Conversation 83999 - Le moussaf du jeune ?!

Doudou64
Lundi 29 octobre 2018 - 18:59

Réaction à  la question 83993 (Moussaf)

 

La question de Peter613 était pertinente. La permissivité pour les adolescents d'être chaliah tsibour pour Moussaf - lié aux Korbanot - fait l'objet de nombreuses controverses. Le Rama (Orah Haïm 694) s'y oppose, basé sur le fait qu'un homme de moins de 20 ans n'est pas assujetti au mahatzit hashekel.

La très grande majorité des batei knesset dans le monde réserve le amoud de Moussaf aux adultes.

Rav Samuel Elikan
Lundi 29 octobre 2018 - 21:46

Shalom,

Merci pour votre réaction.

Cependant, je ne peux que m'étonner de votre propos, premièrement parce que je ne crois pas avoir dit ou laisser entendre que la question n'était pas pertinente, j'y ai juste répondu, de la meilleure manière je l'espère, et deuxièmement, la question des korbanot, ici, n'est, pour le coup, je le crois, pas pertinente. J'y reviendrais par la suite.

D'ailleurs, le Rema que vous citez ne dit absolument pas qu'une personne de moins de 20 ans ne peut pas être shaliah' tzibour pour moussaf !

Si l'on suivait cette logique, la prière de Minh'a aussi étant liée aux korbanot (tout comme shah'arit d'ailleurs) ne pourrait pas être récitée devant une assemblée par un homme astreint à ces prières ?! 

Or ce n'est pas du tout ce qu'affirment le Shoulh'an Arouh' et le Rema (OH 53 et 55).

Concernant le fait que "la très grande majorité des batei knesset dans le monde réserve le amoud de Moussaf aux adultes" - je ne suis pas du tout certain que ce soit le cas, n'êtes-vous jamais allé à une bar-mitzva où le jeune adulte, récitait toutes les prières ? Moi si, et cela je l'ai vu dans de nombreux endroits. 

Quoi qu'il en soit, laissons de côté cette question pragmatique, pour juger de l'aspect halah'ique :

 

1. Il existe effectivement une discussion quand à savoir si un jeune, dont la barbe n'a pas encore commencé à pousser, peut être h'azan de manière fixe, pour des raisons de kvod hatzibour (par respect pour l'assemblée).

La guemara dans le traité de H'oulin (24b) affirme qu'il faut "avoir de la barbe" pour pouvoir être officiant, cependant, la guemara dans le traité de Meguila (troisième chapitre) affirme au contraire que 13 ans et des signes de puberté sont suffisants pour être nommé officiant.

Le Shoulh'an Arouh' (OH 53,6) tranche (selon les Tossafot, le Rosh, le Rashba et le Tour) que si le jeune a 13 ans et un jour et a commencé sa puberté (hevi shtei se'arot) celui-ci peut tout à fait occasionnellement être officiant (le Kaf HaH'ayim, id. s.k. 49 écrit que tel est "l'usage partout"!).

Toutefois, il ajoute à l'alinéa suivant que s'il n'y a dans cette assemblée personne qui ne sait prier sinon lui, il vaut mieux qu'il prenne ce rôle à titre fixe malgré tout (il semblerait que ce soit toujours pour une raison de respect de l'assemblée - il vaut mieux avoir un officiant qui sache prier mais qui est jeune, plutôt que quelqu'un qui aurait de la peine à réciter les mots et qui se tromperait à répétition...).

Ainsi, le Rema ajoute (OH 53,5) que si on a le choix entre un homme qui n'a jamais étudié et ne comprend rien à ce qu'il chante ('am ha'aretz), barbu qui a une grande barbe et une belle voix et le public veut qu'il soit ministre officiant - et un jeune de 13 ans qui comprend ce qu'il dit, mais qui n'a pas une belle voix - c'est le jeune qui a préséance !

Le Mishna Beroura (id. s.k. 19) en déduit, avec le Levoush et le Pri Megadim que de ces propos, le Rema semble dire que le jeune peut être ministre officiant même de manière fixe !

Quoi qu'il en soit - il n'y a là aucune différenciation qui est faite entre Shah'arit, Minh'a, Arvit ou Moussaf - cette loi s'applique à toutes les prières.

 

2. Cependant, plusieurs ah'aronim ont inventé de nouvelles distinctions : dans les Piskei Teshouva (§87) au nom du resp. She'arei D'ea (I, §7) ainsi que dans resp. H'ina deH'ayei (§88) - l'argument que vous avancez est énoncé (quelque peu différemment, mais il ne fait aucun doute que vous pensiez à cela) - pour pouvoir acheter le "korban moussaf", on prenait l'argent du demi-sicle, or le don des "jeunes" n'y était pas accepté, puisque la mishna dans Shekalim (1,5) dit que le "katan" - ce qui signifie a priori, moins de 13 ans - ne peut pas donner le demi-sicle.

Or le Rav Ovadia Bertinoro (id. 1,3), suivant une interprétation possible du Talmud de Jérusalem, comprend que ce "katan" dont il est question le reste jusqu'à l'âge de 20 ans, puisque dans la Torah le demi-sicle est lié au décompte du Peuple, or on ne comptait les gens que dès l'âge de 20 ans.

