Conversation 84758 - La crémation de Nadab et Avihou

kalpa
Jeudi 20 février 2020 - 11:21

Shalom Rav S. Elikan

Tout d'abord, je tiens ici à vous remercier pour l'aide que vous m'avez déjà apportée en répondant à toutes mes questions.

Les deux fils d’Aaron accomplissent en Lv 10.2, pour la première fois leur rôle de Cohen. On comprend que c’est la première fois que l’acte est accompli, car son exécution vient d’être demandée par D.ieu. Or, les deux garçons commettent une faute, par enthousiasme ainsi que le rappelle le Rav Botshko dans https://www.cheela.org/rav-sd-botshko/le-verset-de-la-semaine-parachat-chemini. Le Rav Botshko rappelle également, à juste raison, le commentaire de Rachi : Cette faute a été une faute d’enthousiasme. Par la qualité d’âme qui l’a motivée, qui est de très grande valeur, ils sont supérieurs à Moïse et Aaaron.

1) N’y a-t-il pas une contradiction avec ce qu’en dit la discussion 6355 où on apprend que « les deux frères ont rabaissé des joies spirituelles au niveau des plaisirs physiques » ? Comment le sait-on, car cela n'est pas dit dans la Torah ?

Par ailleurs, dans https://www.cheela.org/jacques-kohn-zl/parachath-aharei-moth le Rav J. Kohn donnait la suivante explication : « L’une des raisons pour lesquelles Nadav et Avihou sont morts prématurément est que, alors qu’ils suivaient Moïse et Aaron dans un déplacement, Nadav a dit à son frère : « Quand donc mourront ces deux vieillards, que nous devenions, toi et moi, les dirigeants de cette génération ? » (Sanhédrin 52a). Que Nadav ait été puni pour ces paroles déplacées, rien de plus normal. Mais pourquoi Avihou, qui avait gardé le silence, a-t-il partagé le sort de son frère ? Précisément pour avoir gardé le silence et avoir ainsi partagé la responsabilité des paroles de son frère »

2) Trouvez-vous « rien de plus normal » que l’on calcinât les deux hommes pour ce méchant mot de Nadab ? Si on pense que cela est dans l’ordre normal des choses, ne faut-il pas craindre pour tous les hommes, sur les 7 milliards que compte l’humanité, passibles de mort par crémation parce qu'ils accomplissent chaque jour des fautes encore plus graves ?

3) Les mitsvot nous commandent de ne jamais faire preuve de colère. Or, n’est-ce pas la réaction d’un colérique que nous décrit la Tora dans cette mise à mort des deux frères ? Comment la rendre compatible avec l’amour infini dont D.ieu serait doté ? D.ieu de pouvait-Il pas simplement les réprimander, comme un père réprimande ses enfants, sans les tuer ?

4) N'est-ce pas surprenant que le rédacteur de la Tora ait décrit l’exécution brutale des deux frères dans la version écrite et donné son « explication » dans la version orale, ce qui laisse le lecteur dans une incompréhension totale s’il ne dispose pas de la Mishna !

5) La Mishna est demeurée orale plus de 10 siècles (puisqu’elle aurait été mise par écrit par Rabbi Yehouda Ha-Nassi, aux environs de 140 ap. J.-C.). Peut-on sérieusement croire que cette anecdote du mot de Nadab, chuchoté à l’oreille de Avihou, ait pu être colportée oralement sans altération pendant plus de mille ans ? Et d’ailleurs, qui a été témoin fiable de cette confidence de Nadab ?

D’avance, avec mes remerciements pour votre aide.

Respectueusement

Rav Samuel Elikan
Jeudi 20 février 2020 - 11:48

Shalom,

Avec plaisir.

1) Nos Sages et les exégètes au fil du temps ont donné plusieurs "sens" au terme de feu étranger (esh zara) rapporté par les versets. Ainsi il n'y a là aucune contradiction, mais des exégèses différentes. On ne parle aucunement de concrétude, mais d'un message à en retirer, d'une interprétation de texte.

2) Il s'agit d'un enseignement moral à retirer d'un passage biblique qui s'est produit dans un cas très particulier : l'inauguration du Tabernacle, dans le désert, moment de Dévoilement Divin. Cela n'arrive pas tous les jours... Du coup, on ne peut pas en déduire quoi que ce soit sur une éventuelle crémation (!!!) de l'humanité. Par ailleurs, il ne s'agit pas de "on", mais de Dieu, le texte parle de "feu Divin". Bref, ne comparons pas ce qui n'est pas comparable et n'en déduisons pas de conclusions hâtives.

3) La Torah ne dit pas de ne jamais être en colère, c'est une émotion et elle est tout à fait légitime (mais nos Sages disent que ce n'est pas bien)... Dieu n'est pas qu'Amour, selon le judaïsme ! En outre, Dieu punit, mais ce n'est pas nécessairement de la colère : il faut se garder des anthropomorphismes concernant Dieu ; Il n'est pas un homme. Et n'étant pas Dieu, je ne sais pas pourquoi pour telle faute, il y a telle punition - je n'ai que le récit de la Torah devant mes yeux.

4) Le "rédacteur" de la Torah, selon la foi juive dite orthodoxe, est Moshé dont les propos ont été dictés par Dieu. Et non, ce n'est pas étonnant. Le texte reste souvent vague et nos Sages nous l'expliquent. L'interdépendance de la Torah Orale avec la Torah Ecrite est à la base même du judaïsme.

5) Chaque génération peut et doit amener une nouvelle exégèse, le texte, dans le judaïsme, n'étant pas "fermé". Cela ne veut pas dire que cela s'est passé ainsi concrètement, mais que c'est l'idée morale qu'on retire pour notre génération. 

Cordialement,