Conversation 68985 - "Tsadik véra lo", ad matay?!

ilan.a
Mercredi 1 mai 2013 - 23:00

Bonsoir,

Je vous pose la question a vous précisément.
Voilà, je suis en plein creux de la vague d'un point de vue de ma relation a D... Oui la Thora est vrai oui HM excite. Oui oui oui, j'ai passé plus de dix ans a la yechiva et plus de 6ans a m'occuper des kehilot et en regardant le monde qui m'entoure je vois simplement que le méchant arrive a ses fins et celui qui essaie de faire bien, tous les problèmes lui tombent dessus. Racha vetov lo tsadik Vera lo, même si 1000 réponses existe le dégoût que l'on peu ressentir de voir la façon dont les hechbonot du bon D... Nous dépasse et malgré tt ! je sais que vous n'êtes ni psy ni navi mais le monde et son fonctionnement me dégoute. Mes mots st certes incorrectes mais je craque de voir le mehalel Chabat vicieux méchant taper sur le tsadik et vivre dans le lux et le tsadik être la serpiere de ce racha.
Ma question? Ad matay? Et comment reprendre courage dans ce genre de situation?

J'espère m'être exprimer courtoisement malgré mon désespoir.

--
Question envoyée via l'application iPhone

Rav Samuel Elikan
Dimanche 5 mai 2013 - 08:24

Shalom,

Tout d'abord je tiens à dire que vous avez raison, en effet, nous ne sommes pas des prophètes, ni - pour la plupart d'entre nous - des psychologues. Et, en effet, de nombreuses "explications" existent relativement à cette question. On doit savoir que les notions de bien et mal sont relatives. Quoi qu'il en soit,certains (1) par exemple, parlent de récompense dans le monde futur, alors qu'on donne aux mécréants tout leur mérite dans ce monde-ci, pour qu'ils n'en aient pas au monde futur.
Alors que d'autres (2) disent qu'il ne faut pas se fier aux apparences - et qu'un homme qui nous semble juste n'est pas forcément le plus juste du monde.
Tous sont cependant d'accord "qu'aucun mal ne provient d'En-Haut" (3). Tout ce que l'on perçoit comme mal dépend de nous.

Je comprends que vous ne cherchez pas de "réponse" (y en a-t-il une vraiment?), mais plus un encouragement. Et là encore vous avez raison. Un enseignement qui m'est très cher, est celui de Rabbi Nah'man de Breslav. En plus du fait qu'il parle souvent de nos états d'âme et qu'il ne faille pas tomber dans le désespoir, car ce n'est aucunement productif et que c'est un conseil du mauvais penchant, du "yetser hara", il écrit dans son livre (4):
"Les questions difficiles ("koushiot") que l'on se pose relativement aux Justes sont nécessaires. En effet, ceux-ci ressemblent à leur Créateur, comme dit, et de la même manière que nous avons de nombreuses questions concernant D'ieu, ainsi il est nécessaire que nous en ayons relativement au Juste, car il ressemble à D'ieu.
Et concernant ces questions sur D'ieu, j'ai l'habitude de dire : au contraire, c'est comme cela que cela doit justement être ; il faut qu'il y ait des interrogations difficiles ("koushiot") concernant D'ieu, et ainsi cela est beau et agréable à D'ieu selon Sa Grandeur et Sa Suprématie... en effet, l'essence de Sa Grandeur et Sa Suprématie dépasse notre entendement et par conséquent il est nécessaire qu'on ait des difficultés (à comprendre)..."

La source de cet enseignement sont les propos de Rabbi Méir dans TB Brah'ot 7a qui dit qu'il n'y a pas de réponse à cette question et qu'il vaut mieux la laisser sous forme d'interrogation. Il a lui-même été le disciple d'un homme (Elisha Ben Abouya) qui, à cause de cette question, a quitté le droit chemin (cf. TB H'oulin 142a) !

Mais l'origine réelle de cette question est dans le livre de Job (Yiov), je pense.

