Conversation 78249 - Pourquoi le lin et la laine ?

cocoParis
Lundi 29 juin 2015 - 23:00

Bonjour
Je me pose une question sur le chaatnez: j'ai bien compris qu il était interdit de mélanger lin et laine. Mais je me posais la question de savoir si d autres mélanges de fibres était interdits. Je vous pose la question parce que je croyais avoir lu (en traduction francaise) dans la Thora "tu ne mélangeras pas les fibres". De la je me demandais pourquoi l interdiction ne concerne que le mélange lin/laine.
Bien à vous, et merci pur votre aide

Rav Samuel Elikan
Lundi 6 juillet 2015 - 02:39

Shalom

L’interdit, tel qu'explicité dans la Torah, touche surtout le fait de mélanger le lin et la laine (22:11): "Ne t'habille pas d'une étoffe mixte, mélangée de laine et de lin". On n'y parle pas d'autres fibres...

La Torah interdit de porter un habit qui contient, ensemble, du lin et de la laine. Nos Sages ajoutent qu'il s'agit d'un commandement dont on ne peut comprendre la raison, "un ordre du Roi" (1).
Toutefois, les commentateurs en ont noté plusieurs…

Certains (2) affirment que cela est lié au fait que de tels vêtements étaient réservés au service du Temple, aux prêtres (kohanim) et qu'il fallait les distinguer du Peuple. Ils voient donc là une marque de séparation entre différentes couches sociales et religieuses. Ce qui est permis au Temple, pour les prêtres, est interdit aux Juifs dans le reste du monde.

D’autres (3) expliquent la source de cet interdit comme étant lié au fait que des prêtres non-juifs, idolâtres, portaient de tels vêtements. L'idée voilée derrière cet interdit serait donc le fait de s'éloigner de l'idolâtrie. Cela ne serait alors plus une séparation au sein même du Peuple Juif, mais une différenciation, un éloignement, des idolâtres, des non-juifs. Une sorte d'affirmation – par la négative – de notre identité.

D’aucuns (4) indiquent encore que l’interdit provient du fait que la laine est produit du mouton, sacrifice d'Hevel, alors que le lin symbolise l’offrande de Kaïn – on ne peut donc pas les lier. Il y a là une lecture ontologique; il ne s'agit plus d'un simple interdit dont le but est de définir notre identité, de nous distinguer, entre nous ou des autres, mais d'une idée universelle, déjà présente à la source même de l'humanité, dans Bereshit.

Le Rav A. I. Kook (1865-1935) approfondit cette lecture.
Dans une série d'articles, "Talelei Orot" (5), le Rav Kook explique qu'il n'est pas moral de traiter la laine arrachée, voire volée, à l'animal, laissé ainsi nu, comme on traite le lin, planté, arrosé et soigné par l'homme. En effet, la laine marque le pouvoir de l'homme sur l'animal, sa domination, alors que le lin symbolise l'usage légitime de l'homme des ressources naturelles à sa disposition. Pour distinguer ces deux "comportements", ces deux "usages", l'un qui fait honte à l'homme (voler un animal, chose immorale, selon le Rav Kook) et l'autre qui le valorise (le travail de la terre), la Torah nous interdit de les mélanger.

On pourrait continuer: Kaïn voit dans l'animal un objet; il le domine. En effet, né le premier, il se suffit à lui-même, ne tolère pas l'autre. La racine de son nom n'est-elle pas identique au terme "kinyan" (fait d'acquérir)? Le monde lui appartient. Ce n'est pas le cas d'Hevel, qui comme son nom l'indique, n'est que "fumée", futile. Son rapport à la nature est plus respectueux; il la travaille, se voit peut-être même lui aussi comme un "objet", égal à la nature. Il en sort valorisé en tout cas. Toutefois, fin tragique, son frère aîné le tue. Ce rapport de dominant et dominé se termine toujours en fratricide – on ne peut guère mélanger ces deux éléments. Une fraternité durable avec Kaïn ne pourra avoir lieu qu'avec Shet (et ses descendants), où l'Autre est traité comme "sujet" et non pas comme "objet" - dans un rapport de réciprocité, de mutualité et d'altérité.

Notes:
(1) Cf. Torat Kohanim 4,18.
(2) Tels le H’izkouni (Devarim 22:11) et Flavius Josèphe (Antiquités IV, 8:11).
(3) Tels le Rambam (Guide des Egarés III,37) et le Sefer HaH’inouh’ 551.
(4) cf. Pirkei deRabbi Eliezer, chap. 21 ; Tanh’ouma, Bereshit, 9 ; H’izkouni, id.
(5) Publiés dans la revue "Peless".

Cordialement,

mick636
Dimanche 5 juillet 2015 - 23:00

Sur 78249 - Pourquoi le lin et la laine ?

