Conversation 84207 - La foire (aux questions) de Pourim !

cyrano73
Mercredi 6 mars 2019 - 21:19

Bonjour,

Plusieurs questions qui me turlupinent grandement ces derniers temps :

 

1) D'où provient l'usage de se déguiser à Pourim ? Est-ce lié au "carnaval", dans quel cas, n'y aurait-il pas un "problème" à célébrer la fête comme ça ?

 

carnaval

 

(image : Tintin et les Picaros, http://fr.tintin.com/albums/show/id/23/page/0/0/tintin-et-les-picaros)

 

 

2) J'ai l'impression que les questions de féminisme et judaïsme se cristallisent surtout, dans le monde orthodoxe, en Israël et dans le monde anglo-saxon, à la synagogue, en deux moment particuliers : à Pourim, concernant la lecture de la Meguila par les femmes et à Simh'at Torah, concernant la danse de celles-ci avec les rouleaux de Torah.

Mais là, je me suis posé la question, la lecture de la Méguila n'est-elle pas liée au temps ?

Et si c'est bien le cas, pourquoi les femmes n'en sont-elles pas exemptées ?

Et si elles sont astreintes comme les hommes, peuvent-elles les acquitter de la lecture ?

mordehai et esther

 

3) Il y a plusieurs versets que l'assemblée lit à voix haute durant la lecture de la Méguila ou qui sont lus avec des airs différents de ceux de la lecture normale. Je connais toutes sortes de blagues là-dessus, mais pas de réelle explication, ni l'origine de la chose. Saurez-vous m'éclairer ?

haman_cheval

 

4) Même question concernant le bruit que l'on fait en entendant le nom d'Haman. D'où est-ce que ça vient et quelle en est la raison ? Et pourquoi avec des crécelles ?

crecelles

 

5) D'où vient l'usage de manger ces biscuits, les "oreilles d'Haman" à Pourim ? Et pourquoi ces "oreilles" sont-elles triangulaires ?

oreilles haman

 

6) A Pourim, on a pour usage de boire de l'alcool et de se réjouir, mais on m'a dit qu'il y avait un devoir de se soûler ?! Est-ce vrai ?

Et si ce n'est le cas, dans une société comme la nôtre où l'alcoolisme, la drogue et d'autres dépendances font tant de ravages, serait-ce vraiment raisonnable d'inciter les gens, surtout les jeunes, à avoir de telles pratiques ?!

J'ai un énorme respect pour la tradition, mais j'ai vu des scènes terribles de gens ivres qui me semblent bien loin de l'esprit convivial des fêtes qui semble s'imposer...

 

vin

 

7) J'ai entendu un rabbin dire qu'aujourd'hui il y avait encore un commandement de "détruire" Amalek, d'une part.

Et, d'autre part, que tout Peuple qui s'opposerait à l'existence du Peuple Juif avait le statut d'Amalek.

Notamment les nazis en Allemagne, il y a plus d'un demi-siècle, l'Iran aujourd'hui, ou les palestiniens de Gaza, qui selon les derniers sondages sont à 98% antisémites...

D'abord est-ce que ce rabbin dit vrai ? Y a-t-il vraiment un tel commandement aujourd'hui et comment cela peut-il être acceptable à un niveau éthique, surtout après la Shoah !?

N'est-ce pas contraire à l'essence même du judaïsme, à son éthique ?

 

8) Tiens d'ailleurs, à propos de nazisme, que penser du "Code d'Esther" qui soutient que le procès de Nuremberg était prévu dans la Méguilat Esther ?

code

 

Rav Samuel Elikan
Mercredi 20 mars 2019 - 01:12

Shalom,

C'est une véritable foire aux questions de Pourim que vous nous proposez là...

J'espère que j'aurais réussi à répondre à toutes vos questions !

1) L'usage de se déguiser

Effectivement, plusieurs rabbins ont écrit qu'il fallait éviter de se déguiser à Pourim, pour cette raison, dont le Rav Yossef Messas (resp. Mayim H'ayim I, §298) qui écrit clairement que selon lui cet usage n'a rien de juif et est lié au carnaval, c'est également l'avis du Rav Shem Tov Gaguine (Keter Shem Tov, t. II, p. 545), du Rav Mazouz (Sansan leYair, §12, en note) ainsi que du Arih'at Shoulh'an Korah' (t. IX, p. 229) ou encore du rabbin et homme d'affaire américain Tzvi Reizman (dans Ratz KaTzvi, t. H'anouka-Pourim, §36, p. 590), etc.

Toutefois cet usage n'est pas nouveau et il n'est pas évident qu'il soit lié au carnaval.

Le premier à citer l'habitude (que le Peuple Juif avait déjà pris) de se déguiser à Pourim fut le grand traducteur, Rabbi Kalonymos bar Kalonymos (Espagne-France-Italie - 1286-1328), dans son livre de morale "Even Boh'an" (éd. Haberman, Mossad HaRav Kook. p. 30), dans le cadre d'une description :

"Les gens font les fous, ils font la fête... celui-ci revêt la robe d'une femme... et celui-ci imite un simple d'esprit... les hommes et les femmes ensemble, le soir, lors du festin de Pourim".

"כי ישתגעו וכי יתהוללו...זה ילבש שמלת אשה ולגרגרותיו ענקים, וזה יתחקה כאחד הריקים...אלו עם אלו אנשים עם נשים – לעת ערב סעודת פורים"

Pourtant il ne parle que de se déguiser le soir de Pourim...

Après lui, vint Rabbi Yehouda Mintz (Italie, 1408-1508 - resp. §16), qui fut le rabbin de Padoue pendant plus de 47 ans, qui écrit (trad. libre) :

"J'ai grandi auprès de grands et pieux maîtres, et ils ont vu leurs fils et filles, gendres et brus,mettre des masques et se déguiser avec des habits du sexe opposé et s'il y avait en cela un aspect quelconque de faute, d'interdit, comment auraient-ils pu se taire et ne pas les réprimander... il me semble évident qu'ils avaient des preuves et des appuis pour permettre cela... car cela n'est pas volontairement ainsi... mais lié à la joie de Pourim"

גדולים וחסידי עליון ז"ל נתגדלתי אצלם אשר ראו בניהם ובנותיהם חתניהם וכלותיהן לובשין פרצופין ושינו בגדיהם מבגדי איש לבגדי אשה וכן להיפך, ואם היה ח"ו נדנוד עבירה, חלילה וחס להם לשתוק ולא ימחו...אלא ודאי היה להם ראיה וסמך שהיתר גמור הוא... כיון שאינו מכון... אלא לשמחת פורים"

 

Suivant ses propos le Rema (Cracovie, Pologne, 1525-1572 - OH 696, 8) tranche :

"L'usage que l'on a de se déguiser à Pourim en mettant des masques et les hommes revêtent des robes de femmes et les femmes des habits d'homme, il n'y a aucun interdit à cela, car toute leur intention est liée à la joie (de Pourim)".

ומה שנהגו ללבוש פרצופים בפורים וגבר לובש שמלת אשה ואשה כלי גבר, אין איסור בדבר מאחר שאין מכוונין אלא לשמחה בעלמא

 

C'est également ainsi que trance le Levoush (ibid.) dans des termes similaires.

Il est cependant à noter que certains décisionnaires, tel le Rav Yoël Sirkis, qui fut le rabbin de Cracovie, environ 50 ans après le Rema, dans son commentaire sur le Tour, Bayit H'adash (YD 182) émirent quelques réserves.

Ainsi il écrit (BaH', id.) à propos des déguisements d'hommes pour femmes et vice-versa :

"Laisse les israélites, mieux vaut qu'ils fautent involontairement que volontairement... toutefois, quiconque a la crainte du Ciel, avisera sa maisonnée et ceux qui écoutent son propos, qu'ils ne transgressent pas un interdit à Pourim".

"הנח להם לישראל מוטב שיהיו שוגגין ואל יהיו מזידין... אבל כל ירא שמים יזהיר לאנשי ביתו ולנשמעין בקולו שלא יעברו על איסור לאו בפורים".

Il ne fut pas le premier à s'exprimer de la sorte.

Le Rav Efraim de Luntschitz, disciple du Maharal de Prague et connu pour son commentaire sur la Torah, le Kli Yakar, contemporain au Rema, dans son "Olelot Efraim" - livre de drashot, qui sont vivement conseillées à tous les amateurs du genre - ma'amar 309, t. I, p. 375 dans l'éd. de Jérusalem, 1991) disait déjà qu'il n'est pas possible de fêter Pourim lorsque les gens ne se reconnaissent pas et ne se voient pas. Pour lui, la joie, passe par le reagard, par le vivre-ensemble ; ainsi une fête "masquée", n'est pas une fête juive, n'est pas une manière de célébrer la joie (en hébreu dans le texte :"ישנו את טעמם לתת על פניהם מסוה עד שנהפך לאיש אחר ואין לו מכיר, כי לכולם יהיו חליפות שמלות והיו לנשים כי על גבר יהיו כלי אשה וכל הנשים יתנו על פניהן כסות עניים עד אשר כל רואיהם לא יכירום ולא ידעו ולא יבינום מה ומה ההולכים... הכזה יהיה יום משתה ויום ה'? ומאין להם סמך למנהגים מקולקלים כאלו?").

