Conversation 47217 - La visite du pape

alakefak
Mercredi 20 mai 2009 - 23:00

Nombreux sont les rabbanim qui emettent des reserves sur la venue du pape en Israel. Qu'en pensez-vous?

Rav Elie Kling
Jeudi 21 mai 2009 - 00:24

La visite du pape en Israël ne suscite en moi ni réserves, ni critiques. Pour être tout à fait franc, elle m’enchante plutôt, cette visite ! Ni son passage dans les jeunesses hitlériennes, ni l’affaire de l’annulation de l’excommunication du prêtre négationniste, ni son intention de béatifier Pie XII, le pape à l’assourdissant silence, ni les prudentes précautions oratoires qu’il a prises à Yad Vashem et qu’a relevées le Rav Lau, ne parviennent à entamer mon enthousiasme. D’abord reconnaissons que ce n’est pas de plein gré qu’il fut, comme tous les ados de son age, enrôlé de force dans les Hitlerjugend. Bien sur, on peut se demander si l’église catholique n’aurait pas pu trouver pour chef un prélat dont la biographie ne contenait pas un épisode en uniforme nazi , mais finalement, c’est plus le problème de l’église que celui de Benoît XVI. Et pour le reste, je vous conseille de revoir à la baisse les espoirs mis depuis Vatican II dans le changement d’attitude des chrétiens à notre égard. Cela nous evitera d'etres decus lorsque le Saint Siège change d’occupant. D’autant que, là aussi, les faux pas du pape sont avant tout un problème chrétien. Apres tout, si le monde catholique par la volonté de son chef désire transformer en héros le pape qui refusa de condamner sans ambiguïté le génocide nazi alors que l’on déportait quasiment sous ses yeux les juifs de Rome, c’est le problème du monde catholique et pas le mien . C’est eux que ça devrait gêner, pas nous! Le jour où les juifs se feront á l’idée que l’antisémitisme est avant tout le problème des non juifs, tout le monde se portera mieux.
Non seulement la visite du pape ne m'a pas decu mais je dois dire que j'ai beaucoup apprecie. Parce qu’à chaque fois que je le voyais, je pensais à Pie X, qui le précéda d’un siècle sur le trône de Saint Pierre et à l’incroyable entrevue qu’il eut avec Herzl.
Nous sommes en Janvier 1904. Le fondateur du sionisme politique ignore qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre.
Il sait déjà que la proposition britannique d’installer les juifs en Ouganda ne se réalisera pas. L’opposition des masses juives de Russie, pourtant si durement touchées par les derniers pogroms, ainsi que les premiers rapports négatifs concernant les capacités limitées d’accueil dans cette région d’Afrique, ont relégué aux oubliettes de l’Histoire cette solution provisoire, envisagée un temps par Herzl pour trouver une solution d’urgence aux juifs russes persécutés. Cinq mois plut tôt, le chef sioniste avait clos le si dramatique 6ème congrès de Bâle en reprenant à son compte l’antique serment juif du Psaume 137: "si je t’oublie Jérusalem, que j’en oublie ma droite ". En se rendant au Vatican demander le soutien du Saint Siège, Herzl sait que la Terre Sainte sera le seul sujet à l’ordre du jour. « Et voilà », notera-t-il dans son Journal, « c’est à nouveau l’affrontement entre Rome et Jérusalem."
Herzl a bien l’intention de représenter dignement son peuple. Il a déjà fait savoir qu’il ne pourra pas se plier au protocole. Il n’est pas question de se courber devant le Pape ou de lui baiser la main. On lui a gentiment mais fermement répondu que les usages protocolaires ne sauraient être violés pour l’occasion. Le climat est donc tendu avant même le début de la rencontre. On le conduit chez Pie X. Au bout du dernier petit salon, apparaît le souverain pontife. Herzl s’approche mais reste droit. Arrivé à sa hauteur, le pape, debout, lui tend la main, attendant le baiser et la génuflexion : « Vous ne baiserez pas la main du pape ? », lui demande-t-il alors. « Je ne le ferai pas. Mes ancêtres ont donné leur vie pour éviter de le faire, vous ne pouvez pas me le demander… ». Après un moment de silence embarrassé, le pape n’insiste pas et l’invite à s’asseoir. "Cette question du baisemain m’avait beaucoup préoccupé, j’étais soulagé de l’avoir tranché ", notera-t-il plus tard.
Les 2 hommes discutèrent alors du fond du problème. "Non possumus ! », répétera plusieurs fois le pape, "Nous ne pouvons en aucun cas soutenir ce mouvement! Ils n’ont toujours pas reconnu notre Seigneur, ils ne peuvent donc retourner à Jérusalem!"
- Mais, la situation des juifs est épouvantable. Je ne sais si Votre Sainteté réalise toute l'ampleur de ce drame. Nous avons besoin d'un pays d'urgence pour les persécutés.
- Fort bien. Mais cela doit-il vraiment être Jérusalem?
- Mais en ce moment, vous y tolérez bien les Turcs!
- Nous sommes hélas bien forcés d'y supporter les Turcs. Mais pour les juifs, non possumus, nous ne le pouvons pas.
Herzl sentit que l'entretien touchait à sa fin et aboutissait à une impasse.
- Si nous y sommes contraints, nous nous passerons de votre accord.
- Si vous installez votre peuple en terre Sainte, nous enverrons des milliers de prêtre aux frontières pour vous baptiser tous.
Ainsi s'acheva le premier entretien du chef de l'église catholique avec un représentant de la Nation juive depuis 2000 ans.
En voyant son successeur reçu à Jérusalem par le Président d'un état hébreu indépendant, en le voyant discuter des problèmes de l'heure avec le premier ministre, en le voyant converser avec les grands Rabbins de l'état libre d'Israël, je pensais à la grande victoire du judaïsme sur la théologie chrétienne, à la revanche d'Herzl sur Pie X. On n'a toujours pas reconnu leur Seigneur et pourtant, nous sommes bien ici, de retour chez nous, où nous recevons leur souverain pontife avec les égards dus à son rang. Et lorsque demain, il nous demandera à nouveau de nous retirer de la Jérusalem historique dans le cadre d'un hypothétique accord de paix avec nos voisins, nous lui répondrons, simplement et sans complexe: "non possumus, vostra santità, non possumus"…
Vues sous cet angle, l'affaire du prêtre révisionniste ou celle de la béatification de Pie XII, ne sont que des détails sans grande importance dans l'histoire nouvelle de nos relations.
Cordial chalom