Conversation 68247 - Lourd héritage

pseudonyme
Mardi 19 mars 2013 - 23:00

Bonjour,

Mon problème est le suivant, je n'arrive pas à assumer mon héritage juif. Je suis juif de mes deux parents, mais je ne supporte pas être juif, cela est trop dur à supporter pour moi, il y a trop de responsabilité, et cette identité est lourde de conséquence.
J'ai toujours pratiqué le judaisme par obligation, par peur du jugement, et jamais par plaisir. Aujourd'hui c'est plus que jamais difficile pour moi d'assumer ma religion et mon héritage.
Que dois je faire ? à qui pourrais je en parler ? il y a t'il des psychologues spécialisé sur ce sujet ou sur le judaïsme ?
Je n'aime d'ordinaire pas m'adresser aux rabbins, car ils pensent que tout est facile, qu'il n'y a aucune difficulté, que tout va de soi.

Merci pour votre aide.

Rav Samuel Elikan
Jeudi 25 avril 2013 - 04:13

Shalom,

Je peux comprendre votre sentiment. Il n'est pas évident de se faire une identité, de s'accepter tel qu'on l'attend de nous. A plus forte raison si cela nous astreint tellement, tant moralement que spirituellement. Et il ne faut même pas dire lorsque c'est fait pas obligation ou peur du jugement ! Votre sentiment qu'il est difficile d'assumer votre religion et votre héritage est complètement légitime.