Comme dit, c'est l'avis de plusieurs décisionnaires. Non pas à cause du fait que ce soit lié au carnaval, mais à cause des problèmes de méconnaissance, de légerté d'esprit et surtout de l'interdit de ne pas revêtir des vêtements du sexe opposé ("lo yilbash").

C'est l'avis notamment du Shla (fin de mass. Meguila), du Knesset HaGuedola (OH 695), du TaZ (YD, id. s.k. 4), le H'ida (Birkei Yossef OH 696, s.k. 13 et YD 182, s.k. 3), le Yad HaKetana (180b), le rav Shmouel Abouhav (Sefer HaZikhronot, Zikaron II, chap. 2), le rav Avraham Dantzig (Binat Adam §74), Orh'ot H'aim (Spinke - OH id. s.k. 13), Arouh' HaShoulh'an (ibid. al. 12), et de plusieurs rabbins contemporains comme le Rav Zakai dans son "HaBayit HaYehoudi", part. Moadim, p. 159, hal. 27 qui va même jusqu'à interdire des enfants, alors qu'ils sont encore tout petits de mettre des habits du sexe opposé et par conséquent propose d'éviter de se déguiser.

On retrouve la même idée dans les Reshimot du Rav Kaniewsky au nom du H'azon Ish, alors que dans le livre H'emdat Aryeh (chap. 30), il est prouvé, sources à l'appui, que pour des enfants en dessous de leur majorité (bar/bat mitzvah - il n'y a aucun problème). 

Le Rav Ravkash, dans son Be'er HaGoleh (sur YD 182) écrit que de nombreux décrets (!) et mauvaises décisions ont été prises contre les juifs à cause de cet usage du déguisement de Pourim surtout lorsque des hommes s'habillent en femmes et vice-versa.

Toutefois, comme dit, il s'agit d'un usage ancien, fixé par le Rema comme permis. 

Rabbi Akiva Eiger (dans ses notes sur le Sh. Ar. OH 696,8) renvoie aux propos du Maguen Avraham (sur OH 307, s.k. 22) où il écrit "je ne sais pas qui leur a permis à Pourim (de s'amuser de la sorte), et il est possible que ce soit lié à la moquerie que l'on fait en mémoire du roi Assuérus" ("ולא ידענא מי התיר להם בפורים ואפשר שנמשך להם משחוק שעושים זכר לאחשורוש"). Il semble, selon Rabbi Akiva Eiger, que cela se rapporte aux masques et autres déguisements, justifiant ainsi cet usage de Pourim.

Je me rappelle avoir vu quelque part que le Pri H'adash écrirait que dans ce cas, il faut suivre le Rema et l'usage et ne pas écouter les avis qui refuseraient de comprendre qu'à Pourim le déguisement n'est pas néfaste. Toutefois, je n'arrive pas à retrouver la source à cela...

 

En résumé : il existe un usage, assez ancien, de se déguiser à Pourim.

Concernant le fait de se déguiser dans des habits du sexe opposé, certains veulent justifier cela, alors que d'autres interdisent formellement.

Certains permettent aux enfants en tout cas, et d'autres veulent également interdire dans ce cas.

 

Plusieurs raisons ont été avancées quant à cet usage.

Certains le lient au voilement de Dieu dans l'histoire (cf. TB H'oulin 139b) et le fait que Son Nom ne soit pas présent dans la Méguilat Esther.

Le Rabbin Elie Munk dans son commentaire sur Nombres 21,1 (La voix de la Torah, Nombres, pp.208-210) propose que les masques symbolisent les changements de forme qu'a pris Amalek. Il suppose que l'usage de se déguiser trouverait sa source dans le midrash sur la parasha de H'oukat. Dans cette section, il est écrit qu'Israël fut attaqué par « le Cananéen, roi d'Arad » (Nombres 21,1). Or, l'identité de ce roi n'étant pas dévoilée, nos Sages proposent diverses explications ; l'une d'entre elles constitue à l'identifier à Amalek. Pourtant, ce dernier n'est pas originaire de Canaan ! Nos maîtres expliquent alors qu'il aurait forcé son peuple à adopter la langue des cananéens pour ruser contre le Peuple d'Israël. Ainsi, lorsque ces derniers se seraient trouvés face à eux, ils auraient dirigé leurs prières contre le « Cananéen », ce qui n'aurait eu aucun effet sur le peuple d'Amalek, qui croyait dur comme fer en la force protectrice des prières d'Israël. Toujours selon nos Sages, le Peuple d'Israël sortit victorieux du fait d'une prière non nominative qu'ils effectuèrent pour se débarrasser de leur assaillant.
Amalek est l'ancêtre d'Aman le persécuteur des juifs dont il est question dans la méguilat Esther (Esther 3,1). D'où la déduction du Rav Munk quant à l'origine du « déguisement » à Pourim:  Aman le mécréant est le descendant d'Amalek, celui qui se déguise pour ruser. Dès lors l'habitude de se déguiser représenterait une moquerie vis à vis de l'ancêtre d'Aman au déguisement complètement inutile face au Peuple d'Israël.

Le Rav SHaG"aR, quant à lui, propose dans son livre "Pour hou HaGoral", dans un article fantastique consacré aux masques et au travestissement, d'y lire le symbole d'enjeux existentiels ; nous avons tous des masques dans notre vie, et ramène pas mal "d'explications" allant dans ce sens, basées sur des textes h'assidiques.

Dans son livre, le Rav Itzh'ak Lipitz (Sefer HaMat'amim HaH'adash, Varsovie, 1904, p. 68) rapporte au nom du Torat Emet que les déguisements ont des enjeux kabbalistiques : "se diminuer" de la Sagesse, de nos vêtements habituels, et remonter depuis là-bas dans des habits qui ne sont pas les nôtres, comme la Rédemption qui vient avec des revêtements inhabituels, par un réveil d'en bas.

 

2) La lecture de la Meguila par les femmes

A. Effectivement, on doit lire la Méguila le soir, et répéter cette lecture le jour. La raison en est que les "Juifs crièrent vers l'Eternel, au temps de leur détresse, de jour comme de nuit" ; de même faut-il lire la meguilat Esther de jour et de nuit (TB Meguila 4a, Rashi ad loc.). La lecture du soir peut s'accomplir durant toute la nuit, dès l'apparition des étoiles (tzet hakoh'avim, tombée de la nuit) jusqu'à l'aube (amoud hashah'ar). La lecture du jour peut s'accomplir toute la journée, depuis le lever du soleil (henetz hah'ama) (et, a posteriori, depuis l'aube) jusqu'au coucher du soleil (shkiat hah'ama). Mais ceux qui sont zélés accomplissent la mitsva aussitôt que possible : ils font la lecture du soir dès après la prière d'Arvit, et celle du jour dès après la prière de Shah'arit (Sh. Ar. OH 687,1 et id. 693,4).

Ainsi, il semble bien que ce soit un commandement lié au temps.

Toutefois, nos Sages nous enseignent que les femmes y sont également astreintes, car elles aussi ont eu une part (active ?) à ce miracle, c'est ce que nous enseigne Rabbi Yehoshoua ben Lévi (TB Meguila 4a). Les commentateurs sont partagés quant à la signification de cet enseignement. 

Rashi (ad loc.) explique qu'Haman avait également décrété que les femmes fussent tuées et donc ce miracle les concerne également.

Son petit-fils, le Rashbam (sur TB Pessah'im 108b) écrit, quant à lui, que leur part au miracle est lié au rôle que la reine Esther, une femme - et pas de moindres ! - joua.

Le Ritva (sur Meguila 19b) explique qu'en disant cela nos Sages transforment ce commandement, a fortiori, en un commandement qui ne serait plus dépendant du temps !

Ce constat pousse le Rav Yaïr Bah'rah' (resp. H'avot Yaïr §8) et le Rav Yaakov Emden (resp. She'ilat Ya'avetz II, §102) à se poser la question de tels propos. En effet, s'il s'agit d'un commandement rabbinique, les femmes y sont également astreintes du fait du commandement d'écouter nos Sages ("lo tassour"), alors pourquoi dire qu'elles furent également présentes pour ce miracle ? 

L'Adere"t (rapporté dans le livre Mikraei Kodesh du Rav Tzvi Pessah' Frank, H'anouka, §13) répond à cette question en expliquant que selon Rabbi Yehoshoua ben Lévi il n'y a pas d'interdit de "lo tassour" concernant les lois rabbiniques, mais seulement concernant des décrets et des modalités de lois de la Torah, comme on peut le voir dans TB Souka 46a.

 

B. Ainsi, dans le deuxième chapitre du traité de Méguila, Mishna 4 (19b dans le Talmud), il est clairement dit que tout le monde peut lire la Méguila. Nos Sages dans le traité d'Erkhin (TB 2b-3a) expliquent que ces termes ont pour vocation d'inclure les femmes.

- 1er avis

 Selon Rashi (sur Erkhin, ad loc.) et Maïmonide (hil. Meguila, chap. 1, hal. 1-2; cf. Maguid Mishné et Hagahot Maïmoniot ad loc.), les femmes ont l'obligation de lire (ou d'écouter) la meguila au même titre que les hommes.