Et pourtant, le Rambam, dans son Guide des Egarés (III, 23) dit qu'Elifaz le Yéménite - un philosophe de l'époque et par ailleurs ami d'Yiov, a raison - le problème d'Yiov c'est une lacune dans sa foi - il ne croit pas dans la "hashgah'a", la Providence Divine.
Comment peut-on dire une chose pareille ?
Il semblerait qu'il y ait là deux aspects à distinguer.
La personne qui souffre ne peut pas parler, le silence vaut mieux que tout.
Ce silence assourdissant, retentissant comme un cri de douleur annihile par sa puissance toute parole possible.
Toutefois, lorsqu'on regarde un événement de l'extérieur sans le vivre, alors on voit une causalité, comme nous disent nos Sages: il n'y a pas de mort ni de malheurs sans faute (qui la cause) - "ein mita belo h'et ve'ein issourin belo avon".
Donc selon Rav Nah'man de Breslav, il y a là une injonction de vivre - de ressentir la douleur, mais de ne pas se désespérer. Ces questions sont bonnes, elles nous montrent à quel point on ne comprend pas D'ieu et à quel point Il est Grand. Les comptes Divins ne sont pas les nôtres. D'autre part, avec le recul, comme le dit le Rambam, on doit savoir qu'il y a une raison aux choses, c'est une causalité néanmoins qui nous dépasse. C'est pour cela qu'il dit dans les lois du jeûne (6) que quiconque souffre doit se demander pourquoi, chercher dans ses actes ce qu'il peut améliorer, toutefois, comme le note le Ramban dans sa lettre sur Kohélet - il est formellement interdit à quelqu'un d'autre de nous dire pourquoi on souffre.
Le Rav Y.D. Soloveitchik (7) va encore plus loin en disant qu'il ne faut pas s'interroger sur la causalité et sur la justice, mais questionne la signification que cela a pour nous et comment on peut agir ou réagir.
C'est un acte qui s'appelle le "retournement" chez les phénoménologues, c'est-à-dire qu'à la place de poser la question sur l'objectivité du monde, on prend ce même phénomène comme étant un élément qui a une régulation interne qui signifie quelque chose, pour moi (8). Il faudrait donc se demander ce que tel ou tel événement veut dire pour moi et qu'est-ce que j'en fais. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas de questions, de difficultés, au contraire, j'en ai plein et c'est très bien. La question est comment puis-je maintenant avancer avec cela.

En espérant vous avoir aidé, mais quoi qu'il en soit, ne vous désespérez pas, il faut voir le côté positif des choses. Et même si on n'y arrive pas, voir comment ce "mal" peut nous aider à avancer.

Kol touv.

Sources:
(1) cf. TB Kidoushin 39b; Sanhédrin 111a; TY Peah chap. 1, hal. 1 (5a dans l'éd. Vilna); TY Kidoushin chap. 1, hal. 9 (49a); Avot deRabbi Nathan 25,1; Bereshit Rabba 33,1; Vayikra Rabba 27,1; Kohelet Rabba 7,23; Tanh'ouma Kedoshim, 1 et Emor, 5; Emounot veDe'ot du Rav Saadia Gaon V, 2; Ramban, Sha'ar HaGuemoul; Sha'arei Tshouva de Rabbeinou Yonah de Guérone III, 122; Sefer HaIkarim (le livre des Principes) du Rav Yossef Elbo IV, 12; Ramh'al, Dereh' Hashem II, chap. 2; il est toutefois à noter que le Ramh'al dans Da'at Tevounot 168 et 36 parle du fait que D'ieu peut faire le bien à qui Il veut, sans aucune règle, et c'est là un grand le dévoilement de l'Infini.
(2) cf. TB Brah'ot 7a - c'est l'opinion de Rabbi Yossei ; Rambam, Guide des Egarés III, 17 et 51 ; Sefer HaIkarim, id. - qui ramène les différents avis ; Rav Sa'adia Gaon à la fin du IIIème maamar d'Emounot veDeot écrit que c'est pour le monde ne dise pas que les juifs font les commandements pour ne pas être blessés - ça va aussi un peu dans ce sens, bien que cela ne soit pas son avis. Quoi qu'il en soit, cela semble être aussi l'avis du Zohar qui dit que "ra lo" signifie qu'il a encore du "mal" en soi - Ki Tetze, p. 4, lettre 13 dans le Soulam et cf. l'article 38 (1984-1985) du Rav Barouh' Ashlag à ce sujet ; c'est également l'avis du Tanya (Loubavitch), chap. 1.
Il est à noter que d'aucuns, comme le Nefesh HaH'ayim (cf. encore H'ayei Olam (Kanievsky, I, 12) parlent de phénomènes mystiques - tels les "guilgoulim" etc.
(3) selon le langage du midrash - Bereshit Rabba, 52.
(4) Likoutei Moharan, Tanyana, 52.
(5) TB Shabat 55a; cf. aussi id. 33a, etc.
(6) Dans le Yad, au début des lois de jeûnes, selon TB Brah'ot 5a.
(7) Kol Dodi Dofek (Une voix! Mon amant frappe), dans "Ish HaEmouna HaBoded" (Le Croyant Solitaire), Jérusalem, 1981, pp. 65-71
(8) C'est ainsi que le Rav Shagar (Shimon Guershon Rozenberg 1949-2007) comprend le concept de "l'annulation de l'étant" (bitoul hayesh) dont parle la h'assidout h'abad - on annule l'étant comme existant objectivement selon la régulation matérielle, c'est l'annihilation de l'être du monde et son ouverture vers la spiritualité Divine qui y réside. cf. "Joie, Solidarité et Fraternité", dans BeTzel HaEmouna, p. 101; BeTorato Yehegué, p. 88, 106; Ahavouh'a Ad Mavet, pp. 7 et suiv.; Bayom HaHou, p. 257 et 263.