Cette Torah est bien archaïque!

babaz
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lun 02/11/2009 - 23:00

46716

Merci beaucoup pour votre réponse (dont je viens de découvrir l'existence peut-être ancienne).

Je croyais pouvoir considérer, dans cette question, les cinq livres de la Torah comme tout à fait immuables, en rien tributaires de contextes quelconques (y compris ceux dans lesquels ce qu'ils relatent s'est produit). Que l'on puisse en extraire des principes humains sans contrainte temporelle - ceux inhérents aux maîtres et aux esclaves par exemple - me semblait dès lors envisageable.

Ces questions ne se posent plus dès lors que l'on envisage toutes ces choses avec ce que nous pourrions peut-être appeler des "circonstances atténuantes inhérentes à une époque plus ancienne..."

Mais n'est-ce pas normaliser notre lecture de ces textes divins, avec le risque de d'estimer telle ou telle situation comme caduque à tort ?

Merci

Emmanuel Bloch
jeu 05/11/2009 - 01:34

Chalom,

Votre question est parfaitement legitime. En d'autres termes, ou mettre la limite ? Si la legislation de la Torah en matiere de statut des femmes est liee, comme le soutient le r. Berkovits, a un contexte socio-economique donne, peut-etre en va-t-il de meme pour les lois du chabbat, qui peuvent entrer en conflit avec la realite du monde du travail moderne ? Ou celles de la cacheroute, qui refleteraient une conception depassee en matiere d'hygiene alimentaire ? etc.

Il va sans dire que ces deux derniers raisonnements sont inacceptables dans le cadre d'une pensee authentiquement orthodoxe. Alors, comment faire la difference ?

Je crois qu'il existe neanmoins un certain nombre de garde-fous significatifs dans le systeme philosophique du r. Berkovits.

En premier lieu, il faut insister que la halakha a sa dynamique propre. Lorsqu'elle s'adapte, dans une certaine mesure bien entendu, aux realites de l'epoque, elle le fait sur la base de ses propres outils et techniques (que je ne detaille pas ici pour ne pas rallonger inutilement cette reponse). Il ne s'agit pas, pour le r. Berkovits, de changer les halakhot liees aux femmes sur la simple base de ses convictions personnelles et de sa vision philosophique - il y a un processus a respecter.

Bien entendu, il ne faut pas tomber dans l'extreme inverse et nier tout rapport entre hachkafa et halakha - les valeurs de chaque possek influencent sur la maniere dont il percoit les sources et les analyse. C'est tout l'interet de la discipline que l'on appelle etude de la philosophie de la halakha.

Mais il n'empeche : il ne s'agit pas tant ici de promouvoir un changement que de donner un cadre dans lequel le comprendre a posteriori.

Ceci m'amene a ma deuxieme consideration: les poskim ont de tout temps contribue a ameliorer le statut des femmes dans la halakha : institution de la ketouba au temps de 'Hazal, interdiction de la polygamie au Moyen-Age, education juive poussee depuis Sarah Schnirrer et la creation des Batei Yaakov, etc.

Cette effort continu donne du poids et de la validite, du point de vue du Judaisme halakhiquement authentique, au souci moral lie au statut des femmes. Les plus grands decisionnaires de notre peuple etaient soucieux d'ameliorer les choses. Il ne s'agit donc pas de reformer la Torah aux modes transitoires et fluctuantes, comme dans d'autres courants du Judaisme, mais de poursuivre une oeuvre reconnue comme acceptable depuis de nombreuses generations.

Cette idee me sert de transition vers ma troisieme idee - le r. Berkovits etait un rabbin orthodoxe connu et un possek. Ce fait assied sa legitimite comme penseur. De la meme maniere, Maimonide n'a pu ecrire, dans la troisieme partie du Guide des Egares, que les sacrifices au Temple representaient une concession a l'epoque (contextualisant ainsi plus ou moins l'entier du livre de Vayikra) que sur la base de son immense legitime comme possek et auteur du Michneh Torah. Le risque d'estimer a tort une situation comme caduque, selon votre expression, est fortement minimise lorsque l'on parle d'auteurs tres respectes, des dirigeants de la generation, et non des simples reflexions du premier quidam.

Pour finir, je tiens quand meme a rappeler que ces idees ne sont pas forcement les plus representatives de la pensee orthodoxe. Mais elles y ont droit de cite, et representent, selon ce que je soutiens ici, un apport audacieux et bienvenu.