Par conséquent, une femme peut la lire et acquitter tout le monde, y compris des hommes.

C'est également l'avis, avant eux de Rav Yehudai Gaon, Halakhot Pesukot, ed. Sasson, p. 38 ; des Halakhot Ketzuvot, ed. Margaliot, p. 87 ; du Rif (Meguila 2b dans sa pagination) ; puis après eux, de Rabbi Avraham de Lunel (Sefer HaManhig, éd. Rephaël, p. 249), du Ritva sur Meguila 4a ; une des opinions rapportées par le Ran sur le Rif 6b ; du Nimoukei Yossef (ibid.) ; du Méïri (Beit HaBeh'ira sur Meguila 4a et sur Berah'ot 47b) ; du Or Zaroua (Rabbi Yitzh'ak de Vienne, t. II, hil. Meguila §368-370, p. 77d-78a) qui tranche comme Rashi ; et surtout du Rav Yosef Karo dans son Shoulh'an Arouh' O.H. 689,1-2 - c'est ainsi que le comprend notamment le Rav Itzh'ak Yossef, dans son Yalkout Yosef, OH 689, note 21. C'est également ainsi que tranche le Rav Yossef Kafih' dans son commentaire sur Maïmonide, idem, Zemanim, II, p. 824 et le Rav Méir Simh'a HaKohen de Dvinsk dans son Or Sameah' sur le Rambam, ibid.

 

- 2ème  avis

En revanche, le Sefer Halakhot Guedolot (hil. Meguila §19, éd. Jerusalem, vol. I, p. 406 ; cf. encore Otzar Hagueonim sur Meguila, p. 7) et Rabeinou H'ananel (sur TB Meguila 4a) estiment que le degré d'obligation des femmes diffère de celui des hommes : ces derniers sont tenus de lire la meguila, tandis que les femmes sont seulement tenues de l'écouter.

Selon ces avis, une femme ne peut pas, par sa lecture, acquitter un homme, comme son mari par exemple, de son obligation.

Le Rav Shmuel Borenstein de Soh'atchov dans ses responsa Avnei Nezer (OH §511) explique la raison de cette différence : si les femmes se doivent d'écouter la meguila, c'est seulement afin que le miracle soit publié. Aussi leur obligation consiste-t-elle seulement à écouter la meguila, et non à la lire. Les hommes, en revanche, sont tenus à la fois de publier le miracle et de se souvenir des méfaits d'Amalek, afin de se dresser contre lui et d'effacer son souvenir ; ils sont donc également tenus de lire la meguila. 

Comment en sont-ils arrivés à cette conclusion ?

En fait, cette opinion est basée sur la Tossefta (Meguilla chap. 2, hal. 7, éd. Lieberman, p. 350) et sur le Talmud de Jérusalem (Yeroushalmi Meguila chap. 2, hal. 4, 73b dans l'éd. de Venise, et dans l'éd. Vilna, il y a un décalage et c'est au chap. 2, hal. 5, 21a). Il y est dit que les femmes, les esclaves et les mineurs sont exemptés de la lecture de la Meguila et ne peuvent pas en accomplir l'obligation en public ; c'est-à-dire qu'ils ne peuvent acquitter un public mixte fait d'hommes et de femmes.

Le Yeroushalmi continue en disant que Bar Kappara et Rabbi Yehoshoua ben Lévi lisaient la Meguila devant femmes et enfants, car eux aussi furent menacés par le décret d'Haman.

Cet avis est également soutenu par le Zohar H'adash (vol. II, Ruth, 47b), le Ran sur le Rif, Megillah 2b (comme deuxième opinion), par Rabbi Yitzh'ak ben Abba Mari (Sefer Ha'itour, II, 113c-d), par les Tossafot (sur Erkhin 3a, s.v. leatouyei), par Rabbi Eliezer ben Yoel Halevi (Sefer Ra'avia, éd. Aptowitzer, §569, p. 292-293 et §843, p. 580), par Rabbi Elazar de Worms (Sefer Harokéah'), §236, par Rabbi Simh'a de Speier cité par les Hagahot Maïmoniot rapportées plus haut, par le Pri Megadim (OH 690, Eshel Avraham s.k. 24) et par HaEmek Berah'a (hil. Meguila §3) qui compare cela aux lois du Hallel, selon l'avis que la lecture de la Meguila constitue le Hallel de Pourim. cf. encore le Marh'eshet (I, §22, s.k. 9) qui approfondit cette question.

Selon le rabbin de Metz (au 18ème siècle), dans son Tourei Even sur Meguila 4a, l'obligation des hommes trouve son fondement dans la révélation (rouah' hakodech - cf. TB Meguila 7a) ; ainsi, si elle ne s'applique qu'aux hommes, c'est qu'elle est une obligation conditionnée par le temps.

L'obligation des femmes, quant à elle, découle d'un raisonnement logique (svara) : « elles aussi bénéficièrent du même miracle », et cette obligation est de rang rabbinique.

Aussi, pour le Séfer Halakhot Guedolot, Rabbénou H'ananel et tous ceux qui pensent comme eux, une femme ne peut acquitter un homme de son obligation. Se basant sur ces vues, le Mordeh'ai écrit que la formule de bénédiction de la Méguila diffèrerait pour les femmes : au lieu de al mikra meguila (« lire la méguila »), elles devraient dire lishmoa meguila (« entendre la méguila »). Aboudraham (Pourim) repousse cet avis expliquant que "lishmoa" (entendre) sous-tend une compréhension, une étude, or il n'existe pas de telle nécessité concernant la lecture de la meguila.

En outre, comme dit, selon Rashi, Maïmonide et tous ceux qui pensent comme eux, les femmes ont même obligation que les hommes, si bien qu'une femme peut, comme dit, acquitter un homme de son obligation, et la bénédiction qu'elle prononcera est identique à celle de l'homme.

Quoi qu'il en soit, selon le Rema (OH 689,2), lorsqu'une femme récite la bénédiction, la formule doit être lishmoa meguila. C'est également l'avis du Levoush (id.), du BaH' et du Michna Beroura (OH 692,11), entre autres.

Cependant, la majorité des décisionnaires estiment que la femme récite, comme l'homme, al mikra meguila.

Pourquoi ?

Premièrement parce que, selon la majorité des décisionnaires, qui pensent comme Rashi et Maïmonide, comme dit, l'obligation des femmes est identique à celle des hommes.

Deuxièmement parce que, même si l'on se place du point de vue du Halakhot Guedolot et de Rabbenou H'ananel ainsi que tous ceux qui pensent comme eux, pour lesquels les femmes ont seulement l'obligation d'entendre la meguila, Rabbenou Tam évoque le fait que les femmes sont autorisées à accomplir ces commandements, comme les hommes, c'est-à-dire en prononçant la bénédiction généralement dite – et telle est la coutume ashkénaze. Aussi peut-on s'abstenir de différencier la formule de bénédiction des femmes et des hommes.

Telle est également la coutume de la majorité des communautés séfarades, et c'est en ce sens que se prononcent le Pri 'Hadach et le Gaon de Vilna en disant qu'il n'y a pas de raison de réciter une bénédiction qui n'est pas répandue (cf. encore Piskei Teshouvot OH 689,5).

 

- 3ème avis

Certains auteurs estiment que le degré d'obligation de la femme est identique à celui de l'homme, qu'elles doivent effectivement lire la Meguila, mais qu'elle ne peut pas acquitter un homme de son obligation. Selon cet avis, seules des femmes peuvent s'acquitter entre elles.

Cette opinion n'est pas basée sur une source talmudique mais sur une autre version du Halah'ot Guedolot. Celle-ci est rappelée par les Tossafot (Souka 38a, s.v. Be'emet amerou) ainsi que par le Méïri (Beit HaBeh'ira Meguila 4a), par le Tour (OH 689) ainsi que par le Menorat Hamaor de Rabbi Yisrael Alenkawa (éd. Enelow, II, p. 212).

Selon le Sefer Mitsvot Gadol, la lecture de la Meguila serait semblable à celle de la Torah. Or le Maguen Avraham (OH 689, 5) explique, selon le talmud, que, pour l'honneur de l'assemblée (kvod hatzibour), nos Sages ont décidé qu'une femme ne lirait point devant un public masculin – ni même n'acquitterait un particulier de son obligation, en vertu du principe lo ploug (« ne pas appliquer de règle différente à des cas proches » [afin de ne pas entraîner d'erreur]). Ainsi, selon cela, une femme pourrait acquitter d'autres femmes, mais des hommes. Le Maguen Avraham se base lui-même en cela sur l'avis du Rav Eliahou Mizrah'i (le fameux commentateur de Rashi, le Re'eM). Cf. encore Mor ouKtzia (à la fin du §689 d'O.H.) et Kountrass Meguila (du Rav H'. Tortzin, §14)

Rabbi Yossef Messas explique d'ailleurs que ce principe de kvod hatzibour est à comprendre comme un concept défensif, pour l'honneur des femmes (qu'elles ne se fassent pas agresser par des hommes !). cf. à ce propos l'article du prof. A. Rozenak, "Respect pour la Communauté (kvod hatzibour) comme un concept défensif : étude des décisions halah'iques de Rabbi Yossef Messas", dans la revue Akdamot n°20, p. 55-70. De manière plus générale, sur ce concept, cf. les sources rapportées par le rav prof. Daniel Sperber, dans son livre Darka shel Halah'a.

