Conversation 30056 - Prière pour déiste

lea38
Mercredi 29 mars 2006 - 23:00

Je travaille dans une école juive comme professeur de kodesh. Cette école n'emploie pas uniquement des professeurs juifs. Il y a quelques temps, j'ai eu l'occasion de passer dans une classe où se déroulait un cours de français donné par un professeur non juif, pour fair réciter un tehilim aux enfants pour la guerison d'une personne. Cette dame m'a acceilli dans sa classe avec beaucoup de pudeur et a fait preuve d'un vrai respect lors de la lecture du tehilim. Quelques jours plus tard, je l'ai rencontré à la sortie des classe. Elle s'est presentée à moi et m'a précisé qu'elle n'était ni juive ni rien d'autre, elle se dit deiste, dit croire en une sorte de force sans savoir la determiner. Puis elle s'est mise à pleurer en m'expliquant qu'elle faisait appel à moi car j'étais venue prier dans sa classe pour une autre personne. Elle m'a expliqué que parmi ses proches, il y avait un homme que les medecins avaient condamné suite à un cancer generalisé au mois de novembre en lui laissant un mois. Elle m'a decrit les souffrances de cet homme qui malgré tout s'accrochait, m'a decrit l'épreuve pour ses proches qui ont refusé l'hospitalisation et vivent actuellelment un veritable calvaire, tant sentimentalement par la peine que ça leur procure, que par la lourde tache qu'est celle de s'occuper d'un mourrant à domicile. J'ai finis par comprendre sa requete lorsqu'elle m'a expliqué que ses proches étaient partagés entre la souffrance de voir un de leur proche si mal en point et le sentiment de culpabilité qu'ils avaient de part leur désir qu'il en finisse. Elle a ajoutait qu'un mariage se preparait dans la famille et que la joie n'était evidement pas possible. En gros elle me demandait si nous n'avions pas une prière pour que l'ame de cet homme reparte plus vite. J'étais je l'avoue assez choquée mais sa detresse m'a fait peine. Je lui ai dit ne pas connaitre de telle prière, que selon moi il n'était que dieu qui puisse decider du moment où cet homme devrait le rejoindre, et qu'a mon avis, les prières au contraire retenaient les gens. Je lui ai egalement dit que cet homme ne voulait manifestement pas mourir et se battait et que son desir de vivre était sans doute plus entendu par dieu que le soulagement que son depart pourrait apporter à ses proches. Je lui ai enfin dit ne pas être competente pour lui repondre et lui ai promis d'avoir l'avis de rabanim. Elle a l'air vraiment desespérée mais je ne sais trop quoi lui dire. Elle a l'air de frapper à toutes les portes pour trouver de l'aide. Je ne suis personne pour ecrire cela, mais son ame était palpable. Sa douleur m'a touchée et meme si je suis quasiment sure qu'une telle prière n'existe pas, et quand bien meme, j'aurais du mal à la conseiller à quiconque; je ressens néamoins le besoin d'aidre et de reconforter cette femme. Mais les mots me manque. Si vous pouvez m'aider et me guider dans le discours que je dois lui tenir, je vous en serais vraiment reconnaissante. Pessa'h casher vessaméa'h

