Conversation 45934 - La faute de Nadab et Abihou

Jobina
Mardi 17 février 2009 - 23:00

Bonjour! Quel était exactement le crime de Nadab et Abihou et qu'est ce que c'était que le "feu profane" qu'ils ont allumé? Merci d'avance.

Jacques Kohn z''l
Mercredi 18 février 2009 - 03:36

Bien que la Tora indique comme motif du châtiment de Nadab et Abihou le fait qu’ils avaient offert un feu profane que Hachem n’avait pas ordonné, la comparaison des divers textes relatifs à cet événement laisse entrevoir certaines fautes supplémentaires, Les exégètes s’efforcent de déterminer le lien commun entre elles, ou le défaut moral qui est à leur origine. Nous suivons cette même voie et émettons l’hypothèse suivante.
La catastrophe avait éclaté comme un coup de foudre au milieu de la joie sacrée du premier nissan, jour dix fois béni, et à la minute même où la joie avait atteint b comble du bonheur, grâce à la manifestation de la Chekhina sur l’arche sacrée du Sanctuaire (Sifra). Certes, explique Sifra, les fils d’Aaron n’ont reçu que ce qui leur était dû depuis le Sinaï, et cette déclaration fait allusion au sursis de la peine de mort qui leur avait été accordé lors de la Révélation au Sinaï, lorsqu’ils avaient « contemplé le Dieu d’Israël » avec arrogance, « après avoir bu et mangé» (Rachi Chemoth 24, 10 et 11 Comm. ibid.). Ils avaient pourtant reçu l’avertissement solennel de « ne pas se précipiter vers Hachem pour voir » et pour chercher â percer le mystère de la divinité. Cet avertissement, qui prévoyait la peine de mort en cas d’infraction, avait été spécialement répété à l’intention des « kohanim qui s’approchent de Hachem » (19, 22), « pour offrir les sacrifices, précise Rachi ; qu’ils ne se fassent pas forts de leur privilège en voulant allant plus loin ». Cependant Hachem « n’avait pas porté sa main sur eux», car il n’avait pas voulu troubler la joie de la Tora et il avait attendu pour Nadab et Abihou jusqu’au jour de l’inauguration du tabernacle (Rachi ibid.).
Mais pourquoi fallut-il que la sentence de mort fût exécutée en ce jour d’inauguration qui était également un jour de joie exceptionnelle ? Certains indices tendent à faire accréditer la thèse selon laquelle les fils d’Aaron ont récidivé en ce jour de l’inauguration : « Ils s’approchèrent (de trop) de Hachem, et ceci causa leur mort ». Rabbi Yosé Hagalili; Rabbi Aquiba et Rabbi Eléazar ben Azaria mettent l’accent sur l’importance de ce verdict de la Tora (Wayiqra 16, 1) et ils soulignent que ce péché à lui seul méritait la mort (Sifra). Les fils d’Aaron allèrent jusqu’à s’enhardir à pénétrer dans le Saint des Saints, selon l’opinion de Bar Kappara (dans Midrach Rabba), partagée par de nombreux maitres et défendue par Ibn Ezra (mais contestée par Nahmanide, ibid.). Ils s’y rendirent pour avoir une vision plus claire de la divinité et ils prirent chacun leur encensoir (l’offrande du קטורת étant spécialement affectée à la partie située à l’intérieur du rideau) afin de ne pas effectuer une ביאה ריקנית (Yoma 53a). On peut, certes, discuter de la pureté de leurs intentions. Etait-oe l’arrogance qui les incitait à passer outre aux limites tracées à la connaissance humaine et cette arrogance était-elle stimulée par la suffisance que procure un festin plantureux comme ce fut le cas au Sinaï ? Doit-on admettre, comme le fait R. Simon (cité par Rachi), qu’ils étaient entrés au Sanctuaire après avoir bu du vin ? Ou peut-on penser, avec Sifra (N° 24), qu’ils avaient voulu, dans l’accès de joie provoqué par l’apparition du feu céleste, ajouter encore à l’amour de Dieu et s’avancer pour pouvoir mieux servir Hachem ? Mais même s’il en fut ainsi, cet excès d’enthousiasme idéaliste qui bouscule les limites est condamnable. Il représenté un אש זרה, une flamme étrangère à la vraie foi juive.
