

L'enfant sage est-il soumis, déconnecté de la réalité, ne se reconnaissant même pas le droit à s'interroger sur ce qu'on lui dit, se réfugiant dans cet enseignement comme on se réfugie dans les bras de ses parents quand on a trop peur, quand on a peur de déplaire?

L'enfant simple entend-il vraiment tout cet enseignement, est-il en mesure de voir l'autre, tous les autres ?

Et l'enfant qui a souffert est-il rebelle, sage, muet et simple ? Où se trouve son espoir ? Il est en silence et en errance car il n'a pas de mère, pas de père, pas de place à la table !

Et si cet enfant est un non-juif, est-il tout de même un enfant de D...Il erre et D...lui indiquera-t-Il le Chemin à suivre pour se reposer sur la terre promise ?

Est-ce que vous penserez à lui lorsque vous fêterez Pessah ?

Nathan Schwob
Vendredi 25 avril 2008 - 03:27

La fête de Pessah et la soirée du Séder en particulier, marquent l'anniversaire de la naissance du peuple d'Israël, de sa création par D-ieu, dans des circonstances telles que jamais il n'aurait pu être peuple par ses propres moyens (1). Cette soirée doit mettre en valeur le sens de l'existence du peuple juif et ses obligations vis-à-vis de D-ieu, qui l'a créé. Le récit de la sortie d'Egypte à un but didactique et pédagogique: il concerne même les plus savants, mais il engage avant tout le père à transmettre à ses enfants le message qu'il a lui-même reçu de ses pères. La famille juive se recueille, ou plus, se referme sur elle-même pour retrouver l'essence de son existence. Les lois du sacrifice Pascal sont claire: un non juif ou un juif non circoncis (non porteur de l'alliance) n'en mangeront pas (2).
Dans cette optique le passage talmudique des 4 enfants (3), reprend le motif du récit aux fils qui est répété par 4 fois dans le texte de la Thora (4). Nos sages y ont vu 4 types d'enfants pour inviter les parents à dialoguer avec leurs enfants, chacun en fonction de sa personnalité propre, mais tous sur le même sujet: leur identification personnelle avec le message du peuple juif. Cette identification se révèle à travers l'accomplissement des commandements de D-ieu, symbolisés en cette soirée par la consommation de la Matsa (pain azyme) et des herbes amères.
Plus tard, les commentateurs et les pédagogues de toutes les générations ont analysés ces 4 modèles pour redéfinir les différentes personnalités, mentalités, psychologies, motivations de ces enfants, et évidemment les différentes natures et les différents degrés de leur identification avec le rôle qui leur incombe de remplir: celui d'être du Peuple juif.
Le Rabbi de Loubavitch a même proposé un cinquième type, particulier à l'époque moderne: le fils qui est absent parce qu'il ne sait plus rien sur son identité juive.

Voilà pour l'idée générale. Dans le détail et pour reprendre vos suggestions, commençons par la fin qui semble contenir l'essentiel.

"Et si cet enfant est un non-juif…?"

Le texte biblique est clair, il ne consommera pas du sacrifice Pascal. La fête de Pessah marque la coupure fondamentale qui existe entre le Peuple d'Israël, le Peuple choisi par Dieu, et les autres peuples. La Haggadah reprend aussi ce motif. Vous dites:

"Est-ce que vous penserez à lui lorsque vous fêterez Pessah ?"

Oui, comme nous allons le voir à l'aide du texte de la Haggadah.
Le récit de la sortie d'Egypte commence singulièrement par le texte suivant: "A l'origine nos ancêtres étaient idolâtre mais maintenant, D-ieu nous a rapproché à son service". Puis le texte rappelle de manière succincte comment les enfants d'Ismaël et de Ketoura, puis Esaü, se sont détachés du message d'Avraham.
Alors que l'Humanité en échec spirituel et moral s'entêtait à refuser de reconnaître son Créateur comme maître du monde, Avraham a ouvert une nouvelle voie, pour ceux qui voulaient bien la prendre. Malgré toute son influence sur sa génération, seule une partie de ses descendants (Jacob) a accepté l'alliance, a accepté de devenir le peuple de D-ieu, quoi qu'en soit le prix (5). C'est pourquoi le Peuple d'Israël a été choisi et séparé des autres peuples. Première pensée.

Puis la Haggadah passe à un autre rappel, celui de la haine des peuples vis-à-vis d'Israël, et de l'alliance qui assure la pérennité du peuple juif au-delà de toutes les tentatives d'extermination. "C'est cette promesse (à Avraham) qui nous a soutenue, nous et nos ancêtres, car à chaque génération on s'élève contre nous pour nous exterminer et D-ieu nous sauve de leurs main". Oui, le choix du peuple juif fut aussi source de haine. Seconde pensée.

Mais la troisième pensée est peut être la plus éloquente. Après le Birkat Hamazone (La bénédiction après le repas), on récite le verset suivant (6): "(D-ieu!) Répands Ta colère sur les peuples qui ne Te connaissent pas, et sur les empires qui n'invoquent pas Ton Nom. Car ils ont dévoré Jacob et fait une ruine de sa demeure". Vous demandez:

"Est-il tout de même un enfant de D...?"

