Conversation 4285 - Pas de dessert pour le sage

Anonyme
Mardi 4 février 2003 - 23:00

Dans la haggadah de pessah, il y'a un passage où la réponse ne correspond pas du tout à la question posée.
En effet, il est dit :
question : "le sage que dit il : Quels sont les lois, préceptes et ordonnances que notre Dieu nous a prescrit ?"
réponse : "Enseigne lui les halahot de Pessah, après l'agneau pascal, on ne doit manger aucun dessert".

Pourriez-vous préciser quel est le rapport entre la question et la réponse ?

Rav Elie Kling
Dimanche 6 avril 2003 - 23:00

Judicieuse question… D’autant que si vous avez la curiosité de jeter un coup d’oeil sur les sources bibliques (Dévarim 6,20), vous vous apercevez qu’à la question du sage (‘quelles sont les lois, etc..’), la Torah préconise une autre réponse que celle proposée par la Hagada! A votre question s’en rajoute donc une autre: pourquoi (et de quel droit), les rabbins qui ont ecrit la Hagada se sont-ils permis de modifier la réponse proposée par la Torah?
Si tout le monde souhaite avoir des enfants apparentés au ‘Sage’ , plutôt qu’á ‘l’Impie’ ou à ‘Celui qui ne sait pas même poser de questions’, il convient pourtant de rester vigilant, même si nous avons la chance d’avoir des enfants ‘sages’. En effet, le sage, lui aussi, court un certain risque: sa passion pour l’étude “des lois, des preceptes et des ordonnances” risque de lui faire oublier que l’appartenance au judaisme ne se restreint pas à la connaissance des lois, ni même à l’application des préceptes. Etre juif, c’est aussi ne pas oublier que ma mère est juive, c’est à dire que je suis le dernier maillon d’une chaîne qui me relie au peuple qui sortit un jour d’Egypte et entra ainsi sur la scène de l’histoire. Etre juif, c’est donc aussi rester sensible à l’histoire de son peuple: se réjouir de ses joies, se lamenter de ses peines et participer à ses combats. C’est parce-que l’étude des lois est passionnante et prenante que la Torah conseille à l’étudiant de laisser les fenêtres de la Yéchiva ouvertes afin qu’il puisse continuer à observer l’évolution du peuple hébreu et, le cas échéant, à y participer. Ainsi, le texte de Dévarim demande au père de donner à son fils la réponse suivante: “Nous étions esclaves de Pharaon en Egypte et D.ieu nous en a sortis d’une main puissante… Il a frappé l’Egypte de puissantes et spectaculaires plaies dont nous avont été les témoins…Quant à nous, Il nous a sortis de là-bas afin de nous amener vers la terre promise à nos ancêtres. Il nous a alors ordonné d’accomplir toutes ces lois…” (Dévarim 6, 21 à 25). En d’autres termes, nous exhortons notre enfant à ce que l’amour des lois ne lui fasse pas oublier que tout commenca par une expérience historique collective et que depuis , le peuple d’Israël continue à vivre. C’est bien parce que nous sommes un peuple vivant que nous avons aussi droit, comme toutes les nations, à une terre, celle que D.ieu promit un jour à nos ancêtres! Si nous n’étions qu’un groupe d’hommes partageant une même foi et respectant les mêmes lois, nous n’aurions pas droit à un territoire bien précis. C’est seulement après avoir rappeler ces vérités premières à notre ‘sage’ (versets 21 à 23) que nous pouvons discuter des lois (v.24 et 25).
La Hagada étant un livre de pédagogie (cf Chémot 13, 8), elle s’interesse non pas au QUOI dire à l’enfant (c’est le rôle de la Torah) mais au COMMENT le lui dire. Or, si ton fils est passionné par l’étude théorique des textes de la loi, il ne sert à rien de lui faire un cours d’histoire. Il s’y interessera d’autant moins qu’il est censé déja savoir que “nous esclaves de Pharaon en Egypte”! Il veut des lois, enseigne lui une loi. Mais choisis là de telle sorte qu’en y réfléchissant, il assimilera la lecon que tu cherches à lui enseigner. Dis lui : “après avoir mangé l’agneau pascal, on n’a pas le droit de prendre un dessert (=afikomane).” Ton Hakham de fils ne manquera pas de te demander pourquoi. Explique lui alors qu’il s’agit de garder le goût du sacrifice dans la bouche toute la nuit. En effet, après une si riche cérémonie , que doit-il rester du Séder? Qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui est secondaire? Sur quoi doit-on aller dormir? A quoi faut-il continuer à penser? A la matsa? Au maror? Au harosset? Non: à l’agneau pascal! Pourquoi?, demandera ton fils. Parce qu’il n’était pas possible de sortir nos ancêtres d’Egypte tant qu’ils n’avaient pas pris eux même une part active à leur libération. Juste avant que d’abattre la dernière des plaies, celle qui provoquera la sortie, D.ieu arrête le processus et demande au peuple de se saisir du dieu egyptien (l’agneau) et de l’immoler en badigeonnant son sang sur la porte de sa maison. Celui qui ne participera pas activement à l’histoire de sa libération, restera en Egypte! N’était-ce pas là le message que voulait faire passer la Torah au sage en lui rappelant l’importance de la composante historique de l’identité juive?
Bonne fête de la libération et cordial chalom!