Dans le livre Birkat Mordeh'ai (Pourim, §14), il est expliqué que les femmes sont astreintes aux devoirs actifs de Pourim (a'ssia – cf. Sha'arei Teshouva 695, s.k. 9), mais ne sont pas astreintes aux devoirs de mémoire liés à Amalek (cf. Sefer HaH'inouh', comm. 603 ; resp. Torat H'essed, OH §37 ; resp. Avnei Nezer OH §509 ; Mikraei Kodesh (Frank), Pourim §5 ; Marh'eshet I, §22 ; resp. Yabia Omer VIII, OH §54 ; H'azon Ish, rapporté dans Orh'ot Rabbenou, III, Pourim §5 ; RSZ Auerbach dans Halih'ot Shelomo, Moadei HaShana, Tishrei-Adar, §18, n. 1 et 5 ; Minh'at Asher, Pourim 20, 7, etc.), or il s'avère, selon Rashi (Esther, chap. 9, vers. 28) qu'un des buts de la lecture de la meguila est lié à la mémoire, au souvenir d'Amalek, et c'est aussi ce que prouve le Keren Orah (Berah'ot 3a s.v. ve'ayidi) et d'autres encore. S'il en est ainsi, le devoir des hommes et des femmes serait différent : pour les femmes il ne s'agirait que d'accomplir le "devoir du jour", alors que pour les hommes il y aurait un devoir double : le "devoir de jour" et effacer le souvenir d'Amalek. Ainsi, les femmes pourraient s'acquitter mutuellement, mais ne pourraient pas acquitter des hommes de leur devoir de lecture pour cette raison.

En conclusion :

Nous avons vu trois opinions –

1er avis : Les femmes sont astreintes à la lecture de la meguila et peuvent acquitter des hommes.

2ème avis : Les femmes sont exemptes de la lecture, mais doivent entendre la meguila.

3ème avis : Les femmes sont astreintes à la lecture de la meguila, mais ne peuvent qu'acquitter d'autres femmes.

Il existe un dernier avis, tout à fait singulier. Le Korban Netanel (sur le Rosh, Méguila chap. 1, §4, s.k. 40) propose la thèse originale selon laquelle une femme ne peut pas acquitter d'autres femmes ; cette opinion est citée par Sha'ar Hatsioun (OH 689,15). Toutefois, il est rapporté dans le livre Halikhot Beitah (Peta'h Habaït, §25) que le Rav Shelomo Zalman Auerbach (également cité dans Halih'ot Shelomo, cit. préc. §19, n. 4) critique avec virulence la thèse du Korban Netanel, puisqu'elle ne correspond à aucune logique halah'ique que l'on connaît, concluant que la halah'a suit l'opinion du Rav Yeh'iel Mih'al Tikochinsky, lequel, dans son Louah' Erets Israël, écrivait qu'une femme peut tout à fait acquitter d'autres femmes de la lecture de la meguila, aussi nombreuses soient elles.

Ainsi, concernant la lecture de femmes, c'est-à-dire par et pour des femmes – il n'y a là aucun problème halah'ique selon tous les avis (hormis le Korban Netanel) et cette lecture est tout à fait valide.

Concernant la lecture de femmes pour des hommes, par exemple dans un groupe hétérogène comprenant des hommes, le Rav Eliezer Melamed dans son Pninei Halah'a (Zmanim, chap. 15, §7) écrit :

"Dans la mesure où cette controverse compte autant d'opinions, parmi les Rishonim, d'un côté que de l'autre, la majorité des Ah'aronim donnent pour instruction aux femmes de ne point acquitter d'homme de l'obligation de lire la Méguila.

Ce n'est qu'en cas de nécessité pressante, quand il n'est pas possible à l'homme de lire pour lui-même ni d'écouter la Méguila lue par un autre homme, que la femme lira à son intention, afin qu'il soit quitte de la mitsva, telle, du moins, que la conçoivent ceux des Rishonim qui pensent qu'une femme peut acquitter un homme".

Il est à noter que cet avis suit ce qu'a écrit le Rav Ovadia Yossef (H'azon Ovadia, Pourim, p. 59-60).

En effet, il soutient que l'opinion indulgente, évoquée par certains décisionnaires estimant que, selon le Shoulh'an A'rouh' (OH 689,1), une femme peut acquitter un homme de la lecture a priori (cf. Birkei Yossef O.H. 271 ; Ma'amar Mordekhaï 689,2 ; Kaf HaH'ayim (Sofer) O.H. 689, s.k. 12).

Il est encore intéressant de noter les propos du rabbin de Vienne, l'Or Zaroua et celui de Perpignan, le Méïri, précédemment cités, selon lesquels il n'y aurait aucune logique à ce qu'une femme ne puisse pas acquitter un homme de la lecture de la Meguila, puisque la source de cette loi est dans le Talmud de Babylone, qui a toujours préséance, dans la loi, sur le Talmud de Jérusalem ou la Tossefta (cf. encore Encyclopédie Talmudique, s.v Halah'ah, vol. IX, col. 247, n. 108 et col. 250, n. 147).

Toutefois, le Rav Ovadia ajoute : « il ne faut s'appuyer sur elle qu'en cas de nécessité pressante ».

La raison à cela est que pour la majorité des décisionnaires, l'opinion principale veut qu'une femme ne puisse pas acquitter un homme de la lecture de la Meguila, comme l'écrivent le Levoush, le Eliya Rabba (O.H. 689,2), le Pri H'adash (ad loc. s.k. 1)le Ereh' Hashoulh'an (id., s.k. 3), le H'ikrei Lev, le Dereh' Hah'ayim, etc.  

Selon certains, telle est même l'opinion du Shoulh'an Arouh', puisqu'il ramène les deux avis et il n'est pas évident de considérer lequel est le principal (cf. Pri Mégadim, Eshel Avraham O.H. 689, s.k. 4 ; cf. encore Kaf Hah'ayim (Sofer), id., s.k. 14).

On pourra encore consulter les intéressants articles (en hébreu) du Rav Shaoul H'anne Kook (frère du Rav Avraham Itzh'ak HaKohen Kook) sur cette question (Yiounim Oumeh'karim, vol. 2, Jérusalem, 1963, pp. 46-49 et dans la revue Otzar Hah'ayim 6 (5690), no. 4, pp. 106-108).

 

3) Lecture de versets à voix haute par l'assemblée

Il existe effectivement un usage de lire des versets liés à la Rédemption à voix haute, notamment au chap. 2 versets 4-5 ; chap. 8, versets 15-16, chap. 10, verset 3. D'autres ont pour usage que l'assemblée récite également de vive voix les versets suivants : chap. 6, verset 1 ; chap. 7, versets 9-10 et chap. 9, verset 32. Dans certains endroits l'on dit une partie de ceux-ci, etc. Dans le livre rédigé en Provence au XIIème siècle, le Sefer Ha'itour (II, p. 224) il est écrit de manière très vague que la communauté "récite quelques versets" à voix haute…

Quant à l'usage du lecteur de la Meguila (le baal koreh) de lire certains versets dans une mélodie différente, c'est parce que ceux-ci sont liés à des événements négatifs, comme la destruction du Temple, une catastrophe ou un danger qu'a connu le Peuple Juif (p. ex. chap. 2, verset 6 et chap. 8, verset 6).

Revenons sur l'usage que peut avoir l'assemblée de réciter des versets à voix haute.

Celui-ci se trouve déjà dans des sources médiévales premières ; c'est donc un usage assez ancien.

Ainsi, on le retrouve dans le Sidour du Rav Saadia Gaon (882-342 après l'ère chrétienne ; Sidour RaSsaG, éd. de Jérusalem, 1940, p. 369), qui était alors le chef du judaïsme Babylonien, soit la plus grande autorité juive de l'époque. Il y fait mention de deux versets qui étaient alors lus : chap. 8, verset 16 et chap. 10, verset 3 (soit le dernier verset de la Meguilat Esther).

Ce passage est cité dans les Teshouvot Haguéonim (éd. Harkavy, §208, p. 97 et 310), puis dans le livre provençal du XIIème siècle, le Sefer Haeshkol (éd. Albeck, t. I, p. 172 et dans l'éd. Auerbach, t. II, p. 65 où il est ajouté que certains disent également le verset 5 du chap. 2 et le 15 du chap. 8 – le problème est que ces mots ont été ajouté aux propos de Rav Saadia Gaon, ce qui est "embêtant", puisque dans aucune autre source il n'est fait mention de cela),

Puis par le rabbin espagnol du XVème siècle, dans son livre sur la prière, Aboudraham (éd. Jérusalem, p. 207), qui, citant les propos de Rav Saadia Gaon selon lequel on lirait à voix haute deux versets, ajoute un témoignage : "c'est l'usage de la majorité des communautés en Espagne".