Pour les rabbins, également, vous avez raison - mais pas entièrement, je pense. De même que les individus sont différents l'un de l'autre, ainsi en est-il des rabbins. On est tous des hommes avec nos défauts et qualités... Le fait de se pencher dans l'étude permet de développer une certaine vision du monde. Cela n'empêche pas que celle-ci soit différente d'un individu à l'autre. Il vous suffit de voir sur le site pour voir combien ce pluralisme est vrai. Je pense qu'aucun de mes collègues ne vous aurait répondu exactement comme je suis en train de le faire et le contraire est vrai également. On est tous différents.
Et pourtant... nous avons quelque chose en commun. Une histoire, un héritage, un Peuple, une Terre, une langue, une tradition. Là aussi vous trouverez des divergences et des différences. Personne ne raconte l'histoire de la même manière, personne ne comprend la Torah de la même manière exactement - preuve en est l'immensité de commentaires qui existent. La Torah a 70 facettes, nous disent nos Sages, c'est-à-dire qu'elle se conjugue dans toutes les langues (70 est une parabole pour parler de la pluralité présente dans le monde - il y aurait ainsi 70 langues, 70 peuples du monde, etc.). Personne ne parle vraiment la même langue, comme dit, et dans les traditions aussi, vous verrez des divergences. Mais l'important c'est ce sentiment d'appartenance, de but. Notre vie n'est pas vide de sens. Elle revêt d'une importance extraordinaire, tant pour l'individu que pour le collectif. Cette responsabilité n'est pas seulement la mienne, c'est celle de tous les juifs. En fin de compte, même si on naît juif, il n'est pas évident d'accepter son identité.
L'aspect de l'obligation que vous décrivez est, à mon sens, destructeur.
Imaginons que vous découvriez une mine d'or. Allez-vous y renoncer parce que vous savez que vous n'y trouverez pas "tout" l'or du monde? Une seule mine peut faire de vous un homme riche pour le restant de vos jours. Chaque commandement est une mine d'or. Même si nous ne faisons qu'une partie de celui-ci, nos vies s'en trouveront enrichies pour toujours. Le judaïsme est un cheminement, un voyage, où chaque pas compte. Il faut bien se rappeler de cela, ce n'est pas du "tout ou rien". Le "tout ou rien" est une vision extrémiste. Le judaïsme prône la voie du milieu - être en équilibre. L'essentiel est d'être capable d'accomplir un commandement dès qu'on peut. Il faut juste le faire. Un seul pas à la fois. Sans sentiment d'obligation. Juste parce que c'est bien et qu'en fin de compte, ça améliore la société dans laquelle on vit et ça nous rend plus justes - ça fait de nous des hommes bons. Je vais vous donner un exemple, juste pour souligner ce point, que j'ai entendu de mon maître le Rav N. E. Rabinovitch shlita. Il m'a montré une étude, faite aux USA par un sociologue qui montrait le taux d'alcoolisme chez les juifs américains pratiquants en comparaison avec les américains qui se disent laïcs. Les juifs ont un taux d'alcoolisme beaucoup plus bas. Il a continué cette étude sur plusieurs années et a vu que le taux d'alcoolisme des juifs qui s'assimilent - durant la première génération sont presque similaires à celui des juifs pratiquants, durant la deuxième génération, il y a un changement drastique et le taux de la troisième génération est exactement le même que celui des "laïcs".
Ce sociologue, non-juif d'ailleurs, a émis une théorie intéressante: le fait de pratiquer le judaïsme veut qu'on accorde à l'alcool et au vin en particulier, une importance religieuse (on fait le kidoush, la havdala, etc.) et du coup, étant donné l'importance qu'il revêt, la signification qu'il a - on aura plus de "difficultés" morales à "se saouler".
Souvent, nous ne sommes pas conscients de cela, je pense, et le fait d'accomplir les commandements comme obligation nous empêchent de voir qu'il s'agit de véritables "mines d'or".
Je comprends qu'il soit dur d'assumer son identité si celle-ci n'est pas agréable.
Mais je pense que cela dépend de nous - quelle est notre approche ? Je vous avoue, mais qu'on ne le dise pas trop fort, que si on devait pratiquer uniquement par obligation, depuis bien longtemps nombres d'entre nous ne seraient plus du tout religieux.
Je pense que c'est pour cela qu'on appelle D'ieu "notre Père" (avinou); tout comme nos parents nous veulent du bien, ainsi D'ieu veut la même chose pour nous - à savoir autant de plaisirs que nous pouvons en contenir. On appelle ce concept "brit" - l'alliance. Voir D'ieu comme notre Père c'est admettre qu'il existe un lien qui est basé sur l'amour, une sorte de lien naturel; qui n'est pas forcément lié sur la connaissance (*).
D'autre part, le mot "torah" a une racine intéressante: "instruction" (hora'a) parce que la Torah contient les instructions vitales. C'est comme une feuille de route. Prenons un exemple: les machines électroniques nous sont toutes livrées avec de volumineux modes d'emploi, sans lesquels on ne se débrouillerait absolument pas. La vie est beaucoup plus compliquée, et si nous voulons en retirer le maximum, nous avons besoin d'un ensemble d'instructions: ce sont les commandements. On peut les voir d'un œil positif, tout dépend de nous. D'ieu ne nous demande pas de prier parce qu'il a besoin de nos prières; ni d'éviter de manger du porc et des vers-de-terre parce que cela Lui donnerait la nausée... Non, tout cela est pour nous. Pendant plus de trois mille ans la torah nous a enseigné comment construire une vie comportant un sens, et en tirer un "plaisir" maximum. Ce plaisir est plus spirituel qu'autre chose, je pense. Mais il est évident, comme le note bien un des maîtres du début du Moyen-Âge (1) et de nombreux autres encore que cela ne nie pas les plaisirs matériels, au contraire. Le Ramh'al (2) et d'autres encore (2*) nous enseigne que D'ieu a crée le monde par "amour" (la volonté du Bien est de faire le bien). C'est également ce que dit le Roi David (Tehilim 136:1): "Rendez hommage à D'ieu, car Il est bon, car Sa Grâce est éternelle" ("ki le'olam h'asdo") que l'on peut également traduire comme "Son amour est infini" (3). D'ieu, comme dit, n'avait absolument pas besoin de créer le monde. Il est Lui-même Perfection absolue et Il ne nécessite rien, pas même la création.Il est cependant important de signaler ici que, selon l'enseignement de nos Sages, il n'existe absolument rien hormis la proclamation de Son existence, que nous puissions dire de D'ieu Lui-même. En outre, nous sommes aptes à parler de Son rapport au monde. C'est donc ce que nous avons dit: Il est bon et Il définit le Bien. Chaque acte de D'ieu contient le Bien le plus pur et le plus infini. La création est donc un acte d'amour absolu, comme le dit le Roi David: "J'ai dit- le monde est construit d'amour" (Tehilim 89:3). D'ieu a donc un "projet" pour le monde: le Bien ultime. Il semblerait que le Torah constitue donc l'expression de ce dessein et forme ainsi l'esquisse architecturale de toute la Création (4). C'est pourquoi D'ieu dit de la Torah qu'elle est bonne (5): "Car Je vous ai donné une bonne chose, n'abandonnez pas Ma Torah". Nos Sages expliquent que cela veut dire que la Torah forme le plan ultime du bien pour le monde, comme ils le notent (6): "il n'existe pas d'autre bien que la Torah".

Nous voyons donc que l'objectif Divin, autant que l'on puisse le comprendre est la bonté - et c'est lui qui a incité à créer le monde. Cette bonté se dévoile dans la Torah qui est le "mode d'emploi" que D'ieu nous a révélé. C'est en tout cas ce que nous croyons.
Je vous propose de ne plus pratiquer par obligation et d'étudier la Torah pour vivre cette bonté et créer un rapport de confiance, qui dépend de nous, et vous poser la question de ce qui vous dérange tellement. La Torah est faite pour être étudiée et le judaïsme prodigue le questionnement et l'interrogation.
Je vous invite également à lire la réponse à la question 67810.