Ainsi, le Rema que vous citiez affirme effectivement qu'une personne de moins de 20 ans n'est pas astreinte à donner le demi-sicle (mah'atzit hashekel). 

Toutefois, toute cette argumentation est deh'ouka - chancelante, concernant l'officiant de moussaf.

En effet:

A. Le Talmud de Jérusalem lui même (H'aguiga 1,1 (75d)) affirme que les enfants de 13 ans étaient astreints à l'époque du Temple à donner leurs sacrifices.

B. Le fait que le jeune ne puisse pas donner l'argent du demi-sicle ne le rendrait pas exempt pour autant des korbanot tzibour, puisqu'il en fait partie et il en est acquitté - de la même manière qu'il peut acquitter quelqu'un d'autre par ses bénédictions ; il fait partie du tzibour, de la communauté.

C. La majorité des commentateurs, dont le Rambam (comm. sur la mishna), comprennent que la "katan" dont il est question dans la mishna est seulement un enfant de moins de 13 ans. Le Tossafot Yom-Tov va même plus loin en affirmant que la preuve du rav Bertinoro ne tient pas, puisque de la suite du même passage dans le Talmud de Jérusalem (Shekalim, chap. 1), il est clair que la mishna parle de moins de 13 ans (et l'on peut éventuellement comprendre que le Maguen Avraham OH 694 s.k. 3 tranche ainsi, puisqu'il suit les propos du Rav Heller dans son TYT, concernant le non-devoir de don du demi-sicle pour les filles - quoi qu'il en soit, cf. Torah Temima Shemot chap. 30, n. 13)! 

D. Quand bien même on lirait la mishna comme Rabbi Ovadia Bertinoro, le Rambam tranche (hil. Shekalim, chap. 1, hal. 7) qu'a posteriori - si un jeune aurait donné son demi-sicle, on l'accepte
(pour comprendre comment ça marche conceptuellement - cf. Sha'ar HaMeleh', hil. Shekalim 1,1 ; Avnei Milouim §28, s.k. 33 ; Beit Efraim HM §8 ; Ktzot HaH'oshen HM §235, s.k. 4).

Ainsi, l'écrasante majorité des décisionnaires a repoussé ce distinguo - cf. les propos du Maharsham de Brezen dans son Da'at Torah (§286) qui note bien que même une personne âgée de moins de 20 ans est astreinte, selon la halah'a, aux korbanot de moussaf.

Cf. encore resp. Tzitz Eliezer (XI, §1), resp. Yeh'ave Da'at (I, §86) ; resp. Be'er Sarim (Shlesinger - II, §64) ; resp. Orah' Israël (I, §23).

La seule source que je connaisse concernant le fait qu'il faut avoir 20 ans pour amener des sacrifices (en l'occurrence le korban pessah') est dans un livre apocryphe - le Livre des Jubilées (Sefer HaYovelim) - 49, 1, 17. 

En 1930 déjà, le Rav Prof. H'anoh' Albeck (1890-1972), qui, soit dit en passant, avait reçu sa smih'a du Beit Midrash laRabbanim de Vienne à l'âge de 15 ans (!), écrivait un article dans la revue Wissenschaft des Judentums (n° 47) quant à la place moindre, mais existante malgré tout, de ce livre apocryphe dans la halah'a juive ; autant dire que ce n'est pas une source sur laquelle on devrait baser des lois...

 

3. Pour terminer, je voudrais citer ici le H'atam Sofer (resp. II YD, §155) : 

"... il n'y a aucune source dans la guemara (= concernant l'âge de 20 ans), seulement dans des drashot d'aggada ( = donc métaphorique), et les ah'aronim ont déjà écrit que l'on ne peut pas se fier à cela (= c-à-d.pour trancher la halah'a) ... mais la vérité est que dès qu'un jeune devient bar-mitzva selon les années ( =13 ans) et les signes (= de puberté), il est astreint à toutes les lois de la Torah, tant devant le Tribunal d'En-Haut que celui d'ici en bas. Et selon mon humble avis... les punitions de la Torah s'appliquent à tous les âges ( = dès 13 ans), car il n'y a pas de distinction entre malkot et korban, les mesures ont été données à Moïse au mont Sinaï, et quiconque a treize ans et ses signes de puberté, est égal face à la loi et à ses punitions".

Il est cependant clair que dans la Torah l'âge de 20 ans symbolise la possibilité de prendre part au leadership, de prendre des rôles publics : on s'enrôle à la guerre dès 20 ans (Shemot 30, 12-16 ; Bamidbar 30, 1-3), on ne peut commencer, si on est Lévi, le travail au Temple qu'à partir de cet âge (Divrei HaYamim I 20,24-26 ; Ezra 3,8) ; idem pour les paiements de valeurs - erkhin (cf. Vayikra 27,1-8) - l'âge de 20 ans constitue un passage.

Mais à part cela, nous dit le H'atam Sofer, les astreintes, devoirs, punitions - et donc possibilité de prendre responsabilité pour autrui, comme le fait de pouvoir prier pour lui - sont les mêmes pour toutes les personnes dès 13 ans.

 

Cordialement,