Toutefois, il existe une autre version des propos de Rav Saadia Gaon, selon laquelle il faudrait également lire le verset 15 du chap. 8 à voix haute. Certains pensent qu'il s'agit d'une mauvaise attribution et que cet usage rapporté comme une réponse dans le livre de Rav Amram Gaon (décédé en 875 après l'ère chrétienne) n'est pas de Rav Saadia (Seder Rav Amram HaShalem, t. II, p. 178 ; Seder Rav Amram Gaon, éd. Goldschmidt, p. 101-102). Quoi qu'il en soit, un tel usage existait déjà à cette époque qu'il fût évoqué par rav Saadia Gaon ou pas.

Un peu plus tard, dans l'Allemagne du XIIème siècle, à Speier plus exactement, Rav Kalonymos l'Ancien, dont les propos sont rapportés (et peut être édités) par Rashi de Troyes (1040-1104), il est fait mention de l'usage de dire à voix haute les versets 5 du chap. 2 ; 15 du chap. 8 et le dernier verset de la Meguila (10,3). Pour lui, cet usage a pour but de réjouir les enfants ! (cf. resp. Rashi, §130, éd. Alfenbein, N.Y., 1943, p. 157-158).

Cet enseignement est également rapporté dans les ouvrages suivants :

- Ma'aseh HaGuéonim (éd. Epstein, p. 46) où il semble que cela soit attribué à Rav Kalonymos.

- Sefer HaPardès (éd. Ehrenreich, p. 254) qui l'attribue clairement à Rav Kalonymos.

- Mahzor Vitry (p. 210) rédigé par Rabbi Simh'a de Vitry, disciple de Rashi ;

- Siddour Rashi (p. 167-168) qui est édité par des disciples de Rashi ;

- Shibolei Haleket (p. 157) et Tanya Rabati (p. 84) qui attribue cet enseignement à Rashi et qui ajoute que le but de cet usage est d'éveiller la curiosité des enfants, afin qu'ils en viennent à poser des questions, à interroger la chose et on leur racontera ainsi les miracles de l'histoire.

Dans le Sefer HaManhig (publié à Tolède en 1204), il est fait mention qu'il s'agit "de l'usage de France et de la Provence" (éd. Rephaël, t. I, p. 243), lui-même cité plus tard par le Adoudraham, rapporté plus haut. Rabbi David Aboudraham explique en rapportant le livre Mishmeret HaMo'adot que cet usage a deux raisons :

I) Réveiller les gens qui assistent à la lecture, afin qu'ils ne s'endorment pas.

II) Pour honorer Mordeh'ai auquel ces versets font référence, puisqu'il a été le vecteur du sauvetage des juifs, et ce, même dans le dernier verset de la Meguila.

Vers la fin du XIIIème siècle, en Allemagne, les Hagahot Maïmoniot (hil. Meguila, chap. 1, §7 et fin du chap. 2) rapportent également cet usage.

A Lunel, en Provence, au XIVème siècle, le Orh'ot H'ayim rapporte également cet usage mais sans l'attribuer ni à Rashi, ni au Rav Kalonymos (t. I, Lois de Pourim, §30). Il ajoute que l'on lit 4 versets de Rédemption, comme à Pessah', pour publier le miracle ("pirsoum haness").

Finalement, le Rema (Darkei Moshé OH 690 et sur Sh. Ar. OH 690,17 (cf. aussi id. 690,4)), cite aussi cet usage en se basant sur les Hagahot Maïmoniot.

Concernant quels versets lire à voix haute ou pas, chacun suivra son usage, puisque ceux-ci varient considérablement d'un endroit à un autre.

Cf. Keter Shem Tov (Gaguine), t. I et II, Kaidan, 1934, p. 540-541 ; Mekor H'ayim HaShalem (de RH'D HaLévy), IV, p. 354-355 ; Yalkout Yossef, V, p. 299 (dans l'éd. de 1988) ; etc.

On pourrait dire que la raison du changement d'air est similaire à celle de lire les versets à voix haute : donner un sens à la Meguila, éveiller les enfants et ceux qui s'endormiraient ainsi que la publication du miracle, l'annulation des décrets, tout en se souvenant de la destruction du Temple, que notre joie n'est pas complète.

 

4) Faire du bruit lorsque l'on dit le nom d'Haman

L'usage de maudire le nom d'Haman lorsqu'on le cite est rapporté dans le Talmud de Jérusalem, par Rav (TJ Meguila chap. 3, hal. 8, éd. Venise, 74b), ainsi que dans Masseh'et Sofrim (chap. 14, hal. 3, p. 254-255 dans l'éd. Higger) où il semble que cela doit être fait après la lecture de la Meguila et idem dans Bereshit Rabba (49,1 – p. 497 dans l'éd. Théodor-Albeck). Plus tard, cet usage s'est tant imposé que dans les versions imprimées du midrash, comme on peut le lire dans l'édition de Vilna, le texte en a été modifié pour dire que l'on maudit Haman, pendant la lecture de la Meguila.

Le Rabbin italien du 13ème siècle, Tzidkiyahu ben Avraham (Shibolei HaLéket, éd. Buber, §200, p. 157) cite au nom de Rashi l'usage selon lequel il faudrait taper avec ses pieds ou pierre contre pierre, ou encore casser du bois, lorsque l'on récite les noms d'Haman ou Zeresh, vraisemblablement pour éviter de les entendre. Toutefois, il est à noter que Rashi ne parle nullement de la lecture, mais bien du texte liturgique qui est dit après la lecture.

Il existe toutefois un autre usage qui aurait pour but d'effacer le nom d'Haman, et c'est celui d'écrire son nom sur deux pierres et de les taper l'une contre l'autre dès que l'on lit son nom, même pendant la lecture de la Meguila. Cet usage est rapporté par Rav Avraham de Lunel (Sefer HaManhig, éd. Rephaël, §18, p. 242-243), par Rav David Aboudraham (Aboudraham HaShalem, p. 209), par Rav Aharon HaCohen de Lunel (Orh'ot H'ayim, vol. 1, hil. Meguila, §41, 121a), puis par le Rav Yossef Karo (Beit Yossef OH 690, s.v. katav be'Orh'ot H'ayim) et le Rema (OH 690,17). Plusieurs raisons ésotériques et allusions dans des versets ont été trouvés pour cet usage dont la raison première semble pourtant évidente : effacer le souvenir d'Amalek. Le Rav Yéhouda Aryeh de Modène parle ainsi de taper dans ses mains pendant la lecture. D'autres comme le Rav Shem-Tov Gaguine (Keter Shem Tov, t. I, p. 543) raconte qu'à Londres en 1783, la police dut intervenir parce que des jeunes avaient amené des marteaux pour frapper contre les bancs et faire du bruit, ce qui provoqua la colère des anciens de la communauté et une grande dispute s'ensuivit – il fut alors décrété interdit de faire du bruit pendant la lecture de la Meguila.

Cette opposition peut se retrouver chez de nombreux décisionnaires, à Candia (Canée, Crète), il fut décrété que quiconque ferait du bruit pendant la lecture serait banni (!) à jamais de la communauté !

La raison à cela est que le bruit empêcherait d'entendre toute la lecture comme il faut (cf. Yafé LaLev OH 650,15 ; Mishna Beroura OH 689, s.k. 18; Otzar Kol Minhagei Yeshouroun, Lemberg, 1930, p. 128, cf. encore Melitz Yosher (Amsterdam, 1809), 7b, où une longue complainte est émise sur la question).

Dans certains endroits, le bruit n'était permis que pendant la lecture des dix fils d'Haman, qui était alors répétée (cf. p. ex. Minhagei Wormaiza, §218). Dans d'autres, comme chez les H'abad, seuls les endroits où il est écrit "Haman Ha'Agagui", l'on fait du bruit.

Cependant, envers et contre tous, tant le Rema (OH 690,17), à son époque, que le Rav Yeh'iel Mih'el Epstein (Arouh' HaShoulh'an OH 690,24) à une époque plus proche de nous, défendirent ardemment cet usage.

Cf. encore Ya'akov Reifman, "Minhag Haka'at Haman BePourim", journal HaMaguid 2ème année, n°11, du 18 Mars, 1858, p. 42-43 ; Rav Eliahou Yoh'anan Gour-Aryeh, H'ikrei Minhaguim (H'abad), t. III (OH), §103, p. 237-242.

Si vous lisez l'anglais, je vous conseille cet article très complet du rav Eliezer Brodt : https://seforimblog.com/2016/03/the-pros-and-cons-of-making-noise-when/

Concernant les crécelles, il s'agit juste d'un moyen de faire du bruit, parmi d'autres.

 

5) L'usage des oreilles d'Haman

Il existe différents usages de consommation à Pourim, souvent sucrés, liés aux "oreilles d'Haman".

Par exemple chez les juifs de Boukhara il est d'usage de faire des petits gâteaux en forme de personnages représentant Haman – le "kolché" (comme rapporté dans le livre de Puzailow). Ils font également des "beitchak" (gâteau triangulaire rempli de carottes ou courge), etc.

En Afrique du Nord, l'usage, notamment en Tunisie, porte plutôt sur les Deblas (comme des "oreilles d'Haman" roulées et trempées dans du miel), ddebla signifiant "alliance", ce gâteau est également appelé "oudhnine el kadhi" ("les oreilles du juge"). D'autres préparent également des Makrouds et des Gizetta ainsi que d'autres biscuits pour la Séoudat Mordeh'ai et les mishloh'ei manot.