En espérant avoir pu vous aider,
au moins un peu,

Kol touv

Sources:
(*) cf. Admour HaZaken, Seder HaTefilot miKol Hashana im peiroush hamilot al pi DE"H', Brooklyn, 5731, droush "sheshet yamim toh'al matzot", pp. 284-286
(1) cf. Rav Saadia Gaon, Emounot veDeot (X, chap, 6) etc.
(2) Rav Moshe H'ayim Luzzato (1707-1746) - Dereh' Hashem I, 2,1 (sur l'auteur: http://fr.wikipedia.org/wiki/Moch%C3%A9_Ha%C3%AFm_Luzzatto)
(2*) cf. Shl"a, Beit Israël I, 21b; Shomré Emounim HaKadmon II, 13 et Likoutei Moharan, Kama, 64.
(3) cf. aussi Tehilim 106:1, 107:1, 118:1; Divrei Hayamim I 16:34, II 20:21 - c'est une louange très fréquemment répétée.
(4) cf. Bereshit Rabba I, 2
(5) Mishlei 4:2
(6) Masseh'et Avot VI, 3; T.B. Berah'ot 5a; Ramh'al Kalah' Pith'ei H'oh'ma, portique 8; TY Rosh HaShana chap. 3, hal. 8; Tana Devei Eliahou Zouta (Ish Shalom) chap. 17 (Pirkei Dereh' Eretz II); Petih'ta du Midrash Eih'a Rabba, 2.

HSarah
Mercredi 24 avril 2013 - 23:00

Petite contribution à la question 68247.

Si je peux me permettre, il me semble que votre question révèle un haut niveau spirituel.

Je m'explique. Vous dites qu'"être juif, c'est trop de responsabilités pour vous" ou encore que c'est "une identité lourde de conséquences". Si seulement tous les juifs pouvaient en avoir conscience ! Rendez-vous compte : vous êtes un juif, qui non seulement est né juif mais qui en plus en mesure l'importance ! Combien de juifs savent quelles responsabilités ils ont à assumer en tant que tels ? Combien d'entre nous s'inquiètent de ne pas être à la hauteur ? Soyons honnêtes, probablement pas la majorité. L'orgueil nous empêche bien trop souvent de nous apercevoir que nous ne sommes pas tout à fait (ou pas du tout) dans le vrai.

Pourtant vous, qui "pratiquez par obligation et par peur du jugement", l'avez compris : être juif n'est pas un statut ou un style, c'est une identité profonde, indélébile et lourde de sens. À mon humble avis, votre "problème" traduit peut être un manque de confiance en vous, mais aussi et surtout une belle part de yirat Chamaïm (crainte du Ciel), car seul celui qui craint D. est susceptible de se demander s'il est capable d'être un bon juif.

Reste à faire une introspection sur vous-même, et à vous rendre compte que oui, vous avez le potentiel nécessaire à assumer pleinement votre identité juive. Soyez-en convaincu, et je suis sûre qu'ensuite vous trouverez la force de pratiquer la Torah et les mitsvot de la façon la plus sincère qui soit.

Beatslaha !

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Question envoyée via l'application iPhone

Rav Samuel Elikan
Vendredi 26 avril 2013 - 03:42

Merci de votre contribution.

pseudonyme
Mercredi 1 mai 2013 - 23:00

réponse à la question 68247

Merci Monsieur Elikan d'avoir pris le temps de répondre à ma question, qui je le sais n'est pas facile à traiter.

Depuis toujours j'entend qu'il ne faut pas pratiquer par obligation, mais par plaisir, et qu'il faut accomplir petit à petit les préceptes de la torah , selon notre niveau et évoluer avec l'étude. Je pense que je dois mettre en cause mon entourage qui ne cesse de juger les actes et la pratique , et qui finissent par me culpabiliser car j'ai un niveau différent du leur, et une autre approche du contact avec achem.

J'ai traversé différents niveau de pratique jusqu'à maintenant, cela a évolué comme des montagnes russes, mais il est vrai que je suis très lucide sur l'importance et la vérité d'ashem et de notre religion, d'ailleurs je me dis quelque fois que c'est cette lucidité qui me fait dire que cela est difficilement supportable d'être juif par moment, car je connais l'importance et l'enjeu d'accomplir les mitsvot et la torah.

Je vais me reprendre et arrêter de me culpabiliser si je n'arrive pas à pratiquer telle ou telle chose , je vais plutot essayer de me concentrer sur ce que j'applique au quotidien dans le sens de la torah.

merci également à hsarah pour sa contribution, qui est très encourageante et rassurante, et qui m'aide à y voir plus clair sur ce que je suis et ce que je dois continuer d'être.

Rav Samuel Elikan
Jeudi 2 mai 2013 - 08:22

Shalom,
Merci de votre témoignage.
Si vous avez besoin de quoi que ce soit nous restons à votre entière disposition.
Tenez nous au courant.

Que le meilleur.
Kol touv.