Maïmonide nous explique la gravité de ce péché de vanité intellectuelle dans son Guide des Egarés 1,5 et nous avons résumé ses arguments dans notre Comm. Chemoth 19, 21 et 22. S. R. Hirsch insiste également sur ce point, après avoir fait valoir qu’à chaque fois que la Tora relate une offrande agréée par Dieu, on trouve à côté d’elle l’exemple d’une autre offrande rejetée. Ainsi en est-il pour le sacrifice d’Abel et de Caïn, ainsi en est-il également pour l’épisode de ces deux jeunes prêtres qui contraste violemment avec les passages précédents. Quelle était leur faute ? Pourquoi cette sanction impitoyable ? « Il semble que les deux fils aient agi dans un élan spontané, par un geste qui devait, dans l’idée de ces jeunes exaltés, manifester leur joie, leur fierté de pouvoir approcher l’autel. C’est précisément cet emportement joyeux qui leur devient fatal. Car rien ne doit servir de prétexte pour enfreindre l’ordre établi par la Loi. Ajouter, modifier, fût-ce même avec la pensée sincère d’agir pour le bien, ne peut être toléré, surtout de la part d’un prêtre. Ce n’est pas à eux, ce n’est à personne de juger quelle est la manière de mieux servir Dieu en délaissant ainsi le seul mode que la sagesse divine nous a imposé. Comprendre ce mode, y faire fondre tout notre élan, lui donner le maximum d’intensité et de vie, voici la tâche qui nous est assignée. Le jugement divin sévit sur ces deux prêtres, car ils furent des proches de Dieu ; ils auraient dû être l’exemple même de la discipline et leur faute qui, commise par un homme quelconque, aurait été moins grave, pèse sur eux lourdement, parce que ce sont des chefs qui s’en sont rendus coupables ».
D’une façon analogue, Rabbi Isaac Meïr de Gor montre que les meilleures intentions ne peuvent justifier une action qui ne serait pas confirmée par un ordre divin. Les fils d’Aaron furent punis pour une prétendue mitswa qui n’avait pas été ordonnée par Dieu. Or, le pouvoir sanctifiant de toute mitswa repose sur son origine divine : שנו במצותיו וצונואשר קד.
L’attitude de Nadab et Abihou est caractérisée en tout état de cause par une certaine présomption. S’ils n’avaient été imbus de leur personne, ils n’auraient pu prendre des initiatives individuelles dans le domaine du service sacré, où la discipline la plus rigoureuse avait été proclamée comme loi fondamentale en des termes catégoriques (cf. Comm. Chemoth 28, 35). Mais l’orgueil et la fatuité sont mauvaises conseillères. Ils les entrainèrent à des actes irréfléchis et à de nombreuses fautes, comme le montre également Rabbi E. Dessler dans מכתב מאליהו, II, p. 244. Nos Sages les énumèrent à diverses reprises, et nous montrerons dans notre Comm. v. 12 comment la série des péchés suscite l’issue fatale. Ils avaient décidé d’une loi (relative à l’offrande de l’encens) en présence de leur maitre Moïse ; ils s’étaient montrés irrespectueux à l’égard de Moïse et d’Aaron (Sanhédrin 52 a). Ils ne s’étaient pas concertés entre eux ; ils avaient bu du vin avant d’entrer au Sanctuaire ; ils y entrèrent sans avoir procédé à l’ablution des mains et des pieds et sans être revêtus de la robe du Ephod (Wayiqra Rabba c. 20).
Le Zohar les accuse notamment d’avoir voulu exercer les fonctions sacerdotales alors qu’ils étaient restés célibataires. Quiconque néglige le devoir de procréation montre qu’il n’est pas solidaire des destinées de son peuple et il se disqualifie, de ce fait, en tant que son représentant devant Dieu. Le célibataire ne peut recevoir ni transmettre les bénédictions célestes à l’intention du peuple, car il n’est pas persona grata et il n’est pas qualifié à officier à l’intérieur du Sanctuaire. Le Choul‘han ‘aroukh (Ora‘h ‘hayyim § 128, 44) se fait l’écho de cet avis relativement à la qualification d’un célibataire de prononcer la bénédiction des kohanim. Plus loin, lors des nouvelles instructions concernant l’entrée au Sanctuaire, la Tora fera allusion à l’obligation pour le kohen d’être marié dans la phrase, Wayiqra 16, 3 : בזאת יבא אהרן אל הקודש, avec elle (le signe du féminin) Aaron entrera au Sanctuaire ».
Les deux frères, il est vrai, n’avaient pas encore atteint l’âge de vingt ans (Zohar). Mais leur fierté les incitait à vouloir demeurer célibataires. « Quelle fenune pourrait être digne de nous, disaient-ils ? Le frère de notre père est roi ; le frère de notre mère est le président des douze phylarques des tribus d’israèl, notre père est Grand-Prêtre et nous sommes ses adjoints » (R. Lévi, dans Wayiqra Rabba c. 20).