Au Kurdistan, les juifs préparaient des Nah'elei deHaman (oreilles d'Haman) une sorte de zlobei – petits-fours. A Suleimani, il y avait toutes sortes de formes de gâteaux : kalda, kalahan, kiwa, serpents etc.

En Irak, les juifs avaient pour usage de préparer des baklawas et d'autres mets doux constitués de pâte feuilleté emplie d'amandes et il n'y a là-bas aucun met qui rappelle les oreilles d'Haman. C'est également le cas concernant l'usage des juifs espagnols.  

Toutefois, chez les juifs originaires d'Europe centrale cet usage des gâteaux triangulaires emplis de pavot, chocolat, confiture ou autre est très répandu et c'est notamment le cas aujourd'hui en Israël, aux Etats-Unis, etc.

Cet usage n'a pas de source claire. De nombreuses explications ont été proposées tant par les chercheurs en folklore que par les rabbins.

L'explication la plus connue est qu'il s'agit de "poches pour du pavot" – "mohn taschen" en yiddish – qui aurait donné "homentaschen", les poches d'Haman et de là les oreilles d'Haman.

Plus tard, de nombreuses raisons furent avancées, par allusion – ainsi le Rav Avraham Hirschowitz rapporte dans son Minhaguei Yeshouroun (p. 131) que c'est pour nous rappeler que la force d'Haman s'amenuisa, qu'il ne put rien contre nous – "tash koh'o", comme "homentasch", etc.

Toutefois, cela peut paraître difficile. En effet, on retrouve le terme d'oreilles d'Haman assez tôt déjà, au 16ème siècle en Italie, par exemple, dans les écrits comiques de Yéhouda Sommo (1527-1592), qui ne parlait pas un mot de yiddish… ou encore chez le satiriste italien R' Jacob Francès (1618-1703, dans ses poèmes – "Kol Shirei Yaakov Francès", p. 363), au 17ème siècle et puis au 18ème dans une lettre du Rabbin Mordeh'ai Shemouel Guerondi (1799-1852), notamment. L'influence du yiddish semble être assez éloignée de ces rabbins.

Il est encore à noter que dans les régions où l'on parlait majoritairement yiddish à cette époque, il n'est nulle mention de l'usage de manger des "oreilles d'Haman" ! Ainsi, le Rav Yaïr Bah'rah' en Allemagne (Mekor H'aim, §490, seif 9) rapportant les usages culinaires de Pourim ne parle pas de ces gâteaux, ni d'ailleurs le Rav Alexandre Pappen-Hoffen qui dans son livre Massa ouMeriva bilingue hébreu-yiddish, paru en 1627 (p. 319, dans l'éd. de Jérusalem, 1985), parle de tout ce que l'on mangeait à Pourim, dans les différentes régions, même en Alsace (sauf des "oreilles d'Haman"!), etc. etc.

En outre, la manière dont cela apparaît chez Y. Sommo par exemple, fait penser textuellement à la description de ce biscuit telle que l'on peut la retrouver chez R' Yossef ibn Kaspi (décédé en 1340, dans Matzref LaKessef sur Shemot 16,31, puis Abarbanel (1437-1508) qui le recopie sans le citer dans son comm. sur par. Beshalah', fin du chap. 16) dans son commentaire biblique sur la manne (alors qu'a priori cela n'a aucun lien avec Pourim) ! Cela raisonne étrangement avec un poème de Rabbi Avraham ibn Ezra (1092-1167 - Kor'ei Meguila hem yeranénou) qui fut publié dans le Mah'zor Vitry d'un des disciples de Rashi (éd. Horowitz, p. 219), qui parle du "miel et manne, le mot d'Haman". C'est une piste à creuser encore, bien que le lexicographe brittanique, Nakdimon Shabethay Doniach (1907-1994) y vit effectivement la première source des "oreilles d'Haman", mais son avoir pu réellement le prouver (Purim or the Feast of Esther: An Historical Study,Philadelphia, 1933, pp. 102-103). A comparer par exemple avec les propos de Rav Tzadok HaKohen de Lublin (Pri Tzadik, Propos sur la veille de Kippour) qui compare les "krepleh'" avec la manne !

Plusieurs hypothèses ont été avancées sur ce terme, Aharon Moriali dans son "Lexique des noms" (qui se base sur les propos de Yom-Tov Lewinski, Sefer HaMo'adim, vol. 6, Tel-Aviv, 1956, pp. 153-154 et p. 319) cite la thèse selon laquelle cela ferait référence au fait qu'en ce temps là, il était d'usage de couper les oreilles des pendus à la potence (cf. encore Itzh'ak Shmouel Reggio, Iggrot Yashar, §28), chose que nos Sages auraient relevé en notant qu'Haman s'avança auprès du roi, à la fin de la Meguila, "tête baissée, oreille dépliée (qui peut se comprendre aussi comme "découpée" – mekoutafot) et les yeux assombris…" (TB Meguila 16a), d'une part et d'autre part, il relève l'influence chrétienne de manger des champignons nommés "oreilles de Judas" (aussi appelées "oreilles juives") avant la pâque chrétienne ; cet usage serait alors comme une réponse "juive" à cela – on mange les oreilles d'Haman. Ce qui n'a pas empêché, au fil de l'histoire, cet usage des "oreilles d'Haman" de devenir un prétexte pour des pogroms antisémites (en 1840 et 1846 notamment), sous prétexte que ceux-ci étaient faits avec du sang d'enfants chrétiens… !

Une autre source possible est le Cahier du rabbin Emmanuel de Rome (1261-1336). Il y écrit (p. 109) : "Que dit Haman ? En tout temps. Et Zeresh (sa femme) ? Ne maudis pas un sourd !" puis (p. 169) : "Et s'il dit : "maudit soit Haman et Zeresh"! On lui répondra : Ne maudis pas, mon ami, pour un sourd". Il semblerait de là que l'auteur soutienne qu'Haman fut sourd. Le chercheur, Dov Yarden, alors qu'il préparait une version scientifique de ce cahier, publia un article dans lequel il évoqua toutes les affirmations que l'on peut trouver dans ce livre et qui n'ont pas de sources rabbiniques (il y en a assez peu). Une d'entre elles, fut ces quelques lignes semblant dire qu'Haman était malentendant (revue Yeda Ha'Am, n°3, p. 70). Plus tard, dans un autre article (revue Leshonenou, n°17 (1951), p. 148-149), D. Yarden signala que le rabbin prof. Moshé David Cassuto liait ce passage du Cahier d'Emmanuel avec l'usage de manger des "oreilles d'Haman", qui selon lui était déjà bien en vigueur au 13ème siècle ! Toutefois D. Yarden n'a pas trouvé de source rabbinique à cela.

Il existe une source qui peut éclairer les propos du Cahier d'Emmanuel. Le Rav Shimon H'aim Nah'mani (1707-1779) qui était un érudit kabbaliste écrit dans son livre Zera Shimshon (t. II, p. 321) : "La potence qu'érigea Haman pour (pendre) Mordeh'ai, est lié au fait qu'il tendit son oreille à sa femme. Et c'est pour cela que nous mangeons des douceurs que nous appelons "oreilles d'Haman", puisque le miracle principal vint du fait qu'il érigea une potence, et le roi se fâchant contre lui demanda qu'il fût pendu sur celle-ci…"

Selon cela, le fait qu'Haman soit "malentendant" s'explique dans le sens obvie des versets. Il aurait dû bien entendre les propos du roi et ne pas écouter sa femme… Sa mauvaise écoute engendra sa chute. Il n'y a donc pas besoin de source rabbinique pour expliquer cela.

Quoi qu'il en soit, deux autres thèses ont été avancées :

