Conversation 84621 - Je serai ce que Je serai

kalpa
Lundi 25 novembre 2019 - 16:28

Shalom Rav Samuel Elikan

Avec votre permission, je souhaiterais revenir sur votre réponse 84516. J’ai bien évidemment relu le passage du « Guide des égarés » que vous m’indiquez en référence sur lequel j’ai les remarques suivantes :

1) Plusieurs traductions sont données de la Parole « Éhyé acher éhyé » mentionnée en Ex 3.14 :

  • La Vulgate donne « Je suis ce que je suis ! »
  • La Septante donne « Je deviendrai ce que je décide de devenir ! » (ou « Je serai ce que Je serai ! » que je vous ai citée dans ma conversation initiale.)

La version hébraïque (tout au moins celle que j’ai à ma disposition) donne « Je suis l'Être invariable ».

Êtes-vous d’accord avec cette dernière traduction ?

Comment se fait-il que le verbe « éhyé » qui est répété 2 fois dans la version en hébreu n’apparaisse ici qu’une seule fois ?

3) Maïmonide s’est clairement basé sur la version de la Vulgate puisqu’il la cite d’ailleurs explicitement dans la référence que vous m’avez indiquée Ex 3.14 : « Je suis celui qui suis ».

Et il en conclut : « L’Être qui est l’Être », c’est-à-dire l’Être nécessaire. Il y a quelque chose dont l’existence est nécessaire, qui n’a jamais été non existant et qui ne le sera jamais.

C’est la raison pour laquelle, vous basant sur l’interprétation de Maïmonide, vous retenez de Ex 3.14 l'intemporalité Divine.

Mais « éhyé » devrait-il pas être plus correctement traduit par « Je serai » ?

4) S’il est exact que « éhyé » doive être traduit par « Je serai », alors la traduction de la Septante donne un sens plus clair, celle d’un D.ieu qui n’est pas figé dans le temps, mais qui s’adapte à une situation rendue variable par le libre arbitre des hommes. Et d’ailleurs, cette interprétation se vérifie dans les réactions de D.ieu, telles que la Torah les rapporte. En effet, dans un premier temps, D.ieu efface toute la vie de la terre par le déluge qu’Il lui impose. Et dans un second temps D.ieu dit à Noé après ce déluge : « Oui, j’établis mon alliance avec vous : je ne détruirai plus jamais tous les êtres vivants par les eaux d’un déluge, et je ne ravagerai plus jamais la terre par un déluge. ». N’est-ce pas là un D.ieu qui se ravise, qui change d’attitude, qui s’adapte à sa Création, car cette Création se révèle n’être pas celle qu’Il avait prévue : D.ieu aurait voulu un Adam sans faute, mais ce ne fut pas le cas ; D.ieu aurait voulu un Caïn sans fratricide, mais ce ne fut pas le cas, etc.

5) Vous me dites que l’interprétation ci-dessus est très éloignée des exégèses « classiques », mais est-elle pour autant absurde, impossible ?

6) Et quand une interprétation n’est pas absurde, que doit-on faire face à une autre interprétation différente, fût-elle celle d’un sage ? Dois-je retenir celle que je comprends le mieux et dont je me sens le plus proche, avec laquelle ce que je suis est en harmonie, ou celle qui a été donnée par une sommité (ici Maïmonide) ?

Cette question est importante, car elle se reproduit inévitablement dans l’étude et c’est ce qui la rend générique. Je sais qu’il faut faire confiance aux sages, mais ne peut-on pas aussi, et sans aucun orgueil, faire également confiance à soi-même ?

Avec mes remerciements

Respectueusement

Rav Samuel Elikan
Jeudi 12 décembre 2019 - 20:41

Shalom,

1) ça se lit ainsi : "Je suis l'Être (ehyeh) invariable (asher ehyeh)".

2) Je ne sais pas si le Rambam a pu lire la Vulgate (même si son fils, Rabbi Avraham en clairement a lu des passages, indirectement), mais il est très très improbable qu'il se base sur cela pour commenter la Torah ! C'est une lecture plausible que l'on trouve déjà chez Rav Saadia Gaon, puis, après le Rambam, chez le Ralbag (Gersonide), Tzror HaMor (Sebba), Akeidat Itzh'ak (Areima), entre autres,  dans leur commentaire ad loc. cf. encore Sefer Ha'Ikkarim (Elbo), II, chap. 27 et resp. Mefa'aneah' Ne'elamim §1 qui vont également dans ce sens.

D'autres interprétations voient dans cette expression un Nom Divin (qui ne s'expliquerait pas comme une expression concrète - tout comme Y-H-W-H ne s'explique pas, sinon de manière ontologique). Pour certains c'est "ehyeh" le Nom, pour d'autres c'est "ehyeh asher ehyeh" qui est un Nom et "ehyeh" en un autre.

Pour le Rav A.I. Kook, par exemple, cela signifie « Je serai avec vous dès maintenant, de toutes les façons Je serai pour vous, à la fin des temps », alors que selon Rashi, qui suit en cela nos Sages, cela signifie "Je serai avec vous même en Exil".

etc. etc. Il y a pléthore interprétations.

 

5) Non ce n'est pas impossible, ni absurde. Il faudra juste construire derrière un modèle théologique cohérent qui puisse soutenir une telle lecture et s'accorde avec les autres textes. Je vous invite à voir le commentaire du Baal HaTourim (ad loc.) qui dit, finalement, des idées différentes mais qui pourraient, d'une certaine manière s'accorder avec votre lecture.

6) On continue à chercher, jusqu'à ce que cela nous semble plausible, cohérent et constant. Si c'est le cas, avec humilité, on peut dire qu'on a une lecture différente. C'est très bien et très important, cela s'appelle un h'idoush. Cela fait partie inhérente de l'étude (certains y verraient même un but, mais ça peut vite devenir malsain). On cherche à innover, à comprendre, à être en harmonie avec ce qu'on étudie. Chacun a sa "lettre" dans la Torah et devrait tenter de la trouver, surtout via l'étude.
J'ai reçu d'un homme sage que si l'on cherche bien, dans n'importe quel domaine et a fortiori la Torah, on finira toujours par trouver des "petites pierres" sur notre "nouveau chemin", d'autres personnes qui sont passées par des voies comparables, similaires, des idées parfois inspirantes, ressemblantes sur un point ou un autre, etc.

Cordialement,