La réponse est là: cela dépend de sa conduite. Le peuple juif n'attend qu'une chose: que les peuples du monde connaissent D-ieu et invoquent son nom. Même l'appel à la colère ne concerne pas ceux qui refusent de connaître D-ieu, il ne s'applique qu'aux peuples qui s'attachent à effacer les traces de D-ieu dans le monde en détruisant Israël, Son peuple.

Alors lorsque la soirée du Séder se termine, une fois que les rôles ont été définis et les frontières placées, cet enfant non juif devra choisir. S'il a un tant soi peu d'âme qui vibre à la recherche d'un message spirituel, il s'éloignera de lui-même du clan des peuples qui dévorent Jacob. Lui resteront alors deux possibilités, soit celle de s'assumer en tant que non-juif qui connaît D-ieu, invoque Son nom, et respecte les 7 lois Noachides; soit, si cela ne suffit pas pour étancher sa soif, il pourra se convertir. Cette conversion, à l'instar de Pessah', ne marquera pas seulement le passage d'une frontière mais aussi une coupure du monde non-juif et l'acceptation du rôle d'Israël quoiqu'en soit le prix. Elle ne pourra pas être le syncrétisme de deux mondes spirituels, l'un fruit des valeurs non juives et l'autre, fruit de ce que le Peuple juif apporte au monde: la révélation de la Thora, de la parole divine au Sinaï.

Paradoxalement, c'est donc la définition claire de la différence entre le peuple d'Israël et les autres nations qui permet l'ouverture du peuple d'Israël aux autres nations.

En effet, la fête de Pessah qui marque la naissance et la libération physique du peuple d'Israël, commence aussi le compte des jours jusqu'à la fête de Chavouot, fête du don et de l'acceptation de la Thora, qui marque, elle, l'achèvement de la liberté physique par la libération spirituelle.
Un des pôles de Chavouot: le livre de Ruth. Si Ruth dit (7): "Où tu iras j'irais…ton peuple sera mon peuple et ton D-ieu sera mon D-ieu" c'est parce qu'elle a compris la nature de la frontière qui la sépare de Noémi. Si Boaz dit à Ruth (8): "Puisses tu recevoir une récompense complète du D-ieu d'Israël sous les ailes duquel tu es venue t'abriter", c'est parce qu'il voit la transformation que Ruth a opérée sur sa personnalité (verset 11).
Il apparaît aussi clairement qu'à la différence d'autres grandes religions, le peuple d'Israël n'essaye pas de convertir les incroyants à sa propre religion, de gré ou de force, il se contente de faire savoir à qui veut bien l'entendre que le Créateur du monde attend de ses créatures qu'elles Le connaissent et invoquent Son nom.

C'est pourquoi, le peuple juif a pu écrire une loi bien connue: "On ne dira pas au descendant d'un converti rappelle toi des actes (idolâtres) de tes pères" (9). Cette loi ferme la boucle ouverte à Pessah dans la Haggada, par les mots: "A l'origine nos ancêtres étaient idolâtre mais maintenant, D-ieu nous a rapproché à son service".

Votre avant dernière question:

Et l'enfant qui a souffert est-il rebelle, sage, muet et simple ? Où se trouve son espoir ? Il est en silence et en errance car il n'a pas de mère, pas de père, pas de place à la table !

Le thème de la souffrance apparaît dans votre question, ici, ainsi que dans l'analyse détaillée de chacun des 4 fils. Vous voyez juste lorsque vous dites que chaque enfant (ou adulte qui essaye de s'identifier) porte en lui un peu des 4 fils, c'est une explication connue. Quelle est l'influence de la souffrance sur chacun des 4 fils? Bonne question, mais le soir du Séder, elle est dépassée par la question suivante: comment aider le fils sage, rebelle, simple ou sans questions, à avancer spirituellement malgré le poids de sa souffrance.
Le thème de la souffrance a souvent été traité sur le site. La souffrance, pour celui qui croit en D-ieu, est motivante, source de réflexion, de questions puis de recherche. Elle n'est pas seulement "Pour quelle raison?" mais aussi et surtout "Que peut on en tirer de bon?". Elle ne peut pas et ne doit pas amener à une attente passive et au refus de questionner. L'espoir de celui qui cherche se trouve justement dans sa question qui lui ouvrira de nouvelles avancées spirituelles, dans sa liberté de choisir ou de changer et dans la certitude que D-ieu inspire de bonnes pensées à ceux qui Le cherchent véritablement. Il n'y a pas, dans la Thora, d'attente passive de la grâce divine.
La souffrance n'est pas non plus une clé qui ouvre tous les droits. Celui qui souffre n'a pas toujours raison ni toujours droit à la compassion simplement par le mérite de sa souffrance. La religion de l'amour, qui a oublié que le monde a besoin tout autant de justice, a transformé des bourreaux souffrants en malheureux et des victimes en agresseur par un regard simplificateur, focalisé sur le côté qui souffre.
La souffrance n'est pas non plus une clé qui donne droit à une place à la table du Séder. Ce droit s'acquiert par d'autres cheminements spirituels qui ont été décrits plus haut.
Alors où se trouve l'espoir de l'enfant qui a souffert? La réponse a été donnée par le roi David dans les psaumes (10): " Écoute D-ieu, ma voix qui t'appelle…pour Toi mon cœur dit: recherchez ma face, c'est Ta face que je rechercherai…Ne m'abandonne pas…car mon père et ma mère m'ont abandonnés mais D-ieu m'a recueilli…enseigne moi Tes voies…".