- L'usage serait lié à un usage plus ancien : celui de manger des graines (zer'onim - sésame, pavot, etc.). Cet usage est rapporté déjà dans des piyoutim (textes liturgiques ajoutés à la prière), datant du début du 12ème siècle, puis dans des livres de Loi Juive provençaux, des années 1300 environ, dont le Kol Bo (Lois de Pourim, §45, éd. Avraham, vol. 2, Jérusalem, 1990, col. 329), le Orh'ot H'ayim (Lois de Pourim, §34, éd. Florence, 1750, fol. 120d) ; puis tranché par le Beit Yossef (sur le Tour OH 695 s.v. katuv boh), et le Rema (O.H. 695,2). Ce serait lié à Daniel. Graines, qui, plus tard, seront mises dans de la pâte, ce qui aurait donné les "oreilles d'Haman". Le Rav Mordeh'ai Yaffé (1530-1612) écrit dans son Levoush (OH 695,2) que selon l'enseignement rabbinique dans TB Meguila 15a, Daniel serait en fait Hatah', le messager d'Esther (chap. 4, verset 5 et suiv.) pour Mordeh'ai et c'est en son souvenir que l'on mangerait des graines à Pourim. L'auteur du livre Menouh'ah OuKedousha (t. II, §20), le Rav Israël Isserl ben Dov Beer, se basant partiellement sur le commentaire du Rav Moshé Alsheih' sur la Meguila pousse cette explication plus loin en affirmant que Hatah' faisait passer les messages dans des biscuits recouverts comme les oreilles d'Haman (qui dans ce cas ressemblent plus à des biscuits "de bonne fortune" chinois…). Le Rav David Shlomo Eybeshütz (Levoushei Serad sur OH 695,2), ainsi que le Rav H'izkiya Da Silva (Pri Hadash, ibid.), le Rav Yeh'iel Mih'el Epstein (Arouh' HaShoulh'an OH 695,9), ou encore le Rav Israël Méïr HaCohen de Radin (Mishnah Berurah OH 695 s.k. 12) expliquent qu'Esther mangea également des graines, pour ne pas fauter en mangeant des mets interdits, tout comme Daniel, selon ce que dit le Talmud (Meguila 13a). Le Rav Yossef Yuzpe Hahn de Francfort (1570-1637) écrit (Yosef Ometz, 1928, p. 240, §1099) que la raison à cet usage est pour manger quelque chose après le jeune d'Esther, après la Meguila et avant le grand repas (Mishté) du lendemain matin. Or pour montrer que ce n'est pas un grand repas, on prendrait justement des graines. Dans le livre Lehorot Nathan (Moadim, vol. 5, p. 317), le Rav Nathan Geshtetner, quant à lui, rapporte selon le Maguen Avraham (OH 131, s.k. 14) que l'usage d'Autriche est de ne pas manger de graines, qui sont de la nourriture de deuil, durant les jours de joie, où l'on ne réciterait pas les supplications (tah'anoun). Ce serait pourquoi on les consommerait la nuit et non pas la journée, pour marquer que la nuit il n'y a pas de devoir de joie, de réjouissance, à la différence de la journée de Pourim.Le Rav Yitzhak Lipitz (déjà cité plus haut, Sefer HaMat'amim, Varsovie, 1889, p. 87) cite trois raisons à cet usage de manger des graines à Pourim. Une d'entre elles, selon lui, c'est que cela se dit "Mohn" en yiddish, terme qui contiendrait les lettres du nom d'Haman (h.m.n.) dans le désordre.

- Idem, lié à un usage plus ancien : celui de manger des krepleh', qui sont également des poches en pâte, dans lesquelles, généralement, on met de la viande ou des pommes-de-terre, etc. Ce terme viendrait du mot "crêpes". On a des traces de ce met dans les sources rabbiniques, dès 1225 ; on y fait référence comme "pat haba'a bekissanin". Voir à ce propos les Tossafot sur Berah'ot 42a qui parlent de la consommation d'un tel met à Pourim. Puis, on parle de "Pourim krepleh'", notamment, le Rav Yusel Hochstadt (Leket Yosher, éd. Freimann, vol. I, Berlin, 1903, p. 34) qui dit que son maître, le Rav Israël Isserlein refusait de le manger le soir de Pourim. Le Shl"a, Rav Yishayahou Horowitz (env. 1565-1630) écrit que la pâte était cuite avec du miel et des épices et emplies de fruits ou confiture (Shnei Louh'ot HaBrit, I, Sha'ar Ha'otiot, 65a). Le Rav Yoël Sirkis (Pologne, 1561-1640 – BaH' O.H. 168) donne une recette similaire, ce qui ne manque pas d'éveiller un commentaire de la part de son gendre, le rav David Halevi (TaZ id. OH 168,3). Le Rav David Oppenheim (Bohème, 1664-1736), connu pour son immense bibliothèque, parle aussi, dans son livre Hanhagot Adam (éd. Pollack, p. 276, n. 52) des "krepleh' effectués à Pourim", tout comme le Rav Yehouda Ashkenazi de Tiktin (18ème siècle) qui parle également du "krepleh' de Pourim" (Ba'er Heitev OH 168, s.k. 11). Là aussi de nombreuses raisons ont été données à cet usage notamment le fait que les krepleh' voilent leur contenu, comme l'histoire de la Meguila, où la Présence Divine est voilée, ou encore que c'est une voix qui est à peine entendue, entourée de pâte, etc. Le Rav Yeh'iel Mih'el Epstein (Arouh' HaShoulh'an, OH 168), ainsi que le resp. Shevout Ya'akov (t. I, §41), et d'autres encore identifient textuellement le krepleh' comme étant les "oreilles d'Haman". Selon J.D. Eisenstein, Otzar Dinim OuMinhagim, New York, 1917, p. 336 – tous les krepleh', qu'ils soient consommés à Pourim, à la veille de Kippour, à Hoshana Rabba ou à Lag BaOmer (!), sont habituellement triangulaires (comme des "oreilles d'Haman").

Ces usages seraient donc à la base de nos "oreilles d'Haman".

 

6) Le devoir de sa saouler à Pourim

Vous avez raison de signaler que de manière générale le judaïsme s'oppose à l'alcoolisme et la boisson d'alcool doit toujours être limitée au cadre du sacré, du consacré.

Toutefois, à Pourim, il y aurait quelque chose de quelque peu différent, un devoir de joie particulier lié à cette journée. Pour faire court, le Talmud (Meguila 7b) rapporte les propos de Rava selon lequel, il faudrait boire jusqu'à ne plus différencier entre le souhait de malédiction d'Haman et celui de la bénédiction de Mordeh'ai dans son lit (c'est la traduction de pouraya).

Ce qui est intéressant c'est que tout de suite après la "canonisation" du Talmud, à l'époque des Guéonim (600 à 1000 après l'ère chrétienne env.), personne ne fait mention de cet usage, comme s'il ne s'agissait que d'un conte (aggadeta), d'une histoire talmudique, mais sans retombée pratique. Ainsi, le rav Shimon Kayra dans son Halah'ot Guedolot qui reprend cette page du Talmud, fait abstraction de cet enseignement (40b-41a dans l'éd. de Venise), idem pour l'ouvrage Halah'ot Ktzouvot (éd. Margaliot, p. 85-87) – il semblerait donc que pour eux, il n'y ait là aucune astreinte.

En outre, de nombreux décisionnaires ont malgré tout tranché qu'il y avait là un "devoir", c'est notamment l'avis du Rav Itzh'ak Al-Fassi, le Rif, (3b), du Sefer Ha'itour, 111a-b ; de Rabbi Elazar de Worms (Sefer HaRokéah', §237, p. 138) ; de Rabbenou Asher (Rosh sur Meguila, chap. 1, §8), de son fils, Rabbenou Yaakov, dans son Tour (OH 695), de Rabbenou Yérouh'am (Netiv 10, part. I, 62c dans l'éd. de Venise) ; Rabbi Menah'em ibn Zerah' (Tzedah Ladereh', 137a  dans l'éd. de Varsovie, 1880) ; Rabbi Itzh'ak Tirna dans son Sefer HaMinhagim, (éd. Shpitzer, p. 160) et surtout par le Rav Yossef Karo dans son Shoulh'an Arouh' (OH 695,2), puis par de nombreux décisionnaires qui le suivent.

Toutefois, au fil des générations, les rabbins ont expliqué en quoi cette boisson devait être limitée et ne pas être exagérée. Plusieurs lectures de l'enseignement talmudique ont été données pour aller dans ce sens et limiter la boisson.

Je vous invite à consulter la réponse du Rav Kahn z"l sur le sujet :

https://cheela.org/conversation/5153/5243/Coutumes-de-pourim

Ou encore celle de Jacques Kohn z"l ici : http://www.techouvot.com/se_saouler_a_pourim-vt1421.html

Ou encore les propos du Rav Eliezer Melamed : https://ph.yhb.org.il/fr/05-16-10/

Ou encore le cours du Rav Binyamin Wattenberg : http://rwattenberg.free.fr/Pourim.html

 

7) Le statut d'Amalek de nos jours ?

Dans les principaux codex de loi juive, le Tour et le Shoulh'an Arouh' où les lois qui ont lieu de nos jours figurent, il n'est fait aucune mention du devoir "d'éliminer Amalek".

Toutefois, selon Maïmonide (hil. Melah'im, chap. 5, dans les versions exactes, non-censurées), ce devoir existe toujours, sauf qu'aujourd'hui, pratiquement on ne peut pas l'accomplir, puisqu'on ne sait plus qui est Amalek.

Telle est également l'opinion du Rabbin du 13ème siècle, auteur du Sefer HaH'inouh' (§604), Pinh'as HaLévy de Barcelone.

Cf. encore Ish HaEmouna HaBoded ("Le Croyant Solitaire") du Rav Y.D. Soloveitchik (p. 100, n. 23, dans l'éd. en hébreu du Mossad HaRav Kook) et resp. Yein HaTov (p. 246-258) du rishon leTzion, le grand-rabbin d'Israël, Rav Itzh'ak Nissim.

La question qui se pose est liée au fait que nos Sages nous enseignent que le roi Sanh'ériv a "mélangé les Nations" (Mishna Yadaim 4,4 tranché par le Rambam dans hil. Issourei Bia chap. 12, hal. 25) et théoriquement, cette identité étant "annulée", il ne devrait plus y avoir d'Amalécite dans le monde, ainsi ce commandement, même selon Maïmonide aurait dû être annulé (cf. Yad HaMéleh' sur hil. Issourei Bia 12,25 ; Gilyonei HaShass (Angel) sur Guittin 57b ; resp. Avnei Nezer OH II, §508 ; Moadim ouZmanim HaShalem (Sternbuch), t. II, §164 ; Rav David Itzh'ak Mann dans son livre Be'er Myriam (Kfar H'assidim, 1984), t. II, sur hil. Melah'im, chap. 5, hal. 4-5, etc.).