Dr Michael Ben Admon
Mercredi 26 avril 2006 - 12:06

Shalom

la souffrance a laquelle vous fait participer votre collegue est reelle et l'ecoute dont vous faites preuve envers cette dame est louable. Les professeurs non-juifs qui enseignent dans des ecoles juives sont souvent consideres comme des 'outsiders' et il n'est pas rare de constater qu'aucun travail ou discours de fond ne soit engage envers ces profs dans un but de veritable dialogue et connaissance mutuelle. Une personne en detresse a certaines fois besoin de faire participer d'autres a son malheur en leur racontant, tout simplement, leur histoire.
La question que vous posez a ete traitee dans differents textes de Halakha (Responsa Tsitz Eliezer Ramat Rahel 5; Encyclopedie medicale-halakhique, Kol bo Du rav Grunvald) et elle presente un veritable dilemne dont les donnees sont les suivantes:
La vie est-elle a preferer a la mort, meme lorsque cette derniere devient intenable ? Qui definit que la vie devient intenable ? la personne qui souffre et qui peut etre parle sous l'effet de la souffrance, ou bien les proches et amis qui souffrent - d'une autre souffrance - de voir leur proche dans un tel etat ?
Comme vous le savez, l'euthanasie active est totalement interdite dans le Judaisme et certains decisionnaires permettraient dans certains cas l'euthanasie passive.
Dans le cas que vous presentez, il n'est pas question d'agir mais de prier, de souhaiter. Bien qu'il ne faille pas perdre espoir et un bouleversement medical miraculeux pourrait etre possible, les medecins quant a eux condamnent la personne.
L'esprit de la Halakha face aux malades tel qu'il a ete codifie dans les regles sur la visite aux malades dans le Choulkhan Aroukh precise que l'on recherche le meilleur pour le malade, et le meilleur dans son cas c'est de vivre.
Cependant, le Talmud raconte que la servante de Rabbi Yehouda Hanassi, voyant les etroces souffrances de son maitre a prie pour qu'il en soit delivre par la mort et a use d'un submerfuge pour empecher les rabbins de prier ne serait-ce qu'une seconde, le temps que l'ame quitte le corps. Ce texte talmudique a ete compris par un rabbin medieval - Rabbenou Nissim (le Ran, dans ses commentaires sur Nedarim) comme une possibilite de prier pour la delivrance par la mort d'une personne dont les chances de vivre sont nulles.
Une grande polemique existe dans la halakha a ce sujet et le Rav Waldinberg, auteur des Responsa Tsitz Eliezer precedemment cites, considere que dans un cas d'une telle detresse, apres des annees de souffrance et des previsions medicales negatives, il serait permis de prier pour la fin de ses souffrances par la mort. En outre, comme vous le dites, la famille proche pourrait avoir des sentiments de culpabilite en prononcant une telle priere, c'est pourquoi eux ne pourront pas la reciter.
Cette reponse est difficile a integrer, car comme vous le dites, on ne peut d'un cote proner la vie comme valeur supreme et d'un autre cote prier pour la mort d'une personne atteinte d'une maladie incurrable. D'autre part, c'est aussi un signe de grande sensibilite de la part de la halakha que d'entrevoir certaines fois la triste realite des choses et de ne pas se cantonner a de grandes valeurs et declarations considerees comme inoperantes dans ce genre de situations.
Dans cette relation que vous avez entamee avec cette collegue, vous seule avez devant vous les donnees du problemes, les sensibilites en presence, les facons et les mots a employer pour consoler et porter une veritable aide. Ce responsa du Rav Waldinberg n'a pas a etre applique en tous lieux, en toutes circonstances sans differentiations, mais il est important de savoir qu'il existe pour des cas ou aucune autre issue ne semble possible et l'on souhaite prononcer une priere du fond du coeur et non pas prononcer des mots auxquels on ne croit pas.

eliyoël
Jeudi 27 avril 2006 - 23:00

chalom,
au sujet de la 30056,
sans vouloir juger quoi que ce soit, il y a quelquechose que je n'ai pas bien saisi :

comment est-il possible que le désir des proches qu'un malade en "finisse" signifie quelquechose ? de plus, le cas -unique et semble-t-il très partiellement compris comme le ran- de rabbi yéhouda hanassi, paraît être un cas où le malade souffre au point que lui aussi veuille en "finir", mais dans le cas présent qui a dit que le malade voulait ne voulait plus vivre (et non pas mourir ce qui est interdit je crois)?

et le rav moché fenstein ne disait-il pas au contraire que tout instant sur cette terre est précieux, car on ne sait pas si on peut encore faire une mitsva ou un peu de bien ?

