Conversation 84518 - Cheela et étude de Torah

Serge PASTORINI
Dimanche 29 septembre 2019 - 16:04

Chalom Rav Samuel Elikan

1) Qu’étend-on exactement par « étude de Torah », est-ce uniquement comprendre son sens (un des quatre sens du Pardès, en fonction de l’évolution de chacun) ou y a-t-il aussi obligation de la mémoriser au mot à mot ?

2) Est-ce spécifiquement attaché à la Torah ou cette étude s’étend-elle à tous les enseignements qui s’y rattachent (Talmud, Kabbala, Tossefta…) ?

3) Toutes les questions que les Cheelanautes se posent sur D.ieu (sur la façon de vivre au plus près de ce qu’Il attend de nous, de Le servir et sur la spiritualité de façon générale), et auxquelles toute l’équipe de Cheela répond avec beaucoup de dévouement, n’est-ce pas aussi faire « étude de Torah » ?

4) Dans votre réponse 79185, vous citez le Rambam (Talmud Torah 1,13) : « Une femme qui étudie la Torah a un mérite, une récompense, mais pas comme un homme, car elle n'est pas astreinte et quiconque accomplit un acte pour lequel il n'est pas astreint reçoit une récompense moindre que celui qui est astreint... » N’est-ce pas le contraire qui serait le plus logique ? Ainsi voici deux enfants accomplissant une même bonne action, mais l’un le fait par « obligation » alors que l’autre y est venu par les « voix secrètes du cœur ». Lequel selon vous sera au plus près de ce qu’attend leur père ? Et voici encore deux hommes, l’un qui accomplit la Tzédaqua par « l’obligation d’un commandement » et l’autre qui donne une part de ce qu’il a, parce qu’il « sent » qu’il doit le faire : lequel est plus proche de D.ieu ?

5) Et maintenant si je remplace le mot « femme », par « non-juif », ne puis-je pas tenir le même raisonnement ? Etudier la Torah parce qu’on y est poussé par une pression quelconque (sociétale, familiale, morale, appartenance au groupe, etc.) et le faire parce qu’on en ressent le besoin, par appétence de l’âme, parce qu’on a le pur désir de se rapprocher de D.ieu, n’est-ce pas au moins aussi « bien » ? Pour quelle raison la récompense (s’il y a !) serait-elle moins grande ?

6) La « récompense » n’est-elle pas plutôt proportionnelle au mérite, à l’effort de rapprochement vers D.ieu plutôt qu’à la nature juive ou non-juive de celui qui le fournit ? Car voici encore deux enfants qui, avec la même application, étudient la Torah : l’un est né dans une famille juive, d’une longue lignée de rabbins et l’autre dans une favela où la rapine et le meurtre sont des modalités de survie. Auquel des deux donneriez-vous la plus belle part si vous étiez D.ieu ?

7) Vous citez encore le point de vue de Rabbi Eliezer (TB Sotah 21b) selon lequel « plus on est intelligent, plus on peut devenir orgueilleux », raison pour laquelle, il ne servirait à rien d'enseigner la Torah à sa fille. N’est-ce pas se tromper de cible que de s’attaquer à l’enseignement de la Torah au motif que celle-ci inclinerait au péché d’orgueil la femme qui la connait ? N’est-ce pas plutôt le péché d’orgueil qu’il faut combattre et faire reculer, car celui-ci possède bien des déclinaisons et si l’on devait écouter Rabbi Eliezer, il faudrait brûler tous les livres en général, au motif que l’instruction risque de « donner le melon » à quiconque connaît quelque chose ! Absurde, non ?

8) Plus loin encore vous rappelez que « l'étude de la Torah équivaut à tous les commandements ("veTalmoud Torah kenegued koulam") ». Je voudrais être certain d’avoir bien compris : cela signifie-t-il que si l’on doit faire le choix entre étudier la Torah et consacrer la même part de temps au respect de mitsvot, il soit préférable de choisir la Torah ?

9) Comment interprétez-vous l’affirmation de Levinas : « Aimer la Torah plus que Dieu ». Je la trouve irrespectueuse. N’est-ce pas parce qu’on aime D.ieu qu’on étudie la Torah et non le contraire ? Est-ce D.ieu qui a créé la Torah ou la Torah qui a créé D.ieu ? Dans ce questionnement suggéré par l’affirmation, ne voit-on pas tout ce qu’elle a d’absurde ?

10) Quelle différence faites-vous entre confiance ("emoun" en hébreu) et foi ("emouna") ? L’une n’implique-t-il pas l’autre ? L’opposition n’est-elle pas plus à faire entre « savoir » fondé sur l’étude (de la Torah, justement !) versus « foi » (qui elle, est fondé sur une croyance) ?

11) Enfin, je voudrais revenir sur la locution latine que vous citez : « Credo quia absurdum » de Tertullien signifiant « je [le] crois parce que c'est absurde » pour rappeler que le sens de cette locution n’est peut-être pas d’opposer le savoir à « une foi mystique, illogique », mais de constater que, malheureusement, il y a beaucoup (trop, selon moi) de cas où l’on est contraint d’admettre des hypothèses dont la démonstration n’est pas à la portée de la raison humaine et que, dans ces conditions, la foi constitue le seul recours possible pour les accepter. Et je donnerais un exemple de cette situation : « Satan, dans la tradition juive, est un ange divin parmi les autres, chargé par Hachem d’induire les humains en tentation et de les inciter au péché » (réponse 44472). Comment comprendre qu’Hachem veuille induire les humains en tentation et les inciter au péché ? N’est-ce pas contradictoire avec le désir de D.ieu de nous voir revenir en Son sein ? Voici un cas où « Credo quia absurdum » devient le seul recours et je suis persuadé qu’avec votre érudition, vous n’aurez aucun mal à exciper d’autres exemples encore mieux fondés…

En vous priant de bien vouloir excuser la longueur de cette conversation suscitée par la richesse théologique et spirituelle de votre réponse 79185 au contenu impressionnant.

