Conversation 84208 - Distinction entre racisme et antisémitisme

bat.israel
Jeudi 7 mars 2019 - 02:56

Chalom, 

Que répondre à une personne qui nous demande pourquoi on fait la distinction entre racisme et antisémitisme ? Quelle est la différence entre les deux ? 

Et surtout que répondre à ceux qui affirment qu'il y aurait soit disant deux poids deux mesures et que le fait de faire la distinction entre racisme et antisémitisme minimise les autres formes de haine raciale ? 

Merci

 

 

Rav Samuel Elikan
Jeudi 7 mars 2019 - 11:08

Shalom,

Je crois que cette question, qui a des impacts juridiques et des définitions spécialisées, ainsi que toute une littérature scientifique, sociologique, psychologique et anthropologique, dépasse le cadre de notre site.

Cependant, de manière générale, pour répondre à votre question, on peut effectivement affirmer qu'il s'agit de deux concepts différents :

- le racisme se définissant comme un ensemble de théories et de croyances qui établissent une hiérarchie entre les races, entre les ethnies. Comme, par exemple, des doctrines politiques fondées sur le droit pour une race (dite pure et supérieure) d'en dominer d'autres, et sur le devoir de soumettre les intérêts des individus à ceux de la race. Il se définit également comme attitude d'hostilité pouvant aller jusqu'à la violence, et de mépris envers des individus appartenant à une race, à une ethnie différente généralement ressentie comme inférieure.

Ces définitions sont tirées du Dictionnaire "Le Trésor de la Langue Française".

 

- l'antisémitisme, quant à lui, se définit comme la discrimination et l'hostilité manifestées à l'encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux voire racial. Toutefois quelqu'un peut être antisémite sans croire à une théorie des races (c'est-à-dire sans être raciste), ou être raciste et considérer le judaïsme comme une religion et non pas comme une race (jamais entendu pareille chose, mais théoriquement ça pourrait exister).

Certes, historiquement, à la base, vers la fin du 19ème siècle, l'antisémitisme était une forme de racisme à prétentions scientifiques dirigée spécifiquement contre les Juifs (et non contre les peuples sémites qui est un groupe linguistique !) - comme on peut le lire dans un pamphlet anti-juif du journaliste Wilhelm Marr, en 1879, auquel est "attribuée" l'invention du mot "antisémite".

Toutefois, aujourd'hui le terme est le plus souvent utilisé aujourd'hui pour qualifier tous les propos et actes d'hostilité anti-juive, que leurs fondements soient raciaux ou non.

Les motifs et mises en pratique de l'antisémitisme incluent généralement divers préjugés, des allégations de généralisation fallacieuses, des mesures discriminatoires ou d'exclusion socio-économique, des expulsions, voire des massacres d'individus ou de communautés entières, seulement parce qu'ils sont juifs... Malheureusement notre Peuple en a beaucoup souffert et continue d'en souffrir terriblement.

Aujourd'hui, beaucoup considèrent que le fait même de ne pas reconnaître aux Juifs le droit d'avoir un état indépendant, c'est-à-dire, le droit d'Israël à exister - ce qui s'appelle communément l'antisionisme - peut également être considéré comme une forme d'antisémitisme.

En résumé on peut être raciste sans être antisémite (théoriquement) et on peut être antisémite sans être raciste. Voilà pourquoi il est légitime de distinguer ces deux termes.

Mais on peut aussi être les deux, ce qui est trop souvent, malheureusement le cas, puisque la bêtise n'est jamais limitée...

Le fait que les deux concepts existent ne veut pas dire que l'un est plus important que l'autre.

Tout comme quelqu'un peut être xénophobe sans être raciste...

En effet, la xénophobie est une « hostilité à ce qui est étranger », selon le Dictionnaire Le Robert, plus précisément à l'égard d'un groupe de personnes ou d'un individu considéré comme étranger à son propre groupe (endogroupe). Ainsi quelqu'un peut ne pas supporter les "étrangers dans son pays" sans pour autant croire à des thèses sur les races, c'est-à-dire sans pour autant être raciste.

La xénophobie est-elle condamnable ? Tout autant que le racisme. D'ailleurs, dans bien des codes de loi ces deux termes sont juxtaposés. 

D'ailleurs j'avoue avoir de la peine à comprendre la logique de la question. En effet, de la même manière qu'un meurtre ou un viol sont des crimes - le fait de condamner l'un ne voudrait pas automatiquement justifier l'autre... fort heureusement ! 

Il faut lutter, dans le cadre légal, contre la violence (qu'elle soit meurtrière ou d'ordre sexuel ou autre) !

C'est également le cas pour l'antisémitisme, la xénophobie et le racisme. L'un n'empêche pas l'autre et tous sont condamnables... 

Pour approfondir la définition d'antisémitisme, il y a un article qui résume très bien les enjeux et la littérature qui existe sur cette question - en anglais :

Kenneth L. Markus, The Definition of Antisemitism, in Charles A. Small, Global Antisemitism: A Crisis of Modernity, Martinus Nijhoff Publishers, 2013, p. 97-110.

 

Je vous invite par ailleurs à consulter à ce propos quelques ouvrages en français (c'est vraiment une infime partie de toute la littérature qui existe à ce sujet) :

- Carol Iancu, Les mythes fondateurs de l'antisémitisme. De l'Antiquité à nos jours, Privat, Toulouse, 2003, 189 p. (coll. « Bibliothèque Historique »).

- Gilles Karmasyn, L'« antisémitisme » : une hostilité contre les Juifs : genèse du terme et signification commune, PHDN, 2002-2012.

- Yves Chevalier, L'Anti-sémitisme, Editions du Cerf, Paris, 1988.

- Walter Laqueur, L'antisémitisme dans tous ses états : Depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, éd. Markus Haller, 2010. 

- Jean-Claude Milner, Les penchants criminels de l'Europe démocratique, Paris, Verdier, 2003, surtout, la dernière partie : VI. Le nom juif.

- Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, éd. Mille et une nuits, coll. "Essai", 2002 et son livre Prêcheurs de haine, Traversée de la judéophobie planétaire, éd. Mille et une nuits, 2004.

- Daniel Sibony, L'énigme antisémite, Paris, Seuil, 2004.

- Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, éd. du Seuil, coll. Points, 1991.

- Jean-Pierre Faye & Anne-Marie de Vilaine, La déraison antisémite et son langage, Arles, Actes Sud, collection Babel, 1993.

- André Glucksmann, Le Discours de la haine, Paris, Hachette, 2005, collection Pluriel.

 

Cordialement,