Conversation 59652 - Les entites morales dans la halakha

FunkyJonat
Lundi 17 octobre 2011 - 23:00

Shalom,

Petite question de hala'ha, sans a priori de ma part:

En droit français, on accepte facilement qu'une entité morale (une entreprise par exemple) puisse être considérée comme une personne physique, avoir un terrain, un compte en banque, agir en justice, et cela de façon tout-à-fait indépendante des être humains qui la constituent ou qui travaillent pour elle.

Quid de la hala'ha, et comment considère-t-on le reshout d'une entreprise ?

est-ce son reshout haYahid à elle ?
est-ce le réshout hayahid du patron ?
est-ce le reshout "commun" de l'ensemble des actionnaires,qui sont les véritables propriétaires (donc avec nécessité de faire un erouv avec tous les actionnaires si, en tant qu'actionnaire, mon appart de fonction est à l'étage au dessus de l'entreprise et que je veux porter ds la cage d'escalier) ?

Quid pour une association, qui n'a pas d'actionnaire ? est-ce son reshout à elle ou le reshout du Président ? du directeur ?

Avez-vous également une définition pratique du domaine karmélite ?

Emmanuel Bloch
Lundi 7 novembre 2011 - 01:01

Chalom,

Voilà une question bien intéressante, et qui mériterait un long développement.

Les questions que vous posez sont pertinentes, mais il faut aller encore plus loin. Par exemple, si une entreprise appartient en réalité à ses actionnaires, il est concevable que détenir une action de cette entreprise soit interdit à Pessah. Pourquoi? Parce que cette entreprise a nécessairement du 'hametz quelque part (cafétéria, ...), que détenir une action c'est être propriétaire d'une partie de ce 'hametz, et que le 'hametz est interdit à Pessah quelle que soit sa quantité.

De même, on peut se demander s'il est permis de détenir une action d'une entreprise qui travaille le chabbat, qui prête à intérêt, etc.

Dans le cas inverse, si l'entreprise est considérée halakhiquement comme une entité autonome (ayant la personnalité morale, pour reprendre une terminologie moderne), alors une banque pourrait sans doute prêter à intérêt sans avoir besoin de faire un heter iskah.

Entre parenthèses, notons qu'en droit occidental, la question du statut de la personne morale a également donné lieu à une controverse de doctrine. Certains juristes (à l'instar de Savigny) défendaient la théorie de la fiction (l'entité morale n'existe pas réellement, elle est une fiction juridique); d'autres (comme Carré de Malberg) affirmaient la théorie de la réalité (l'entité morale existe réellement en tant qu'entité distincte de ses membres).

Un aphorisme célèbre résume bien cette controverse: "Je n'ai jamais déjeuné avec une personne morale" (fiction); "Moi non plus, mais je l'ai souvent vue payer l'addition" (réalité).

Dans la halakha, l'immense majorité des poskim ne voient pas la personne morale comme un sujet de droit indépendant. Ils adhérent donc, plus ou moins, à la théorie de la fiction, sous une forme ou une autre. L'entreprise est vue comme la propriété collective des actionnaires.

Dès lors, il faut se poser les questions mentionnées ci-dessus, et savoir si être actionnaire ne revient pas à violer certains interdits. Presque toujours, les poskim répondent par la négative, pour différentes raisons: parce que chaque actionnaire n'a qu'un pouvoir infime sur les décisions, etc. Mais il existe des exceptions - le minhat yitzhak (r. Weiss) recommande ainsi de ne pas avoir d'actions pendant Pessah, pour éviter de tomber dans l'interdit de posséder du hametz. Il est minoritaire, mais l'opinion existe.

A ma connaissance, seul le Rogatchover, r. Yossef Rosen (1858-1936), voit l'entité morale comme une personne indépendante. Il se fonde sur des précédents halakhiques, comme le Temple, qui possédait de manière indépendante des animaux pour les sacrifices et d'autres objets. Cette approche est audacieuse et résoudrait bien des problèmes, mais elle est très minoritaire.

Si vous êtes intéressé, j'ai un article en hébreu plus détaillé dont je peux vous donner les références.

Finalement, je pense que pour les associations, fondations etc., l'opinion majoritaire y verrait la propriété de l'organe ayant le pouvoir suprême (assemblée des membres, conseil de fondation, ...), mais je ne suis pas certain.

Pour le karmelit, il me semble qu'il se justifie de poser une question séparée.