Passons maintenant aux détails de votre analyse de chacun des 4 fils. Que répondra le père à chacun d'entre eux, pour l'aider à surmonter son problème?

L'enfant qui ne pose pas de question:

Si cet enfant attend passivement la grâce divine il faudra le rendre actif, réveiller sa recherche. S'il pense qu'il n'a pas droit à la question il faudra lui expliquer qu'il se trompe. Comment? À l'enfant qui ne pose pas de questions il faut raconter. On lui racontera que même Moïse, a posé ses questions à D-ieu, suite à l'échec de sa première démarche qui ne fit qu'augmenter la difficulté de l'esclavage (12). On lui racontera ce texte sur Rabbi Levy Yitsh'ak de Berdichev:
Lorsque Rabbi Levy Yitsh'ak de Berdichev arrivait au passage de l'enfant qui ne sait pas questionner, il disait: celui là c'est moi! Je ne sais pas Te questionner Maître du monde, et si je le savais en aurais-je le courage? Comment pourrais je Te demander pourquoi nos ennemis ont-ils eu le droit de tellement nous humilier? Mais dans la Haggadah il est dit qu'il faut raconter à ce fils et moi, Maître du monde, je suis ton fils. Je ne te demande pas de me dévoiler les secrets de tes voies que je ne comprendrais pas. Mais dit moi, qu'attends tu de moi? Quel message, quelles exigences me transmets Tu par ces événements? Je ne désire savoir qu'une chose: est ce que je Te sers par ma souffrance?

Comme vous le constatez, la question a finalement été posée!!

L'enfant rebelle:

L'enfant rebelle par définition pose une question si non il serait celui qui ne pose pas de questions. Il exprime dans sa question sa révolte contre le service de D-ieu, qui peut provenir aussi du non sens des souffrances dont il est témoin.
Il faudra lui expliquer que le non sens des souffrances résulte d'une conception du monde dans laquelle D-ieu n'existe pas, et non pas le contraire, que le rejet de D-ieu résulte du non sens des souffrances comme il le prétend. L'arbitraire, le hasard, le déterminisme des lois de la nature créent ce non sens jusqu'à la nausée chez celui qui ne croit pas en D-ieu, alors que le problème de la souffrance interpelle le croyant différemment. Le question du "sens" ou "non sens" n'est donc qu'un prétexte qui cache la véritable question: accepter ou refuser le rôle du Peuple juif. On lui répondra que s'il avait été en Egypte, D-ieu n'aurait pas été dupe de ses arguments et son choix de refuser le service de D-ieu l'aurait laissé là bas, esclave à jamais.

L'enfant sage:

Si l'enfant sage se réfugie dans l'étude pour fuir une réalité ou des questions dont il a peur, c'est peut être aussi parce qu'il sait ou ressent, avec raison, que l'étude et l'approfondissement de la Thora lui apporteront des réponses. On lui montrera que les sages du Talmud n'ont pas eu peur des questions difficiles, et que toute étude approfondie doit s'orienter sur la pratique et finalement retrouver la réalité.
La Haggadah répond à ce fils en citant une des dernières règles pratiques de la soirée pour dire: enseigne jusqu'au bout en rattachant cet enseignement à la réalité de la vie.

L'enfant simple:

La réponse sera au niveau de sa compréhension. On ne lui demande pas le soir de Pessah de voir l'autre ou tous les autres, mais de savoir que la sortie d'Égypte marque le passage sans étapes intermédiaires d'un esclavage à un autre. D-ieu nous a fait sortir par son bras puissant tandis que nous étions sans forces pour assurer notre indépendance. Ce message court et clair appelle au respect des ordres divins grâce auxquels ce fils apprendra finalement à voir les autres.

(1) Haggadah. Immédiatement après Ma Nichtana (les 4 questions).
(2) Exode 12,43-50.
(3) Mechilta 13,14. Talmud Yerouchalmi Pessah'im 10,4.
(4) Deutéronome 6,20. Exode 12,26. Exode 13,14. Exode 13,8.
(5) L'esclavage en Égypte pour commencer. Voir Brit Ben Habetarim (L'alliance d'ebtre les morceaux). Genèse 15,12.
(6) Psaumes 79,6-7.
(7) Ruth 1,16-17.
(8) Ruth 2,12.
(9) Talmud Bavli Baba Metzia 58b. Maimonide, lois sur les ventes 14,12-1.
(10) Psaume 27,7-10.
(12) Exode 5,22.