Dr Michael Ben Admon
Samedi 29 avril 2006 - 23:55

Shalom,

Merci pour vos remarques, avec lesquelles je suis totalement d'accord et qui concretisent combien cette question est un vrai dilemne. Un vrai dilemne est celui qui, face aux deux solutions possibles, reste toujours sur un manque: Si je choisis A je regrette B et inversement. Il en est ainsi pour ce cas la; opter pour la 'priere' nous fait regretter les arguments opposes - a savoir l'importance de cette vie et du potentiel d'action qui y reside quelqu'en soit notre situation - et amplifie notre conscience qu'il y a toujours quelque chose a faire pour essayer de sauver la situation. D'un autre cote, opter pour ne rien dire - dans un cas des plus graves - amplifie notre part de responsabilite et de culpabilite face a ce que l'on pourrait proposer comme aide ou 'solution' et que l'on ne donne pas. Ainsi aucune des deux possibilites ne presente une solution qui pourrait calmer notre conscience. Bien au contraire. L'ambiguite de la situation est la donnee essentielle du probleme.
La valeur centrale etant la vie et la lutte pour la vie a tout prix, on a tendance instinctivement a la preferer a l'autre option, et c'est naturel et sain. On a du mal a integrer qu'on pourrait prier pour la mort; quel sens donner alors au mot 'priere' ? Pourtant, la question traitee dans les Responsa n'est pas uniquement theorique mais emerge d'un vecu, d'une souffrance, d'une situation complexe que l'on n'espere ne jamais connaitre. Qui peut sciemment prier pour la mort d'un ami alors que toute notre volonte - peut etre par egoisme egalement - souhaite qu'il soit la a nos cotes pour longtemps encore ? C'est dans ce contexte dur et plein d'emotions et sentiments melanges qu'il faut entendre cette lecture non-conformiste.
L'histoire de Rabbi a ete interprete dans les deux sens du probleme: selon les uns il est absurde d'apprendre d'une servante - meme si celle ci etait exceptionnelle - il est preferable d'apprendre des sages qui eux ont cesse de prier qu'au moment ou ils ont ete interrompus contre leur gre; Selon les autres, Cette servante hors du commun aurait apprehende quelque chose que les grands sages n'envisageaient pas.
Dans l'histoire de Rabbi, il n'est pas stipule que Rabbi ait demande explicitement que l'on prie pour lui, les deux prieres possibles. Dans un des Responsa traitant du probleme (Hiqueque lev, Yore Dea 50) il apparait en effet que la dame souffrante a explicitement demande a ses proches que l'on prie pour sa delivrance. Et il est bien vrai que cela semble etre une condition importante, comme vous le soulignez. Cependant, le Rav Waldinberg, tres rigoureux dans le choix de ses mots pour traiter de cette question et conscient de la sensibilite extreme en presence, ecrit que dans un cas ou la personne elle meme est depassee par ses souffrances et en perd ses capacites mentales qui lui permettraient de s'exprimer clairement pour ou contre cette priere, la decision peut tout de meme etre prise par ceux qui l'entourent.

En quoi les sentiments ressentis par les proches sur la souffrance du malade peuvent-ils avoir une quelconque importance, au point de permettre de prononcer une telle priere - c'est une question qui relevent peut etre moins du droit que de l'experience et du vecu de personnes qui se trouvent engages emotionnellement dans une telle situation et qui ont l'impression que c'est ce qui reste de mieux a faire.

Concernant le traitement et l'analyse des textes talmudiques, il me parait clair que chaque decisionnaire approche le texte avec ses 'lunettes', ses valeurs et ses sensibilites - surtout pour des questions tellement dilemnatiques - et ensuite il interprete les textes dans le sens de ses valeurs. Ce principe n'est pas toujours engage avec la meme intensite mais il est present et c'est ce qui fait la pluralite d'opinions parmi les decisionnaires.
Pour bien saisir le probleme, rien ne remplace l'etude detaillee des responsa cites afin de toujours garder en tete les precautions mille fois repetees dans les propos des decisionnaires et dans les miens. Je ne viens pas proner une approche face a une autre, j'ai uniquement explicite une possibilite que la halakha ne rejette pas d'une facon absolue.