Sans doute étaient-ce ces péchés réunis qui motivèrent la violente répression, mais le texte nous désigne ici le « feu étranger » constitué par l’offrande de l’encens comme la raison immédiate. Cette offrande était déplacée, explique le Zohar, parce qu’elle n’avait été ordonnée qu’à Aaron (qui n’avait d’ailleurs pas encore eu l’occasion de l’exécuter) et qu’elle devait rester le privilège d’Aaron de tout son vivant. Ses fils se rendirent coupables de vouloir « précipiter l’heure de leur sacerdoce ».
L’offrande de l’encens était liée, par ailleurs, à certaines heures de la journée, au matin et au crépuscule (sauf en des occasions exceptionnelles), et les fils d’Aaron outrepassèrent à cette règle. Don Isaac Abarbanel fait le résumé des cinq griefs qui se rapportent à l’offrande de l’encens et dont le principal est celui que Rabbi Aquiba formule en ces termes : Ils prirent le feu d’un poêle (ordinaire). Cette opinion est partagée par Targoum Jonathan et nous avons tenté d’en expliquer la portée dans notre Comm. Chemoth 30, 7.
Les fils d’Aaron devaient « remplir l’encensoir de charbons ardents, pris sur l’autel » (Wayiqra 16, 12). Mais au lieu de s’en tenir à cette règle impérative, énoncée pour le jour de Kippour, mais valable pour la combustion de l’encens effectuée chaque jour, matin et après-midi (Tamid 2, 5), ils allèrent prendre des charbons d’un four ordinaire (Sifra), ce qui constituait un « feu étranger, אש זרה », Or, en agissant ainsi, ils faussèrent le sens de l’offrande de l’encens. Car cette offrande doit opérer la transformation de l’élément animal en une flamme éthérée qui monte vers le Seigneur. C’est pourquoi sa substance essentielle doit provenir de l’autel des sacrifices où la chair des animaux se consume. Cette fin devient toutefois illusoire si le feu provient, non pas de l’autel, mais d’un four quelconque. Ainsi, mus par l’arrogance et la présomption, les fils d’Aaron commirent une série de graves péchés. Et pourtant, cette double mort à la face de Dieu, exécutée sans aucun délai de gràce et en plein milieu d’une journée fastueuse, consacrée à la joie sacrée, ne peut s’expliquer que par certains motifs particuliers qui seront exposés dans notre Comm. v. 12.
Il nous appartient enfin de faire état de l’opinion des auteurs d’orientation cabbaliste qui s’exprime dans les explications de Racanti, Nahmanide, Bahya et Abr. Saba (צרור המור). Selon ces auteurs, Nadab et Abihou se rendirent coupables d’une hérésie en offrant leur sacrifice d’encens, non pas en hommage à Hachem et dans l’esprit décrit ci-dessus, mais comme moyen d’apaisement des forces vindicatives qui sévissent dans la création. Cette accusation se base sur le fait que le texte ne porte pas וישימו עליהן קטורת, « ils mirent l’encens sur eux (les encensoirs) », comme la syntaxe de la phrase l’eût exigé et comme il est dit dans Bamidbar 16, 7, mais il paraphrase : וישימו עליה קטורת, « ils lui jetèrent l’encens » (עליה, à elle) formule qui vise la מדת הדין, la mesure de la justice primitive, C’est dans l’intention d’adoucir ces rigueurs que les fils d’Aaron offrirent l’encens, étant donné qu’il possède des vertus apaisantes, comme il a été montré dans notre Comm. Chemoth 30, 7. Mais cette conception frise l’idolâtrie, cet encens est un אש זרה, un feu idolâtre, car l’offrande aboutit à la doctrine polythéiste qui reconnait l’existence de plusieurs divinités indépendantes, celle qui venge impitoyablement face à celle qui prodigue l’amour. Nadab et Abihou furent, avec Adam et Noé, au nombre des personnages bibliques qui « pénétrèrent dans le jardin de la philosophie, נכנסו בפרדס ». Mais ils y « renversèrent les plantes », en piétinant la vérité. Aussi durent-ils périr, tout comme Ben ‘Azaï, qui, lui aussi, s’était égaré dans le jardin de la philosophie (Hagiga 14 b). Mais comme Ben ‘Azaï également, leur mort était « une chose précieuse aux regards de Hachem», יקר בעיני ה', car ils étaient חסידיו, ses pieux serviteurs (ib. cf. Meharcha). A l’instar de Noé, ils avalent été « ivres » de connaissance de Dieu (ce à quoi R. Simon fait allusion en rapportant qu’ils avaient bu du vin avant d’entrer au Sanctuaire) et ils n’avaient péché que par absence de pudeur intellectuelle (צרור המור).
(Rabbin Elie Munk – La voix de la Thora, vol. 3 p. 68).