Conversation 36281 - Humanisme et Torah

Yahouda
Lundi 30 avril 2007 - 23:00

Torah et droits de l’homme,
Bonjour,
J’ai lu vos réponses « humanisme et Torah »…Mais il me semble que les enseignements du judaïsme sont ne sont pas tout à fait compatibles avec la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,du moins en apparence, car certains articles de cette Déclaration me semblent entrer en contradiction avec les préceptes de la Torah :
(La Déclaration est disponible sur http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm)
1) Article 4 de la Déclaration : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
Or la Torah ordonne d’avoir des esclaves, et organise les statuts de l’esclavage

2) Article 5 « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
Or dans votre réponse à la question 32291, vous dites que la Halakha autorise la torture dans certains cas…

3) Article 16 « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.»
Or dans le judaïsme, la femme et l’homme n’ont pas de droits égaux, c’est l’homme qui répudie la femme mais la réciproque n’est pas vraie. La femme peut tout au plus CONTRAINDRE l’homme à la répudier, mais il n’y a pas d’égalité de droit de divorce…
4) Article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.»
Reconnaissez-vous aux juifs le DROIT de changer de religion ? Je suis choqué quand le Rav David Zenou parle du « sommeil spirituel » du cardinal Lustiger dans sa réponse à la question 23622, intitulée « le cardinal est-il juif ? »
Article 19 : « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.».
Cet article me semble être en contradiction flagrante avec le chapitre 13 du Deutéronome… sans compter que pour la Torah on n’a pas le droit d’être idolâtre…
Merci et bravo pour votre site.

Rav Elie Kahn z''l
Vendredi 25 mai 2007 - 08:37

Chalom

Si la déclaration des droits de l'homme est le critère universel de l'humanisme, vous avez entièrement raison de noter que certains passages de la Tora posent problème.
Mais votre question, qui est plus une interpellation (tout à fait légitime, par ailleurs) qu'une question, appelle plusieurs remarques.
La première est que si par humanisme, on entend que l'être humain est au centre de nos préoccupations, le judaïsme n'est pas humaniste. C'est D'ieu qui est au centre de notre monde. Nos textes parlent du respect dû aux créatures. C'est parce qu'il a été créé à l'image de D'ieu que l'homme est digne de respect.
Le Professeur Yeshayahou Leibowitz a poussé cette logique à son extrême et a déclaré que "l'homme en lui-même n'est pas une valeur, il n'est qu'une des composantes physiques de la création, comme cette montagne, cet arbre ou cet animal. Il n'y a de valeur en l'homme que de par sa position devant D'ieu. Le judaïsme n'est pas humaniste. Religion et humanisme sont deux entités contradictoires (Am Yehoudi ouMedinat Israël, page 310 et 312).
L'opinion du Professeur Leibowitz est extrêmement controversée, et on peut lui opposer de nombreuses citations bibliques, talmudiques, midrashiques et rabbiniques dans lesquelles l'importance de l'être humain est mise en évidence. Mais elle permet tout de même de mieux comprendre pourquoi la déclaration des droits de l'homme n'est pas pour nous la référence. En effet, cette déclaration occulte totalement les devoirs de l'homme, non pas face aux autres hommes, mais face à D'ieu.
Mais qui a dit que cette déclaration est l'aune à laquelle il faut mesurer l'humanisme?

La seconde remarque est que vous citez certaines lois de la Tora qui ne sont plus actuelles.
Ainsi, vous faites remarquer que la Tora tolère l'esclavage. Et vous avez raison. Mais il n'est plus de mise aujourd'hui. Une des grandeurs de la Tora est d'imposer des lois accessibles. Annuler totalement l'esclavage à l'époque de la Tora était totalement impensable (faut-il rappeler qu'il n'a été définitivement annulé en France qu'en 1848?). C'est pourquoi la Tora a préféré réglementer cette pratique, en réduire le barbarisme, en laissant le soin à l'humanité de progresser jusqu'à pouvoir en assumer l'abolition.

Concernant la torture. Je crois que torturer une personne qui cache un secret mortel pour des dizaines d'innocents est bien plus humaniste que de la laisser réaliser son projet. D'ailleurs ne nous y trompons pas. Aucun des pays signataires de la déclaration des droits de l'homme ne permettra que ses citoyens innocents soient assassinés de cette manière. Sans parler de la France qui au vingtième siècle a allégrement torturé les militant algériens, ni les Américains qui se le permettent aujourd'hui, pour combattre le terrorisme.

Je vous accorde qu'il y a lieu d'améliorer la condition féminine dans le cadre de la Halakha, et c'est une tâche à laquelle se sont attelés les rabbins depuis l'époque talmudique. La remarque que j'ai faite sur l'esclavage est en partie vraie là aussi. La condition de la femme juive au dixième siècle avant l'ère chrétienne ne doit pas être comparée à celle de la femme européenne au vingt et unième après. Il faut comparer ce qui est comparable.
Mais je ne nie pas qu'il y ait encore des points à améliorer, et du travail à faire sur ce thème.

D'ieu étant pour nous au centre, et non l'homme, tourner le dos à Sa loi n'est pas légitime. Toutes les opinions ne se valent pas à nos yeux. Nous ne pouvons accepter les opinions qui nient D'ieu. Cependant il est accepté aujourd'hui que personne ne puisse être poursuivi pour délit d'opinion, même dans le cadre d'une communauté religieuse.
Là aussi, l'histoire est passée. Ce qui fut une vérité quasi universelle, une croyance qui constituait le ciment de la nation est devenu optionnel. Le temps des prophètes et celui des miracles est révolu, et il faut en tenir compte. Nier D'ieu aujourd'hui, après la Shoah, n'a pas la même signification que par le passé. Si c'est encore une erreur, elle est moins grave qu'elle ne l'était.

Voici pourquoi, je continue d'affirmer, malgré vos remarques, que la Tora et la Halakha sont humanistes, d'un humanisme applicable et non utopique, qui lui n'existe que dans les déclarations solennelles, mais pas dans la réalité.