Conversation 6726 - Adapter la loi aux circonstances

Anonyme
Lundi 19 mai 2003 - 23:00

c'est encore moi ,
je viens de lire une de vos réponses concernant le fait de serrer la main de femme à homme et sans vouloir remettre en question votre avis je cherche à savoir pourquoi certains pensent que le fait de serrer la main à un juif pour éviter de le "vexer" revient à douter d'un principe de la torah.
Sur ce, et d'une façon générale,comment allier le fait d'etre en adéquation avec le projet divin en adapatant la vérité aux circonstances sans déformer la halakha(par extension comment savoir si une halakha a la priorité sur telle autre)?
Si la vérité de la halakha varie en fonction des circonstances et les circonstances varient en fonction de la halakha quelle est la limite?
aussi ,si la halakha est tranchée en plusieurs avis et que ceux ci sont contradictoires doit-on considerer que les deux avis opposés sont vrais?
si oui et je pense que c'est le cas peut-on choisir la halakha la plus difficile pour avoir plus de merite?est ce mieux de se conformer à l'avis majoritaire même si il comporte des allégements?
Merci de tout coeur!

Rav Elyakim Simsovic
Mardi 3 juin 2003 - 23:00

Probablement parce que les certains dont vous parlez considèrent que toute transgression revient à remettre en question le principe d'mmuabilité de la Thora. Dans le cas d'espèce, ils considèrent sans doute que le fait d'éviter de vexer quelqu'un n'est pas un motif suffisant. Pourtant, le Talmud a déjà énoncé ce principe en plus d'un endroit (1) : "gadol kevod habériyot chèdo'hè lo ta'assé chèbathora !"

La deuxième question que vous posez est la raison d'être du Talmud tout entier. On pourrait le formuler comme suit : Etant donné un principe absolu de vérité, comment le faire exister dans le monde de la réalité ? Chaque situation comporte ses paramètres propres et la réaction à des circonstances apparemment ientiques peut malgré tout être différente en fonction de ces paramètres. Changeons un instant de registre ; un enfant a fait une bêtise. Faut-il le gronder ? le punir ? lui expliquer pourquoi ce n'est pas bien ? faire comme si on n'avait pas vu ? Il n'y a pas une réponse unique à la question. Beaucoup de choses entrent en ligne de compte comme on peut s'en douter. Les parents et les éducateurs sont en permanence confrontés à ce problème. C'est la même chose pour la halakha ; rappelons d'abord un principe de bienséance qui n'a rien à voir avec la halakha : normalement un homme ne doit jamais tendre le premier la main à une femme (bien sûr, les usages se perdent, mais c'est quand même comme ça a priori). Revenons à la halakha. Donc si une femme a tendu la main à un homme, que se passera-t-il s'il refuse de la prendre ? Ça dépend. Etait-ce un geste naturel et machinal non prémédité ? Etait-ce une provocation (voyant que c'est un "religieux" et sachant que les religieux ne serrent pas la main aux femmes, elle le fait exprès pour le mettre en difficulté) ? Etait-ce une bévue innocente ? Les circonstances permettent-elles d'expliquer gentiment le refus ? A chacun de décider selon son appréciation de la situation. Deux guides : le respect d'autrui et l'honneur de la Thora. Si mon refus de serrer la main risque de provoquer une crise, le hilloul Hachem peut-être plus grand que la "transgression" elle-même et j'en suis responsable. Qu'ai-je gagné ? S'il n'a pas de crise mais seulement le fait qu'une personne deviendra rouge de confusion, c'est assimilé à la THora au fait de verser le sang. Qu'ai-je gagné là encore ? Dans les deux cas, la faute que j'ai faite est plus grande que celle que j'ai voulu éviter.

Ce qui nous amène à votre question suivante. Comment savoir ? Quelle est la limite ? Là non plus, il n'y a pas de réponse unique. C'est pour cela que nous étudions. Pas seulement le Choulhane Aroukh qui nous donne les règles de conduite dans les cas "normaux" maus aussi la Michna et le Talmud et les décisionnaires. D'une part pour savoir ce qu'il faut faire ou ne pas faire a priori, et d'autre part pour savoir quels sont les attendus des décisions halakhiques. En vertu de quels arguments a-t-on décidé ainsi plutôt qu'autrement ? On finit par acquérir une sorte d'"intuition", une sensibilité propre à l'atmosphère de la Thora ; et bien sûr des paramètres personnels interviennent aussi, de caractère, de tempéramment, de sensibilié, etc.

La Thora n'est pas un carcan, ni un moule dans lequel tous devraient être coulés uniformément. Parce qu'elle s'adresse à des hommes de chair et de sang qui ne sont pas tous simultanément au même niveau de leur itinéraire. Ce qui nous amène à votre dernière question et à la conclusion. Oui, bien sûr, les "avis" contradictoires sont pourtant tous vrais. Il est bon de se fixer une ligne de conduite correspondant à la tendance qui correspond le mieux à notre personnalité dans le cadre de la communauté à laquelle on appartient. La halakha la plus difficile n'est pas toujours la meilleure comme le produit le plus cher n'est pas nécessairement de meilleure qualité (influence des coûts de production, des frais de transport et de commercialisation, etc.) Et beaucoup dépend aussi de l'équilibre général de la personne, de son degré de pratique dans différents domaines, de ses faiblesse et de ses points forts. Une houmra peut être condisérée comme une béquille. Elle peut m'aider si je suis boîteux. Mais elle n'a pas forcément une valeur intrinsèque.