Très respectueusement

Rav Samuel Elikan
Jeudi 21 novembre 2019 - 13:34

Shalom,

1)2)3) Etude de la Volonté Divine telle qu'elle se dévoile dans les différents textes de la Tradition juive, entre autres.

4)5) Le Talmud de Babylone (Baba Kama 38a et 87a ; Avoda Zara 3a ; Kidoushin 31a) enseigne très clairement - et de manière plutôt contre-intuitive - que le mérite de quiconque agit par obligation est supérieur à quiconque ferait la même action uniquement à cause de sa bonne conscience. Selon la loi juive, quiconque donne la charité (tzedaka) parce que c'est un commandement Divin est plus proche de Dieu que quiconque ferait cet acte pour se donner bonne conscience ou par pitié !

6) N'étant pas Dieu, je ne peux pas répondre à cette question. Par ailleurs, la mishna dans le traité d'Avot (Maximes de nos Pères) évoque clairement le fait qu'on ne connaisse pas le mérite des commandements, c'est-à-dire qu'on n'aura jamais réponse à cette question.

7) L'orgueil, dans le judaïsme, n'est pas un péché, mais une mauvaise attitude. Selon cette approche, la Torah, comme de l'eau, fait pousser ce qu'il y a dans le "terroir" de la personnalité - vertus et attitudes. S'il y a de l'orgueil, la Torah la fera "pousser", grandir, accroître : on voudra étudier pour être respecté, par exemple, et en tirera encore plus d'orgueil. L'attitude d'orgueil, quant à elle, se travaille et se "répare", par un mouvement intérieur - ce que certains appellent le "moussar".

8) Oui, à condition que l'autre commandement peut être fait par quelqu'un d'autre. Par exemple, une personne aveugle ou âgée attendant qu'on l'aide à traverser la route et on étudie. Si quelqu'un d'autre peut venir l'aider au même moment, bien que ce soit une grande mitzva d'aider une telle personne, il vaut mieux continuer l'étude de la Torah.

9) C'est basé sur un enseignement rabbinique très profond du Midrash (Ptih'a d'Eih'a Rabba) à propos du verset affirmant que le Peuple avait quitté Dieu et Sa Torah, et selon nos Sages, Dieu aurait comme dit : "si seulement ils m'abandonnaient mais gardaient ma Torah, car la lumière qui y réside les ramèneraient au meilleur (d'eux-mêmes)". Un autre enseignement rabbinique affirme que la Torah a précédé la Création du Monde, et Dieu l'aurait "consulté", comme une carte ou un schéma architectural, pour pouvoir créer le monde ! 

10) cf. ici : https://cheela.org/conversation/67810/67810/Comment-en-etre-sure

11) Votre exemple illustre bien ce qui n'est pas absurde, comme l'explique longuement le Rav Moshé H'ayim Luzzatto (1707-1746) - Ramh'al. Je vais essayer d'exprimer sa pensée de manière très très simpliste : le Mal (que l'on appelle aussi Satan ou "mauvais penchant", etc.) n'a pour but que de nous permettre de faire le Bien. Si tout était bon dans le meilleur des mondes, nous n'aurions rien à faire.

Je vous joins ici quelques mots écrits par le Rav Mordékhai Chriqui à ce propos (légèrement adaptés):

"Dans son Dereh' Hashem (La Voie de Dieu) il écrit, notamment, dans le premier chapitre de la première partie, que Dieu est "Être premier, ancien et Éternel, Son existence est une existence simple et non complexe, Il est complet dans toutes les perfections, Unique et Souverain". Par la suite, le Ramhal explique que le monde a été créé pour que Dieu puisse octroyer le Bienfait à ses créatures. Ce Bienfait se traduit par la possibilité qu'à l'homme d'atteindre la proximité, voir l'adhésion avec Dieu.  Toute la création reflète cette structure nécessaire pour permettre à l'homme d'atteindre, selon son bon vouloir, l'Éternel. La liberté (même restreinte) étant, il est donné à l'homme de saisir 'les éléments de la perfection' qui lui permettront d'atteindre son but, et du coup de s'éloigner des 'lacunes', qui sont les imperfections éloignant l'homme du but ultime.  Toute la création reflète uniquement ces deux aspects : les perfections et les imperfections, tous deux procèdent de Dieu, les uns émanent de Sa Présence et les autres de la dissimulation de cette Présence. L'homme reflète par son âme et son corps cette organisation, son âme émane de la Présence divine elle-même, et son corps de cette dissimulation du divin. Dans le chapitre trois, l'auteur nous parle de la fonction réparatrice de l'âme qui permet par les bonnes actions (du corps) de purifier ce dernier et du coup réparer le monde aussi.

Dans la seconde partie de son livre le Ramhal nous expose la direction divine du monde qui ne reflète pas le but seulement de maintenir la subsistance des êtres créés, mais surtout de les ramener à la complétude. Donc même si la direction de la justice (récompense et punition) est présente dans l'histoire, la direction du tikoun, de la réparation, prédomine sur tout. Elle agit continuellement pour 'rassembler les hommes parfaits afin de les diriger vers l'éternité' (II,2). En plus la Sagesse suprême a subdivisé le tikoun du monde selon les différents hommes conformément à un plan très subtil et approprié à chacun. En somme chaque homme a sa part dans les épreuves du monde et dans la guerre avec le (penchant au) mal, c'est son fardeau et en même temps sa fonction' (II,3) dans le grand Tikoun du monde".

 

Cordialement,