Si on suit l'idée du rav Kook, on devrait aussi interdire le mélange laine coton, car le coton est aussi une plante que l'on cultive...
Voire même le mélange laine polyester, fibre synthétique fabriquée par l'homme...
Or ces mélanges sont permis.

Rav Samuel Elikan
Mercredi 8 juillet 2015 - 01:08

Shalom,
Le Rav Kook ne vient qu'expliquer l'interdit, pas interdire d'autres choses.

De manière générale les "ta'amei mitzvot", les raisons et explications données aux commandements n'ont pas pour vocation d'engendrer d'autres interdictions ou permissions, mais simplement d'essayer de comprendre plus profondément l'interdit ou le devoir.

Cordialement,

mick636
Jeudi 31 décembre 2015 - 23:00

sur 78275
Et si la raison était.. qu'il n'y avait de raison !
Je veux dire que ce commandement serait une sorte de test de foi: sommes nous capable d'accommplir quelque chose juste parce que c'est la volonté de Dieu ?
Ca aurait pu être le coton et la laine. Ou n'importe quoi d'autres.
C'est peut être aussi en ce sens qu'on dit que tout commandement a une partie hok: car pour chacun on peut trouver une bonne raison de ne pas l'accomplir. Et donc à travers chacun d'eux on peut prouver à Dieu notre foi.

Rav Samuel Elikan
Lundi 22 février 2016 - 07:17

Shalom,

Merci de votre contribution.
Effectivement dans chaque commandement il y a un aspect de respect de D'ieu - c'est-à-dire qu'on fait le commandement parce qu'on est astreint et non pour une quelconque raison. Toutefois, à cela il faut ajouter que cela ne veut pas dire que la Torah serait dénuée de sens profond et c'est pour cela que nous essayons d'étudier le sens profond des choses. Ainsi, le Zohar HaKadosh nous dit (III,152b sur par. Beha'aloteh'a) :

"Rabbi Shimon enseigne - malheur à l'homme qui dit que la Torah vient nous raconter des histoires simplement, et des propos dénués de sens profond. Car s'il en était ainsi, on aurait pu faire la Torah de propos simples dénués de sens profond, bien plus beaux que ceux qui sont écrits, et si la Torah vient nous enseigner des choses sur le monde, même les dirigeants du monde ont parmi eux de meilleurs propos, et s'il en était ainsi, on devrait les suivre et faire de leur propos une Torah de la même manière. Cependant, tous les propos de la Torah sont des éléments très élevés et revêtent des secrets supérieurs".

Cordialement,

Meir1007
Dimanche 21 février 2016 - 23:00

Bonjour rav, sur votre réponse a la question 78249.
Selon les deux premières explications, il y a quand même contradiction, car comment la 2ème peut accepter qu'Hachem ne veut pas habiller ses juifs en prêtre idolâtre mais veuille bien habiller ses prêtres en prêtres idolâtres, car la si il y a cette première raison c'est certainement que les cohanim portent du lin et de la laine sinon jamais ils auraient dit une chose pareille et forcement la seconde le est d'accord que les cohanim s'habillaient de cette façon la !?
Merci

Envoyé de mon iPhone

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Question envoyée via l'application iphone

Rav Samuel Elikan
Mardi 23 février 2016 - 02:50

Shalom,

Je ne crois pas qu'il y ait une réelle contradiction, en effet, ces deux raisons ne sont pas énoncées par les mêmes rabbins.

Ceux qui évoquent la première raison ne sont pas d'accord avec la seconde et vice-versa.

Les premiers évoquent la différence entre les Cohanim et les autres membres du Peuple, alors que les seconds affirment que ce commandement vient nous rappeler notre particularité face aux nations. Il s'agit bien de deux avis différents.

Par ailleurs, même si on affirmait que les deux explication se complétaient, il n'y a pas de contradiction, car dès lors où c'est un commandement Divin, même l’idolâtrie devient commandement et devoir Divin !

(cf. Midrash sur Shemot 20, rapporté dans le Torah Shelema du Rav M.M. Kasher, §135 (*) et Midrash Lekah' Tov rapporté id. chap. 25, §132 ; Kouzari I,97; H'izkouni sur Shemot 25,17; Abarbanel sur Shemot 25; Zohar III, 63a ; Tzidkat HaTzadik de Rabbi Tzadok HaCohen de Lublin, §40).

Cordialement,

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(*) De ce midrash il semble ressortir que toutes les avodot zarot sont interdites "pour nous", mais permises "pour D'ieu", ce qui voudrait dire qu'au Mikdash beaucoup d'idolâtries sont "converties" pour D'ieu, comme le note le Rambam dans le Guide des Egarés III,45, etc. !