Conversation 4896 - D'ou vient l'Apikoros?

Anonyme
Mardi 25 février 2003 - 23:00

Kvod Harabbanim Shalom,

Pourriez-vous s'il vous plaît m'indiquer l'origine etymologique du terme "Apikoros" ?
Avec mes remerciements et mon profond respect.

Rav Elyakim Simsovic
Samedi 15 mars 2003 - 23:00

L'étymologie, c'est facile : cela vient du nom d'un philosophe grec, Epicure (341-270 av.)

Expliquer sa signification dans le cadre de la tradition juive est un peu moins aisé. Le mot a fini par prendre un sens assez proche de "hérétique" mais ce n'est pas tout à fait exact.
Dans le langage courant, en langue française, on utilise le mot épicurien pour désigner "qui aime la vie agréable ; qui recherche les plaisirs" (Larousse). Lequel Larousse ajoute sous "épicurisme" que c'est la "doctrine morale d'Epicure et des épicuriens". Aujourd'hui, on appelle cela de la désinformation. En effet, si les épicuriens recherchaient les plaisirs, c'étaient les seuls plaisirs nobles à leurs yeux, c'est-à-dire les plaisirs de l'esprit. En d'autres termes, sur le plan matériel, c'était plutôt des ascètes ; ils recommandaient les repas entre amis où l'on goûtait de tout ce qui peut être agréable au palais, mais en petites quantités. Ce n'est donc pas leurs moeurs qu'on aurait pu leur reprocher.

Bien qu'une étude plus poussée serait pleine d'enseignements, il me semble suffisant d'indiquer pour le moment que si les maîtres de la Michna ont choisi d'utiliser ce terme, c'est que la doctrine d'Epicure pouvait avoir pour des Juifs un aspect séduisant : lequel ? Comme je l'ai indiqué plus haut, Epicure prônait la supériorité des plaisirs de l'esprit sur tous les autres, la pure jouissance de l'exercice intellectuel. A cette époque précisément où la Judée est sous la dominition des Grecs (les Ptolémées d'Egypte, puis les Séleucides de Syrie) certains pouvaient être tentés de faire du "Talmud Thora Lishma", l'étude désintéressée de la Thora, une attitude épicurienne : étudier la Thora pour le plaisir intellectuel que cette étude suscite. Et, en vérité, il n'y a pas beaucoup d'attitudes plus pernicieuses que celle-ci. Elle transforme l'aspiration à la connaissance et à la compréhension de la parole de Dieu pour pouvoir l'accomplir de la meilleure manière en un jeu intellectuel, une délectation égoïste et d'ailleurs nullement désintéressée.

Ajoutons à cela trois des traits spécifiques de la doctrine épicurienne : l'idéal est d'atteindre à l'indifférence à l'égard du monde (ataraxie) et donc d'en devenir indépendant (autarcie) ; il faut donc vivre "adespotos", c'est-à-dire sans maître, de vivre retiré de la vie publique et en particulier de ne pas se mêler de la vie politique, et enfin, de s'affranchir de la peur de la mort car après la mort il n'y a rien et surtout, il n'y a pas de jugement.

Nous avons ainsi un tableau assez complet de ce que les maîtres de la Michna pouvaient viser en utilisant le terme de Apikoros : quelqu'un qui rejette l'autorité de la loi orale, pratique une morale personnelle peut-être stricte mais le laisser-faire dans le domaine de la vie publique, qui professe qu'il n'y a pas de jugement car il n'y a pas de juge et que si l'étude a une valeur c'est parce qu'elle procure le plus noble des plaisirs.