Quoi qu'il en soit, même si ce commandement n'a plus lieu d'être pour des raisons ontologiques ou pratiques, Amalek est devenu, depuis l'avènement du Zohar et de la Kabbala, le symbole du Mal, de la haine ontique, du Mauvais Penchant, des forces maléfiques, malfaisantes. C'est-à-dire qu'il y a eu là un processus de symbolisation. Il n'est pas anodin qu'au fil des générations et des exégèses Amalek est devenu le symbole du hasard, de l'indifférence, de la routine, du désespoir, du cynisme, du détachement, etc. Bref, symbole du "mal", du contraire de ce à quoi les prédicateurs voulaient éduquer.

Toutefois, en 1898, le Rav Yossef H'aim Zonnenfeld refusa d'aller rencontrer le Kaiser Wilhelm II, arguant qu'il existe une tradition au nom du Gaon de Vilna selon laquelle les Allemands seraient des descendants d'Amalek (Sefer H'oh'mat H'aim, p. 438 ; Orh'ot Rabbenou I, p. 93 - où il est fait état du problème que ce témoignage a posé aux yeux du Steipeler (le rav Y.Y. Kaniewsky) ; VeHa'Arev Na (Zilberstein), p. 162 – concernant cette tradition du Gaon de Vilna, cf. Orh'ot Rabbenou I, p. 287, She'arei Yemei HaPourim, p. 102 ; Shirat David (Goldberg), sur Esther 9, 16).

Plus tard, fin octobre 1905, l'historien juif et russe, Simon Dubnow écrira que l'on ne peut pas faire confiance aux révolutionnaires russes qui sont "Amalek du Gouvernement et Amalek populaire".

De manière similaire, il est rapporté dans le livre "VeHaIsh Moshé" (sur la par. Toldot), du Rav Moshé Soloveitchik de Zurich que les Russes sont descendants d'Amalek…

Selon d'autres, il s'agirait des Arméniens (cf. l'article d'E. Horwitz "HaYehoudim moul Amalek veGuilgoulav", revue Zion, n°64, p. 245 et suiv. et les nombreuses sources rapportées ; Tov LeHodot (Sofer), t. III, §20, p. 94-100 qui présente des sources premières à cette thèse) ou encore, s'agirait-il des Polonais (cf. p. ex. le chap. 102 du livre Kav HaYashar (Kaidanover), dans les versions non-censurées).

Puis, dès les années 1930 de nombreuses personnalités juives ont décrit le nazisme comme Amalek, dont le Rav H'aim Soloveitchik (H'amesh Drashot, Kol Dodi Dofek, n. 23 ; Nefesh HaRav (Schechter), p. 87 ; Mishpat Melouh'a (Guershouni), sur hil. Melah'im, ibid. ; en témoigne aussi le Rav H'aim Ozer Katz).

Ce serait également l'avis du rav H'aim Ozer Grodzhinsky, selon le témoignage du Rav Gustman (rapporté dans Lifnei Iver du Rav Ackman et dans la revue Or Israël, n°27, Nissan, 5762).

Toutefois cet avis a été lourdement remis en question, notamment par le petit-fils de Rav H'aim Soloveitchik lui-même, Rav Berel, le fils du Velveler (le Rav Itzh'ak Ze'ev Soloveitchik) qui écrit (Kovetz Yeshouroun, fol. n°8, Nissan 5761, p. 378) qu'on ne peut définir halah'iquement un descendant d'Amalek que si on a la liste exacte de ses ancêtres et qu'une telle affirmation ne fait que peu de sens et n'est effectivement que de l'ordre du symbolique.

C'est également ce qu'écrit le Rav Ezra Batzri dans ses responsa. Le Rav Itzh'ak Nissim (cité plus haut, resp. Yein HaTov, t. II, §2-5) écrit ni plus, ni moins de quatre réponses aux propos de Rav H'aim de Brisk et il prouve qu'il n'y a aucun fondement à une telle thèse, quand bien même R' H'aim l'aurait énoncée.

De manière similaire, le neveu du H'azon Ish, le Rav Shlomo Shimshon Karelitz, qui fut Av Beit Din (président du tribunal rabbinique) de la ville de Petah' Tikva, écrivit : "il est clair qu'il n'y a aucun sens aux propos attribués au Rav H'aim de Brisk et c'est évident que ce n'est pas lui qui les a énoncés".

C'est aussi ce qu'écrit le Rav Binyamin Zilber (resp. Az Nedaberou, II, §77) arguant qu'il est: "interdit d'inventer une nouvelle Torah, contraire à notre tradition".

C'est également l'avis de mon maître le Rav Nah'oum Eliezer Rabinovitch (resp. Meloumadei Milh'ama, p. 22-25) selon lequel le seul Amalek que l'on connaisse est celui décrit par la Torah, qui descend en ligne direct d'Elifaz et d'Essav et dont la lignée est claire et sans ambiguïté, tel que le décrit Maïmonide dans le Guide des Egarés (III, 50) et dans le Livre des Commandements (comm. pos. 188). Et depuis longtemps (Sanh'ériv) ce Peuple n'existe plus. Ainsi, selon lui, les propos de R' H'aim de Brisk ne font aucun sens, à un niveau halah'ique. Selon lui, ils ont été énoncés pour donner espoir aux juifs martyrisés par les nazis, puisqu'on a l'assurance que Dieu nous sauvera d'Amalek. Il ajoute encore dans sa réponse le témoignage d'un autre de mes maîtres, le Rav Itzh'ak Shilat, selon lequel le Rav Tzvi Yehouda Kook aurait dit que l'enseignement de R' H'aim n'est pas à prendre au premier degré et que de tels propos sont vraiment dérangeants.

Le Rav Itzh'ak Dadon (Rosh Devareh'a, p. 583) rapporte au nom du Rav Avraham Shapira qui fut grand-rabbin d'Israël et Rosh Yeshiva de Merkaz HaRav, que les propos attribués à R' H'aim de Brisk sont une erreur et qu'il n'ait pas pu croire qu'il ait dit pareille chose. Il ajouta : "la Torah n'est pas faite de symboles et les commandements ne sont pas symboliques". Pour lui, comme pour le Rav Rabinovitch, une telle opinion est absolument illégitime et a fortiori pour l'appliquer à d'autres peuples, tels les palestiniens, comme vous le suggériez (!) dans votre question !

Il n'y a donc aucun commandement, aujourd'hui, de tuer qui que ce soit (!), à cause du commandement de "détruire Amalek". Surtout qu'il s'agit d'un commandement collectif (et non pas individuel) qui est donné selon la majorité des avis, dans le cadre de la conquête (tel que ce fut le cas à l'époque biblique) de la Terre d'Israël.

La chose semble tellement claire que des juifs entre eux n'hésitent pas à se qualifier de descendants d'Amalek ! Ainsi, le H'afetz H'aim aurait désigné ainsi les juifs communistes en Russie, et son disciple, le Rav Elh'anan Wasserman hy"d les juifs sionistes… (Omer Ani Ma'assai LaMeleh', §3, imprimé à la fin du Kovetz He'arot sur mass. Yevamot et id. §16 ; cité aussi dans Al HaGuéoula ve'al HaTemoura (Teitelbaum), §60).

Plus récemment, au début de l'été 2013, le Rav Shalom Cohen, rosh yeshiva de la Yeshivat Porat Yossef, avait dit que tous les juifs portant une kippa brodée étaient des descendants d'Amalek, pour finalement s'excuser et dire que seuls les dirigeants du parti politique israélien "HaBayit HaYéhoudi" et leurs adhérents l'étaient… Vous comprenez bien que de dire que quelqu'un est descendant d'Amalek ne veut plus rien dire si ce n'est une sorte insulte, bien maladroite, pour marquer un désaccord profond.

(A tel point, que cela a même souvent été repris par des chrétiens. Ainsi, le Pape Urbain II disait aux Croisés (dans son appel à la Croisade en 1095, tel qu'il figure dans la version de Baudri de Dol) qu'il était lui-même Moïse (!) et que les juifs et les musulmans étaient Amalek ! Martin Luther, instigateur de la réforme protestante et grand antisémite devant l'Eternel, déclara que les juifs ayant lutté contre Jésus (!), étaient Amalek… Dans un sermon de 1703, le puritain C. Mather, traitait les indiens d'Amérique d'Amalek, (Magnalia Christi Americana, rapporté dans l'extrait intitulé "The Life and Death of Master Thomas Hooker - By Cotton Mather (1663–1728)" dans l'anthologie en 11 volumes (1891), de Stedman et Hutchinson (éd.), A Library of American Literature, vol. I–II: Colonial Literature, 1607–1764), c'est dire ! etc. etc.).

 

8) Le Code d'Esther

Concernant cette question, je vous invite à consulter l'article de notre ami, Emmanuel Bloch :

http://www.modernorthodox.fr/codedesther/ et à en discuter avec lui, sur ledit site en commentaire, sur Cheela où il répond aussi, sur les réseaux sociaux ou par email.

J'avoue ne pas avoir un avis tranché et clair sur la question, ni quelque chose de particulièrement intéressant à dire.

 

Pourim semeh'im !

Cordialement,